Tout est relatif ! La notion économique de bien-être renvoie à deux conceptions com-munément admises. La première voit dans le bien-être la possession de biens et l’accumulation de richesses ; dans cette conception le bien être est assimilé à un niveau économique. Il est une fin de l’action de l’homo œconomicus. La deuxième conception voit dans le bien-être la satisfaction d’un désir. Ces deux conceptions considérées comme des valeurs universelles sont aujourd’hui contestées.
Il est vrai que la misère est conçue dans l’esprit populaire à la fois comme une absence de biens et de richesses, et comme une diminution du bien-être. Cependant, si on se place dans une logique aristotélicienne, la possession de biens ne peut être envisagée comme une fin vers laquelle devraient courir les individus mais comme un moyen pour accéder au bien-être. Par ailleurs, posséder des biens et des richesses est une valeur totalement relative. Elle renvoie à la fois aux caractéristiques de l’individu, de son environnement et à celles des biens dont on cherche la possession. Le bien-être d’un petit malien n’est pas fondé sur la proximité d’un établissement Mac Donald, mais sur la garantie de pouvoir manger tous les jours à sa faim.
La deuxième conception lie étroitement le bien-être à la satisfaction d’un désir. C’est cette idée qui structure toute la société de consommation. Or, cette conception néglige la faculté qu’ont les individus d’adapter leurs désirs en fonction des réalités, des possibilités dont ils disposent et des opportunités qui leur sont offertes. C’est cette adaptabilité qui permet de rendre la vie supportable malgré des conditions difficiles.
L’idée de bien-être comme valeur universelle et unique est donc contestable. Ce qui compte dans l’appréciation du bien-être, c’est la capacité des individus, c’est-à-dire leur aptitude, en fonction de critères multiples, de réaliser des opérations fonctionnelles avec les biens possédés. Dans un pays occidental riche, un vélo sert à se promener ; dans un pays pauvre il sert à se déplacer.
Ces remarques, qui sont les fondements de l’économie normative qui valurent le prix Nobel à Amartya Sen, lui ont permis d’identifier une large variété de fonctionnements essentiels à la vie humaine . Parmi eux, il y a bien entendu les réalisations essentielles comme se nourrir ou être en bonne santé, mais il y a aussi un certain nombre de réalisations contribuant au bien-être, que la théorie libérale de marché ne prend pas directement en compte, telles que l’estime de soi, l’absence d’humiliation, la possibilité de participer à la vie de la communauté, etc…
Ces fonctionnements essentiels constituent, dans leur diversité, toutes les combinaisons possibles qui peuvent être offertes à un individu pour qu’il estime que sa vie est bonne et digne d’être vécue. Dans cette conception, le bien-être est un moyen multidimensionnel qui tend vers un objectif éminemment relatif et subjectif, qui dépend de la conception qu’a chaque être humain de sa propre vie. Vouloir appliquer le même modèle de vie à l’ensemble des êtres humains vivant sur la planète est non seulement une illusion mais une atteinte à la liberté.
{jacomment on}