Je vous propose un peu d’air frais, rose, léger, pour changer des problèmes de délocalisation, fermetures d’usines,… Grâce à l’excellent article de Caroline Castets, du Nouvel Economiste, nous voici transposés dans une entreprise française qui a su, en innovant de toutes parts, sauver et préserver sa marque « patrominiale ». Je parle ici de Repetto. Belle lecture !
Du rose poudré, du tulle et un nom ancré dans l’imaginaire collectif, celui de la danse et de son univers empreint de technicité et de tradition… C’est sur cet héritage que Repetto a su capitaliser pour organiser son repositionnement et sa croissance ; en réinventant son business model de manière à conserver son ancrage et à s’en servir comme d’un sésame pour s’émanciper de son territoire d’origine et en pénétrer d’autres, plus lucratifs et plus porteurs.
Résultat : une stratégie de la rareté directement inspirée de l’univers du luxe et déployée dans des séries limitées et des exclusivités, une offre renouvelée plusieurs fois par an, une politique d’innovation et de diversification sans faille et une parfaite maîtrise de l’image qui permettent aujourd’hui à la marque de réconcilier tradition et innovation, héritage et modernité. Autrement dit, de se renouveler tout en gardant le meilleur de son ADN : les valeurs, l’histoire, la caution technique, la qualité. Tout ce qui, aujourd’hui, permet à Repetto de cultiver les contraires avec succès. Plus qu’une reconversion réussie, récit d’une métamorphose.
Brigitte Bardot la portait plate et vernie ; Serge Gainsbourg, blanche et pointue. C’était il y a 50 ans. Bien avant que Repetto ne troque son statut de marque technique, réservée à un public de danseurs – professionnels et amateurs – et à quelques rares initiés, pour celui de marque branchée. Bien avant, donc, qu’elle ne s’émancipe de son univers d’origine, celui de la danse pure et dure, pour s’aventurer sur celui du grand public. Le grand écart aurait pu être fatal. Il sera salvateur ; permettant à Repetto de voir ses modèles érigés au rang de must-have et son territoire de marque redéfini autour de trois concepts porteurs : le luxe, la mode et la tradition. Une prouesse pour celle qui, il y a treize ans de cela, produisait pour les circuits de grande distribution et accumulait les pertes au même rythme qu’elle engrange aujourd’hui les bénéfices.
A l’origine du miracle, Jean-Marc Gaucher, à qui un passé de marathonien avait sans doute donné le goût des défis et le sens de l’effort, et dont la stratégie axée sur une double exigence d’innovation et de diversification aura fait office non seulement d’antidote mais aussi de garantie sur l’avenir. Lui permettant non seulement de sortir la marque de l’ornière mais aussi d’assurer sa croissance future. Plus qu’un redressement, une véritable résurrection pour Victorine Censier, chargée de clientèle au sein de l’agence spécialiste en stratégie et identité de marque, 4uatre, pour qui la recette du succès Repetto tient en cette simple formule. « Avoir su s’appuyer sur les valeurs de la marque – tradition, confort, élégance – pour réinventer le business model. » Récit.
Les mains, libres
L’aventure débute en 1947 avec la volonté d’une femme, Rose Repetto, de soulager les pieds de son fils, Roland Petit, danseur et futur grand chorégraphe. Pour lui, elle imagine un chausson de grande qualité, entièrement cousu et assemblé à la main, confortable et élégant. Un Repetto. Dirigée par sa fondatrice des décennies durant avant d’être léguée à son fils qui, lui-même, finit par la céder à la Caisse Centrale Populaire, l’entreprise commence à péricliter à compter des années 80, victime de mauvaise gestion et d’errements stratégiques. Si bien que lorsque Jean-Marc Gaucher, authentique autodidacte ayant successivement exercé les métiers d’ouvrier, de fermier, de serveur et de « manager d’athlètes » avant de devenir preneur de son pour TF1, cherche à en faire l’acquisition en 1998, elle perd de l’argent depuis des années. Une situation peu enviable qui présente pourtant un avantage.
Celui de permettre à son nouveau PDG de la racheter « pas trop cher ». Ce qu’il fait en juin 1999, avec l’aide d’un premier fonds d’investissement qui, dès l’année suivante, se retirera pour être remplacé par un second : CITA. Jean-Marc Gaucher est désormais à la tête de 180 salariés et de 15 millions de dettes. Qu’importe. Cet ancien de Reebok qui vient de passer près d’une décennie à implanter la marque américaine en France, puis à diriger sa filiale française avant de démissionner « parce qu’il ne se sentait plus les mains libres », a un projet. Transformer Repetto « en une marque mondiale, ancrée dans le luxe et portée par des produits exclusifs tout en continuant à fabriquer les meilleurs chaussons ».
Les produits les plus techniques pour son univers d’origine : la danse. Un grand écart entre tradition et innovation qui s’annonce délicat. « Dans l’imaginaire collectif, la danse est naturellement associée à l’univers du luxe avec les danseuses étoiles, l’Opéra Garnier… mais en 1999, toute l’image de Repetto était à rebâtir, se souvient Jean-Marc Gaucher. A l’époque, pour alimenter le site de production, les salariés travaillaient pour la marque Tex, celle de Carrefour ! » Pourtant, il le sait : un potentiel existe. « Je voulais une marque. C’en était une. Et tout était pourri dedans. » Traduction : tout était possible. Pour celui qui reconnaît aimer par-dessus tout les challenges, l’affaire est idéale. La conclure requerra dix-huit mois de négociation. Après quoi, l’entreprise d’assainissement peut commencer.
« J’ai taillé partout pour débarrasser l’entreprise de tout ce qui perdait de l’argent, raconte-t-il. Sur les huit filiales qui avaient été créées parce que les anciens propriétaires s’étaient évertués à racheter tous les concurrents malades, j’en ai fermé sept. Je suis revenu au chausson de danse de qualité. » Mais en 2002, un problème de trésorerie et un désaccord avec CITA poussent l’entreprise au dépôt de bilan. Repetto compte alors 85 salariés et son chiffre d’affaires n’atteint pas les 5 millions d’euros. Les candidats à la reprise affluent. Jean-Marc Gaucher se souvient les avoir reçus « dix par dix » avant d’obtenir en avril 2003 un plan de continuation dont il parvient à sortir deux ans plus tard. Quelques mois avant de remporter le prix du manager de l’année au Sommet du Luxe. Preuve que le premier pari est relevé et que Repetto fait désormais partie du sérail. Celui des marques de luxe.
Le temps, long
Et ce n’est qu’un début. Neuf ans plus tard, le chiffre d’affaires de l’entreprise – qui croît chaque année de 20 à 30% – avoisine les 60 millions d’euros et devrait passer la barre des 100 millions d’ici 2014. L’entreprise compte quelque 300 salariés et prévoit de tripler sa production sur son site de Dordogne, à Saint- Médard, qui devrait passer de 2 500 à 7 500 paires de ballerines et chaussons fabriquées par jour (et 30 paires environ de chaussons sur mesure). Son secret ? Ce que Gilles Deléris, cofondateur et directeur de la création de l’agence en communication et stratégie de marque W., appelle « une gestion raisonnable, tournée sur des logiques de temps long et de croissance pérenne ».
Logiques portées par un PDG qui, que ce soit en matière de stratégie financière, de management ou d’implantation géographique, privilégie d’autant plus volontiers le long terme que le départ de CITA, en 2002, a fait de lui l’unique actionnaire du groupe et donc, le seul maître à bord. Une position idéale pour cet ancien athlète reconverti à l’entrepreneuriat qui, de tous temps – celui des entraînements intensifs en vue des Jeux Olympiques comme celui du sauvetage de Repetto – affirme n’avoir jamais été porté sur la précipitation. Pas plus, d’ailleurs, que sur les demi-mesures. « Tout ce que je fais, je le fais pour le challenge ; par goût d’entreprendre et de réussir, résume-t-il. M’investir dans un projet dans le seul but de participer ne m’intéresse pas. Je cherche toujours à obtenir le maximum. » En terme de succès. Pas de rentabilité immédiate.
« Car venir d’un milieu pauvre m’a appris à ne jamais laisser l’argent motiver mes décisions », conclut-il. Raison pour laquelle, sans doute, les deux tiers des bénéfices engrangés sont depuis toujours réinvestis dans l’entreprise. Dans la communication, dans le design, dans l’innovation… En un mot, dans cette stratégie de diversification menée tambour battant et qui, en dix ans, aura permis à Repetto de s’émanciper de son territoire d’origine – la danse – pour en investir un nouveau, plus large et plus lucratif, sans jamais – et c’est là la clé de sa réussite – renoncer à ses valeurs et à son ancrage. A tout ce qui, autrement dit, permet aujourd’hui à la marque de vendre très bien et très cher des produits autres que des produits de danse.
« Nous faisons nos marges sur les ballerines ; nous ne gagnons pas d’argent sur la danse, reconnaît volontiers Jean-Marc Gaucher. La danse, pour nous, c’est l’Opéra de Paris, c’est Covent Garden, c’est le Ballet de San Francisco… C’est de l’image. » Et quelle image puisque c’est sur elle que repose tout le reste ! Ces collections de sacs, ballerines, chaussures à talons et bientôt de vêtements et de parfums qui, aujourd’hui, font vivre la marque. Tout simplement.
La clé, la diversification
Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce que l’entreprise se soit dotée, au cours des dernières années, d’un styliste chaussure et d’un styliste maroquinerie. Mais rien d’étonnant non plus à ce que quatre personnes travaillent à la fabrication sur mesure de chaussons destinés à près de 200 danseurs professionnels du monde entier qui, eux, ne lui rapporteront rien, si ce n’est de l’image. Ce qui, lorsque l’on s’appelle Repetto, est primordial.
« Nous les vendons 50 % de leur prix de revient (soit environ 22 euros pour un coût de fabrication de 40 euros) mais chausser les plus grands danseurs du monde, c’est de la communication rêvée, c’est notre territoire de marque, résume Jean-Marc Gaucher. C’est notre ancrage et la preuve que celui-ci est authentique. » Pour autant, il le reconnaît, « sans diversification, l’entreprise n’aurait pas survécu. On ne peut vivre uniquement sur la danse ». Lancés il y un an environ, les sacs représentent déjà près de 8 % du chiffre d’affaires. C’est dire l’enjeu considérable, en termes de retombées financières, de ce rééquilibrage de la production entrepris dès l’arrivée de Jean-Marc Gaucher aux commandes.
L’idée, l’alliance des contraires
Chez 4uatre, Victorine Censier résume : « Repetto, tel que Rose Repetto l’a créé il y a 65 ans, c’est l’élégance, le confort et la tradition. Jean-Marc Gaucher a fait évoluer la marque dans le respect de ces notions de départ, ce qui lui a permis de parvenir à ce paradoxe : s’appuyer sur ses valeurs d’origine pour la sortir de son univers unique de départ. En en tirant des produits non plus uniquement techniques mais fashion. » Avec, à l’arrivée, la rencontre improbable de deux mondes, celui du sport et celui de la mode, et des produits que, de la ballerine à 150 euros, à l’escarpin qui en vaut plusieurs centaines, tout le monde s’arrache.
Un succès commercial que Gilles Deléris attribue à cette alliance des contraires – « tradition et innovation, héritage et branchitude » – qui, loin de brouiller le message de la marque, aura permis de redéfinir son territoire, les premiers ingrédients du mix jouant la réassurance et les seconds assurant le renouvellement. « L’ancrage dans l’histoire donne à Repetto une caution d’excellence, explique-t-il. C’est un élément de statut qui la nourrit et lui permet d’accéder à un niveau de prix élevé, tout en affichant tous les signes de la modernité : des couleurs acidulées symboles de vitalité, un design moderne… On n’est pas uniquement dans le rose poudré et la tradition mais dans la modernité assumée. »
Celle du produit, certes, mais aussi du point de vente et de la communication. Avec, à l’arrivée, un message à destination du public extrêmement cohérent et surtout, un territoire de marque clairement défini autour de deux concepts : « la danse et une forme d’urbanité joyeuse ». Deux univers ancrés dans des imaginaires distincts, l’un pétri de tradition et de temps long, l’autre de modernité et d’éphémère, et tous deux portés par l’icône de la marque : le chausson.
Ce produit technique sur lequel elle a construit sa réputation et qu’elle customise aujourd’hui au moyen d’une stratégie d’innovation sans faille. Allant pour cela jusqu’à travailler en partenariat avec l’université de Compiègne, spécialiste des matériaux, techniques d’assemblage, pour parvenir à un produit à la fabrication rigoureuse et au design qui suscite l’envie. D’autant plus efficacement qu’il est sans cesse renouvelé. Porté par une politique d’innovation qui ne laisse pas le temps au produit de vieillir et au client de se lasser.
L’habileté, le choix de la rareté
Pour cela, l’entreprise multiplie les collections et les séries limitées ; conformément aux logiques de l’univers du luxe qui joue sur la rareté pour entretenir la curiosité et le désir. Précisément ce qu’a fait Jean-Marc Gaucher lorsque, pour relancer la marque au début des années 2000, il a l’idée de solliciter de grands créateurs pour créer de l’exclusivité. Premier d’une longue série qui verra s’enchaîner Yohji Yamamoto, Karl Lagerfeld ou encore Comme des Garçons, Issey Miyake signe une collection de ballerines Repetto en 2000. C’est la première fois, dans cette industrie, qu’une marque joue la carte de la collaboration. Pour Repetto, celle-ci va s’avérer doublement payante. Car le partenariat ne se limitera pas au produit, il s’étendra à sa distribution.
« Puisque, chaque fois que nous nous associons avec un designer de renom, les produits réalisés dans le cadre de ce partenariat sont exclusivement vendus dans son réseau », indique Jean-Marc Gaucher. Un trait de génie qui permettra à la marque de faire coup double : percer à l’étranger et, en France, s’assurer une immédiate montée en gamme. « En exposant nos produits dans les boutiques d’Issey Miyake et d’autres designers célèbres, on associait immédiatement la marque Repetto aux grands noms du luxe, poursuit le PDG du groupe. Ce qui nous a permis de nous retrouver dans des points de vente d’exception sans avoir déboursé un euro en communication. » La mécanique est en place. Reste à la décliner.
Ce que Jean-Marc Gaucher s’emploie à faire depuis maintenant douze ans en multipliant les partenariats avec des designers stars comme Jean Paul Gaultier, créateur de son célébre tutu-marinière, ou avec des people à la stature d’icônes, comme Catherine Deneuve et Mathieu Chedid. Bilan : une offre entièrement revisitée et surtout, démultipliée.
« Lorsque j’ai racheté, il existait un unique modèle pour homme – la fameuse Repetto blanche de Gainsbourg – et une ballerine de BB qui, à l’époque, était devenue un modèle pour « dames à pieds sensibles », poursuit-t-il. Aujourd’hui, nous comptons 430 références pour femmes et 20 pour hommes. » Par saison. Car chez Repetto, rien ne dure. Ou plus exactement, rien ne s’éternise. Pas de stock, pas de réédition, mais un sempiternel renouvellement des collections. Au minimum six par an. « Parce que je veux entretenir l’envie. Et que le meilleur moyen d’y parvenir consiste à créer la rareté, insiste Jean-Marc Gaucher. C’est pourquoi, chez nous, les modèles disparaissent tous au bout d’un certain temps, même s’ils marchent très bien. »
Une stratégie directement inspirée de l’univers du luxe et de ses codes qui permet non seulement d’alimenter l’envie mais aussi de lisser la production en évitant le piège du stock. « Toutes les entreprises qui meurent sont celles qui ont trop de stock et donc trop de frais fixes et pas assez de marges, assène-t-il. Notre stratégie de production nous a permis de contourner ces trois écueils. Tout ce que nous produisons se trouve dans nos boutiques. Et lorsqu’il n’y en a plus, on ne refabrique pas. »
Une stratégie encore une fois sans demi-mesure qui offre l’avantage d’entretenir efficacement ce statut de marque innovante qui aura permis à Repetto de rayonner au-delà de ses deux « territoires » d’origine : la danse et la France. Au point que 58 % de son chiffre d’affaires proviennent aujourd’hui de l’international, offrant ainsi à la marque une garantie de plus sur l’avenir selon son PDG pour qui, « la France représentant 3% de l’économie mondiale, il faudrait être fou pour croire qu’on peut se développer en pariant uniquement sur ce marché ».
Sans compter, rappelle-t-il, que « les produits français étant partout dans le monde associés au luxe, cela légitimise Repetto sur ce marché du très haut de gamme ». D’autant plus efficacement que la totalité des chaussons et ballerines – lesquels représentent 80 % des ventes du groupe – est aujourd’hui fabriquée en France, seules les chaussures à talons et les sacs provenant du Portugal et de Tunisie. La réputation du made in France, l’ombre de Brigitte Bardot et la caution de Jean Paul Gaultier… What else ?
Le nerf de la guerre, l’image
Réponse : une stratégie de l’image elle aussi rigoureuse et soumise à un impératif d’innovation perpétuelle. Véritable clé de voûte de l’édifice Repetto et fondement de son business model puisque c’est d’elle, on l’aura compris, que dépend tout le reste. Le positionnement luxe, les politiques de partenariat, les produits « grand public » pourvoyeurs de marges, la crédibilité de la marque et l’authenticité de son ancrage technique… De quoi justifier amplement que 10 % du chiffre d’affaires y soient consacrés chaque année et que Jean-Marc Gaucher en personne en assume les orientations. Lesquelles consistent en grande partie à multiplier les mises en relation avec l’univers de la danse – que ce soit par le biais d’un partenariat avec un film comme Black Swan ou en sponsorisant des ballets pour accroître la visibilité de la marque – mais impliquent aussi de veiller à la sauvegarde des valeurs – « la liberté, l’exigence, la rigueur, la grâce…. » – tout en justifiant un statut de marque innovante. Cornélien. Mais diablement efficace lorsqu’on y parvient.
Ce qui sera notamment le cas lorsque, à l’occasion des 60 ans de la marque, en 2007, Jean-Marc Gaucher propose à 60 artistes de créer un produit Repetto – ce qui donnera le tutu-marinière de Jean Paul Gaultier -, lequel sera par la suite vendu aux enchères au profit d’écoles de danse du monde entier. Opération qui suscitera un buzz considérable et donnera naissance à une fondation – « Danse pour la vie »- qui, chaque année, apporte son soutien à des écoles de danse aux quatre coins de la planète.
Autre coup de maître illustrant parfaitement cette double volonté de tradition et d’innovation : l’initiative de la marque qui, en mars dernier, crée l’événement lors de la Fashion Week en équipant son flagship de la rue de la Paix de la première vitrine interactive.
Basée sur la toute nouvelle technologie de la Kinect – la Wii sans manettes -, elle permettra des jours durant aux passants de modifier l’animation en cours en faisant défiler d’un seul geste de la main des scènes animées de ballets et de chorégraphie. Une prouesse technologique qui, là encore, permettra à Repetto de s’offrir un buzz retentissant et d’asseoir sa réputation de marque innovante, en termes de produits comme de communication. Au point, estime son PDG, de la préserver aujourd’hui de toute concurrence mondiale. « Nous en sommes protégés par le territoire de la danse, estime-t-il. C’est pour cela que l’on capitalise sur cet ancrage ; parce qu’il nous différencie des autres. Eux montrent un produit, nous nous montrons un univers. »
Le réseau, en propre
Univers d’autant plus riche qu’il manie en permanence les effets de contraste et que la logique d’innovation – qu’elle soit d’ordre technologique, comme la vitrine interactive, ou simplement design, comme ce présentoir rond qui, dans chaque boutique, aligne les ballerines en un nuancier de couleurs allant du pastel à l’acidulé – s’y mêle perpétuellement à l’écrin de la tradition. Exemple frappant de cette dichotomie savamment entretenue : les points de vente, véritables leviers de communication à part entière où tout est pensé pour mettre en scène l’univers de la danse dans ses codes les plus traditionnels. A commencer par celui de la rue de la Paix – adresse emblématique du groupe puisque c’est celle de ses premiers ateliers de fabrication – avec son authentique parquet d’opéra, ses tentures de velours rouges et son portier évoquant à la fois l’univers du luxe et celui du club privé.
Victorine Censier confirme : « Les points de vente jouent l’innovation tout en s’appuyant sur la tradition : l’élégance, la pureté, le tulle, le rose poudré sont omniprésents ; ils sont conçus et pensés pour mettre en scène les codes purs et durs de la danse. » Avec, encore une fois, des touches de modernité. De cette « urbanité joyeuse » qui permet à la marque de cultiver son héritage sans basculer dans la nostalgie. Un équilibre entre deux aspirations complémentaires, encore renforcé par la présence systématique d’anciens danseurs professionnels reconvertis à la vente. « Ce qui, souligne Jean-Marc Gaucher, renforce notre légitimité à la fois par la dimension conseil et par l’image de professionnalisme et d’authenticité qu’ils véhiculent. »
Créant, à l’arrivée, un espace de vente aussi efficace en termes de communication que 30 secondes de spot télévisé, estime Gilles Deléris pour qui « codes produits et codes boutiques permettent de créer un territoire physique de communication essentiel à la diffusion de l’image ». Surtout lorsqu’on cherche à rendre celle-ci cohérente « afin d’asseoir sa légitimité et de prouver que l’on n’est pas dans le story-telling mais dans le récit d’une histoire authentique ». Ce qui, confirme Jean-Marc Gaucher, est clairement le cas de Repetto. D’où l’importance capitale des points de vente et de tout vecteur d’image dans la stratégie globale de la marque.
« Repetto doit correspondre à un moment de fête et, pour cela, se trouver dans des espaces aptes à refléter ses valeurs ; ce que nous sommes les seuls à pouvoir nous offrir », résume-t-il avant de reconnaître : « Nos boutiques nous coûtent cher, mais encore une fois, c’est de l’image. » Et aussi, une protection supplémentaire contre les aléas de l’économie. Raison pour laquelle, depuis son arrivée, Jean-Marc Gaucher s’emploie à densifier le réseau. « Car en temps de crise, les magasins multimarques et trop généralistes souffrent. » Pour faire rempart, rien ne vaut un réseau en propre. Ce dont dispose désormais Repetto avec 22 boutiques en propre à l’étranger (et une trentaine prévue d’ici la fin de l’année) et 14 en France. Un beau palmarès – surtout lorsque l’on sait qu’au moment de son rachat, la marque était totalement absente de l’international – qui, pour Gilles Deléris, s’explique avant tout par le poids de l’immatériel.
La responsabilité, « durable »
« Il y a énormément d’affect autour de Repetto, explique-t-il. Un capital émotionnel issu de la danse, de l’imaginaire qu’elle véhicule et qui a permis de « stretcher » la marque vers d’autres produits pour la renouveler tout en gardant le meilleur de son ADN. C’est ce qui la rend cohérente. » Et c’est au nom de cette cohérence qu’elle renoncera il y a peu à s’implanter en Arabie Saoudite, pays des petites filles trop vite voilées et contraire, donc, aux valeurs de liberté et de féminité qu’elle revendique. Un choix que Jean-Marc Gaucher assume pleinement. « Je ne suis pas pressé ; ni par la recherche du gain, ni par la mode. C’est pourquoi je ne veux pas me développer partout et à n’importe quel prix, explique-t-il. Je veux faire bien les choses pour préserver l’unité de la marque et rester dans le respect de ses valeurs. »
Une politique de croissance durable qui pousse aujourd’hui Repetto à investir dans la formation de ses salariés, avec l’ouverture d’une école en Dordogne, à proximité du site de Saint-Médard. L’ambition est double : s’assurer la préservation d’un savoir-faire de qualité – avec la technique du cousu-retourné permettant d’assembler les chaussons sans colle – et fidéliser ses salariés en les encourageant à multiplier les allers-retours à l’école pour ajouter de nouvelles formations à leur bagage et améliorer leur salaire. « Si bien qu’en fin de parcours, souligne Jean-Marc Gaucher, certains sont capables d’accomplir la totalité des 200 tâches nécessaires à la fabrication d’un chausson et qu’un ouvrier moyen gagne chez nous 37,5% de plus que le SMIC. »
Une démarche de « transmission » dans laquelle il voit l’une de ses premières responsabilités de manager. Bien avant ce devoir de RSE qui, chez lui, passe par la Fondation du groupe et une démarche développement durable « en place depuis toujours ». « Je considère que notre première responsabilité est économique – or nous faisons des bénéfices depuis notre sortie du plan de continuation – et que la deuxième est sociale et consiste à offrir des opportunités à nos salariés, en terme d’augmentations mais aussi d’évolutions ; ce que nous faisons. » Une démarche qui, en ancrant Repetto dans un territoire économique, contribue clairement à son succès actuel, estime Gilles Deléris.
« Le fait que l’entreprise ait créé beaucoup d’emplois et formé des dizaines de techniciens à sa méthode de fabrication suscite une véritable fierté d’appartenance qui commence sur le site de production et se poursuit dans les boutiques, ce qui a contribué à rendre la marque à nouveau désirable. » Seul véritable enjeu désormais : le rester. Et ceci sur un marché non plus technique et quasi captif mais, et c’est sans doute le seul revers de cette reconversion réussie, sur un secteur volatil par nature. « La mode est éphémère, rappelle Victorine Censier. D’où la difficulté pour une marque devenue tendance et donc nécessairement exposée à ses revirements. » Surtout si ses succès sur le marché de la mode devaient l’emmener à négliger cette dimension « pro » sur laquelle repose l’intégralité de son business model et donc, de sa réussite. L’objectif tient donc désormais en un mot : durer. Un challenge sur mesure, après tout, pour un ancien marathonien adepte de l’effort longue durée.
Article réalisé par Caroline Castets / http://www.lenouveleconomiste.fr)
Boutiques Repetto Paris :
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