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Nous sommes des Apocalypse’s addicts

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L’Apocalypse est à la mode. Ce n’est pas moi qui le dit mais, notamment, Marc Jacobs (1) à travers son dernier défilé printemps-été 2014 à la Fashion Week de New-York ce 13 septembre : décor apocalyptique de carcasses de bus et de voitures éventrées, de mannequins défilant au pas militaire,…
Tout comme Chanel Haute Couture sous la verrière du Grand Palais de Paris présentait dans un décor de théâtre en ruine sa collection automne-hiver 2013-2014 : un sol recouvert de gravas, des bancs effondrés …

Indécence ou pied de nez à l’heure où tant de pays sont en guerre ? Révélation de notre propre fragilité, des dangers à éviter ?

Les films hollywoodiens tirent leurs héros des scénarii répétés d’Apocalypse ; pourtant 2012 est derrière nous (la fin du monde) alors qu’est-ce que cela nous apprend-il ?
Ma curiosité de psycho-sociologue me pousse à aller voir des films grand public diffusés dans les mass médias. Ce qui m’intéresse est notamment d’observer ce que la filmographie hollywoodienne nous concocte, ceci afin d’identifier ce qui façonne l’imaginaire du plus grand nombre. Et avec 2013 je n’ai pas été déçue ! 

Décryptage

2012 est donc passée et pourtant 2013 a apporté une avalanche de films apocalyptiques. Que sera 2014 ?!

Je suis impressionnée par le nombre significatif de films hollywoodiens qui ne sont pas juste « catastrophe » mais carrément « apocalyptique »  comme Oblivion, After earth, Star Trek into Darkness, Iron Man 3, Man of steel, World War Z, Pacific Rim, pour ne citer qu’eux ; pas moins de sept films en sept mois sur des bases de scénario catastrophe et de Terre détruite.

La fascination de la destruction

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2012 avait largement véhiculé son égrégore apocalyptique, comment se fait-il que cela continue autant en 2013 ?
La question à se poser est alors : les personnes n’en ont-elles pas assez de véhiculer un imaginaire de destruction ? Et que vient-il nourrir ?
Je postule que, face à ce moment de notre histoire qui est un changement majeur de paradigme de société, un tournant déterminant, démuni face aux destructions massives des repères antérieurs et en panne à pouvoir concevoir les nouveaux, il ne reste alors plus que le recours à l’imaginaire collectif d’apocalypse (au sens de destruction). Face à l’ampleur des changements à opérer il ne reste plus que la catastrophe, faire Tabula Rasa du passé dont on ne parvient pas à se départir rêvant de leader charismatique (héros solitaire dans les films hollywoodiens, nourrissant l’imaginaire du self-made man américain) pour nous sortir du pétrin et nous conduire, tel Moïse vers une prochaine Terre Promise. Les classiques ont la vie dure.

Un imaginaire anachronique

Pourtant, ces films sont anachroniques avec ce que les citoyens réalisent véritablement. Il existe désormais des milliers d’alternatives, de propositions positives relayées par de très nombreux médias : Sparknews, Reporters d’Espoir, Positive Presse et bien d’autres encore. Ouvrages, articles, blogs relaient les actions de millions de citoyens qui font changer le monde dans le silence et l’anonymat pour la plupart. Rien de spectaculaire et pourtant le monde change réellement.
« Quand un arbre tombe, on l’entend ; quand la forêt pousse, pas un bruit. »  Proverbe africain.

Pourquoi le phénomène persiste-t-il ?

Alors comment se fait-il que ces films continuent à être tournés et vus ?
Pour les lobbies que sous-tendent ces différents films : perpétrer le modèle de société précédent est une nécessité. Ainsi le lobby de l’armement a-t-il tout intérêt à ce que les plus jeunes soient habitués, dès leur plus jeune âge et via les jeux vidéos, la télévision et le cinéma, à trouver « normal » d’utiliser des armes pour « se défendre » et aussi d’associer l’image du héros aux forces militaires.
Ceci renforce les mythologies classiques et majoritairement basées sur la violence et permet de nourrir un des plus lucratif business, avec celui de la drogue. D’autres lobbies y trouvent également leur compte en nourrissant les peurs (assurance, médicaments, sécurité..). Nous maintenir dans la peur inhibe les alternatives, les prises d’initiative et les élans de transformation de la société, au moins pour le plus grand nombre et permet de maintenir la masse des citoyens docile, entretenant le système tel qu’il est qui à ce jour et profitant uniquement à une poignée de privilégiés (oligarchie pour reprendre les termes d’Hervé Kempf – ex chroniqueur écologie Le Monde).

Mais qu’en est-il pour les citoyens que nous sommes ?

Nous y trouvons la facilité de la distraction et de la détente. Pour certains psychologues regarder la violence à l’écran a un effet cathartique (voir les travaux de Serge Tisseron), cependant, ils entretiennent nos fonctionnements les plus archaïques (cerveau reptilien). Ainsi, au prétexte de nous « détendre », nous cautionnons un système et nous faisons l’économie de la moindre remise en cause.

Eros et Thanatos (une explication psychanlytique)

Par ailleurs, la dynamique pulsionnelle Eros (vie) et Thanatos (mort) est bien à l’œuvre dans l’imaginaire américain. Le fait d’être la première puissance économique mondiale, encore aujourd’hui, et surtout de par son hégémonie militaire, les Etats-Unis se placent dans un état « psychique, conscient et inconscient » de surpuissance. Cette position étant narcissiquement difficile à tenir, car il n’y a pas de reconnaissance d’altérité (celle de l’autre puisqu’il est considéré comme « inférieur »), alors la seule manière de se magnifier davantage est de fabriquer des super héros, souvent issus des bandes dessinées, Comics. N’ayant pas de concurrence, ils la fabriquent.

En étant la première puissance mondiale, les Américains n’ont plus rien à atteindre (si ce n’est pérenniser cette position), ainsi, la seule possibilité pour maintenir l’équilibre psychique aussi bien individuel que collectif réside dans le fait d’imaginer de se détruire pour avoir les conditions exceptionnelles de faire émerger un héros providentiel et courageux ayant la capacité de sauver la première puissance mondiale.
Cependant, à force de créer des fictions catastrophiques survient des évènements comme le 11 septembre 2001. Et le plus surprenant, c’est que l’événement passé, les filmographies ne changent pas… ! Voire elles s’accentuent en fréquence et en intensité spectaculaire.
Peut-être pourrions-nous explorer d’autres voies de manifester le vivant que cette dialectique infernale d’Eros et Thanatos.

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Les dessous du film World War Z

Je reviens sur les films sortis en 2013 et je m’arrêterais tout particulièrement sur World War Z.

Le film commence par un discours sur la Mère Nature qui est un serial killer (inversion de la représentation Terre = Vie qui justifie ensuite toutes les luttes contre elles). Ensuite, la sempiternelle catastrophe qui touche les Etats-Unis et le héros solitaire qui les sauve (je ne détaille pas car le film est suffisamment connu et systématique de ce genre de films).
Ce qui m’a impressionnée c’est le nombre de « zombis », le fait que la population entière de la planète soit touchée. Et je trouve là que nourrir l’imaginaire mondial d’un virus qui décime l’essentiel de l’humanité (en l’occurrence qui la transforme en monstres) pose question. Cela me laisse penser qu’incapables à gérer l’augmentation de notre population, nous fantasmons sur une mort, une épidémie qui décimerait la majorité d’entre nous et permettrait de repartir de zéro, sur de nouvelles bases. Nourrir cet imaginaire c’est préparer des individus au pire, considérant la normalité de ces catastrophes. Et trouver aussi normales les modalités guerrières de réponse aux agressions. Nous sommes ainsi doucement préparés à pouvoir accepter le pire.

Je trouve que c’est grave. Nous devrions nourrir l’imaginaire populaire de vie et de ce qui peut conduire à la joie, au bonheur, à la solidarité, au respect des différences, sans que cela soit mièvre mais juste décider d’inverser l’utilisation des énormes budgets cinématographiques vers des films qui seraient une ode à la vie et qui sait à la Terre ?

Mais ce n’est encore pas tout..!

Le début du film se passe aux USA, puis rapide passage en Corée du Sud et puis Jérusalem : on y voit une belle image où Juifs et Musulmans prient de concert au centre de Jérusalem, redevenue pour quelques minutes un havre de paix.
Puis, les zombies montent à l’assaut du mur pour finalement le franchir et se déverser sur la population contaminant, par morsure des milliers de gens. Ce qui est alors choquant c’est la manière dont est filmée cette scène et donne l’impression de voir des cohortes d’insectes dont nous savons que la majorité d’entre nous a horreur de leurs grouillements (surtout en Occident). Au delà de l’analogie faite avec les insectes, autre chose est choquant, les corps tombent en tas les uns sur les autres, représentant des pyramides de chair humaine, de corps empilés…
Cette désagréable impression de déjà vu va continuer car une fois les humains « sains », provisoirement sauvés (j’y reviens), il est alors question d’éliminer ce virus, qui s’est emparé des millions d’êtres humains. Il est donc question d’exterminer ces derniers. Et pour ce faire, on voit quelques images qui rappellent le napalm lancé sur les populations vietnamiennes, puis le film se termine avec des pyramides de corps amoncelés. Là, le doute n’est plus possible, les horreurs de la Shoah resurgissent. Et le lien entre Jérusalem et des corps éliminés de manière systématique et en grande quantité fait froid dans le dos.
Pourquoi?
Parce que ces images s’infiltrent dans notre imaginaire pour parvenir à l’objectif suivant : toujours banaliser la violence, et nous préparer à trouver normal d’exterminer les humains qui sont nocifs !!!! Cela pose alors la question de la normalité : qui est « sain » ou « normal » et qui ne l’est pas et que faisons-nous de la différence ? Comme gérons-nous la diversité ?

Je reviens sur ce qui permet aux personnes « saines » de s’en sortir : dans le film le héros propose de s’inoculer un virus mortel afin que celui-ci délaisse les corps devenus malades. Ainsi, l’avenir de l’humanité réside-t-il dans le choix entre deux maux … mortels… Chouette perspective.

Curieuse nourriture pour nos imaginaires et à quelle visée surtout quand on compte le nombre de films qui véhiculent des concepts similaires. Le suivant étant Pacific Rim qui explique que pour sauver l’humanité de l’Apocalypse et des monstres qui détruisent la Terre (enfin la partie humaine), il faut réaliser l’union de l’homme et de la machine pour lutter ensemble… Encore lutter et surtout nous faire avaler tout cru l’évidence de notre futur : pour le bien de tous, il est impératif de combiner homme et machine. Ainsi, pour nous sauver, nous sommes prêts à devenir hybrides.

La science-fiction nourrit l’imaginaire de millions de gens et en particulier des ingénieurs, toutes formations confondues, qui bien souvent passent leur vie d’adulte à vouloir réaliser ce qui les a fait rêver adolescents. Aujourd’hui notre monde économique, technologique est façonné par les ingénieurs. Nous avons donc une grande responsabilité à laisser ces films se produire et plus encore à les regarder. Sans public, les producteurs et réalisateurs se tourneraient vers autre chose.
Notre besoin de détente nous conduit, inconsciemment, à cautionner le système et à nous faire « intoxiquer » par des nourritures ludiques qui ravinent ensuite notre quotidien.

Ce petit billet avait juste pour ambition de nous rendre attentifs et vigilants aux manipulations mentales qui constituent les images de nos loisirs.

Christine Marsan, Psycho-sociologue

– Lire les ouvrages de Christine Marsan : 
« L’imaginaire du 11 septembre » Ed. Camion Noir, 2012.
« Communication d’influence » Ed. CFPJ, 2009.
« Entrer dans un monde de coopération, une néo-RenaiSens » Ed. Chronique Sociale, 2013.

– Lire « L’Apocalypse joyeuse » ou une histoire du risque technologique de Jean-Baptiste Fressoz 

– Lire article « Science-fiction : mythologie is message » de David Morin-Ulmann /UP’

– Lire article « Prospective et science-fiction » de David Morin-Ulmann / UP’

(1) A propos du dernier défilé de Marc Jacobs, dans l’hyper revue de presse de France Info du 17 septembre, écoutez l’analyse de Thomas Jamet, professeur à Science-Po : {mp3}apocalypse{/mp3}

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