Quelque six milliards de tonnes de sable sont arrachées chaque année aux océans, une exploitation à la limite de ce qui est soutenable et avec des conséquences dramatiques pour l’environnement et la biodiversité marine, a alerté l’ONU le 5 septembre. Le sable, c’est ce qui fait le béton et le verre ; ressource principale des bâtiments, des maisons, des routes, des ponts, le sable est partout, même dans les circuits de nos ordinateurs. Il est tellement omniprésent qu’on l’oublie. De fait, le sable est la ressource la plus extraite de la planète, bien plus que les énergies fossiles ou la biomasse. Alors, à force de se servir sans compter dans les réservoirs de la nature, de la piller sans retenue, il advient aujourd’hui l’impensable : le sable va venir à manquer !
L’ONU estime que sur les 50 milliards de tonnes de sable et de gravier que l’humanité utilise chaque année, entre quatre et huit milliards proviennent des mers et océans. Cela représente six milliards de tonnes en moyenne chaque année, « soit l’équivalent de plus d’un million de camions par jour ou de deux kilogrammes par jour et par personne », a expliqué le directeur du centre d’analyse des données pour le PNUE, Pascal Peduzzi, en conférence de presse.
C’est la première fois que les Nations unies parviennent à faire une telle estimation, grâce à l’intelligence artificielle et au système automatique d’identification des navires permettant de les localiser et d’analyser leurs déplacements et activités à travers le monde. L’analyse, lancée par la division scientifique du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), n’en est qu’à ses débuts, et seuls 50% des navires sont pour l’instant suivis. Ainsi, l’extraction artisanale ou celle à petite échelle le long de côtes peu profondes ne peut encore être détectée.
Toute notre société dépend du sable
« Les écoles, les hôpitaux, les routes, les barrages hydroélectriques, les éoliennes, les panneaux solaires, le verre… en fait toute notre société dépend du sable comme matériau de construction« , a fait valoir M. Peduzzi. « Le sable joue aussi un rôle crucial pour l’environnement, mais c’est également un matériau dont de nombreux pays auront besoin pour se protéger contre l’élévation du niveau des mers« , a-t-il conclu.
L’ONU espère pouvoir encore publier cette année les chiffres concernant la période 2020-2023. Mais les données montrent que cette activité ne cesse de croître et « commence à prendre des proportions gigantesques », a indiqué M. Peduzzi, soulignant qu’en comparaison les rivières transportent, elles, dans les mers et océans entre 10 et 16 milliards de tonnes de sédiments chaque année.
« Si nous utilisons énormément de sable, à un moment donné cela dépasse les capacités du système à pourvoir ce sable« , alerte-t-il. Les navires extracteurs sont comme des « aspirateurs » qui « broient les fonds marins » et les « stérilisent », faisant disparaitre les micro-organismes océaniques et mettant en danger la biodiversité et les ressources halieutiques, selon l’expert.
Ce pompage sous-marin du sable perturbe tout l’écosystème. En aspirant du sable à un endroit, la nature ayant horreur du vide, s’empresse de le combler en le charriant à partir de zones voisines. C’est ainsi que se forme le phénomène de l’érosion des plages. 90 % des plages du monde reculent, pas seulement à cause de la montée des eaux, mais surtout à cause de l’aspiration du sable. Les plus belles plages du monde disparaissent quand ce n’est pas des îles entières.
Chine, Pays-Bas, Etats-Unis et Belgique
La mer du Nord, l’Asie du Sud-Est et la côte Est des Etats-Unis figurent parmi les lieux où les activités de dragage marin sont les plus intenses. Un autre expert, Arnaud Vander Velpen, a indiqué que les pays disposant des plus grandes flottes de navires extracteurs sont la Chine, les Pays-Bas, les Etats-Unis et la Belgique. La Belgique, qui extrait le sable de la mer du Nord, « sait déjà qu’elle n’a encore que 80 ans de volume à disposition si elle continue au rythme actuel« , a relevé M. Peduzzi.
Au-delà des chiffres, l’ONU espère entamer des discussions avec les pays et les entreprises du secteur pour que ces dernières soient plus respectueuses de l’environnement en améliorant leurs pratiques d’extraction. Selon M. Vander Velpen, seul un petit nombre de pays sait quelles sont ses ressources en sable marin.
En outre, les pratiques internationales et les cadres réglementaires varient considérablement. Certains pays – dont l’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie, le Vietnam et le Cambodge – ont au cours des vingt dernières années interdit l’exportation de sable marin, tandis que d’autres ne disposent d’aucune législation ni d’aucun programme de surveillance efficace. Le PNUE appelle la communauté internationale à élaborer une règlementation internationale afin notamment d’améliorer les techniques de dragage et il recommande d’interdire l’extraction du sable des plages en raison de son importance pour la résilience des côtes, l’environnement et l’économie. Il préconise également une reconnaissance stratégique du sable afin qu’il ne soit plus considéré comme un matériau commun dont l’humanité pourrait disposer à volonté.
Le tocsin d’alerte a déjà été sonné par l’ONU dans un rapport publié le 7 mai 2019 : la surexploitation du sable a des conséquences environnementales désastreuses. Une alerte qui vient dans le prolongement de nombreuses autres et notamment celle de chercheurs qui avaient publié une étude approfondie dans la revue Science. Leur conclusion est sans appel : la pénurie de sable commence à se faire sentir et devient « un problème émergent qui a des implications sociopolitiques, économiques et environnementales majeures ».
Le sable est la deuxième ressource naturelle mondiale la plus consommée par l’homme, après l’eau. Les consommations sont impressionnantes (200 tonnes pour une maison, 3000 tonnes pour un hôpital, 30.000 tonnes pour 1 kilomètre d’autoroute, 12.000.000 tonnes pour une centrale nucléaire) et frôlent les 50 milliards de tonnes par an. Partout où le béton est nécessaire, le sable l’est aussi.
Le secteur de la construction est responsable, à lui seul, de 50 % de l’exploitation mondiale des ressources non renouvelables. Le sable est donc au cœur des enjeux économiques actuels. Mickael Welland, géologue, souligne même que « le sable est le héros invisible de notre époque car il est omniprésent dans notre vie » ; ce dont peu de gens sont conscients.
Avec AFP
Image d’en-tête : dragage du sable à Colombo au Sri Lanka. Photo Xinhua/REA
« Actuellement, l’Homme mène une guerre contre la nature, s’il gagne, il est perdu . »
H. Reeves, janvier 2012 …