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Bioéconomie : placer le vivant au coeur du moteur de l’économie

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Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a présenté ce 18 janvier la stratégie française pour soutenir la bioéconomie. Le terme de bioéconomie désigne la production et la transformation des biomasses d’origine agricole, forestière, marine ou issue de déchets. Ces ressources peuvent être utilisées non seulement pour nous nourrir mais aussi pour bâtir, rouler, nous vêtir, nous guérir ou fabriquer toutes sortes de matériaux biosourcés pour faire des pneus, des plastiques ou des habitacles automobiles…
Mal connue, la bioéconomie propose pourtant un cadre vertueux englobant qui permet d’envisager une vision intégrée et circulaire des productions en tenant compte du vivant et de sa régénération. La vouloir vraiment, exige des signaux politiques : taxe carbone, subventions, incitations, achats publics… pour sortir d’une concurrence déloyale avec les énergies fossiles.
 
Nous l’avons oublié : l’économie est le fruit de nos écosystèmes. Oui, les ressources fossiles – en permettant une industrialisation basée sur les moteurs à combustion et  la chimie de synthèse – nous ont fait perdre de vue notre dépendance aux ressources vivantes. Mais l’épuisement du pétrole, le déni des externalités négatives (CO2, pollutions, éreintement des réserves…), l’effondrement des capacités de résilience des milieux et le réchauffement de la planète…  obligent les entreprises à changer de cap.
Contrairement à ses voisins allemands, hollandais, finlandais ou britanniques et aux engagements européens depuis 2012 en matière de bioéconomie, la France a tardé à afficher sa feuille de route. C’est chose faite après un travail initié en 2015 associant les ministères de l’économie, de la recherche, de l’environnement et de l’agriculture, en lien étroit avec les institutions et les acteurs industriels et associatifs concernés, notamment pôle industries agroressources (IAR) et les syndicats et coopératives agricoles.

Faire du carbone renouvelable le socle de l’économie française

Le rapport publié définit les priorités que le gouvernement entend assumer en matière de bioéconomie. Cette « économie de la photosynthèse, et plus largement du vivant  repose sur la production, la mobilisation accrue et la valorisation optimisée de la biomasse. Il s’agit de miser sur une ressource à la fois abondante, renouvelable et gratuite« , selon Stéphane Le Foll qui souligne que la biomasse constitue déjà la moitié du mix des énergies renouvelables.
Diagramme des principales filières de conversion énergétique de la biomasse
 
Mais cette mine n’est pas pour autant illimitée. Tout l’intérêt de la bioéconomie est d’adopter une vision industrielle systémique et cohérente. Si l’on prend l’exemple des pailles, de multiples débouchés se créent avec l’usage comme isolant dans la construction ou pour l’énergie. Mais ces nouvelles filières sont à penser en adéquation avec les équilibres organiques des sols (besoin de retour au sol d’une partie des pailles). On saisit combien le sujet des arbitrages va être crucial pour un développement soutenable de la bioéconomie. La feuille de route française pointe ainsi des zones de friction et de controverse à aborder en lien étroit avec les acteurs : les compétitions d’usage des terres (alimentation versus chimie ou énergie), le recours aux biotechs blanches (microorganismes modifiés) ou vertes (OGM), les biocarburants (à partir de quelle matière première ?) ou le biocontrôle (organismes auxiliaires) et son cadre règlementaire…
 
 
Pour porter ces préoccupations et établir les priorités d’action, un Comité stratégique, rassemblant les acteurs déjà auditionnés, sera mis en place au printemps 2017. La question des relations avec la société sera au centre de sa mission afin de faire connaître les atouts de la France, l’intérêt du biosourcing et pour explorer ce que l’on veut collectivement faire faire à la bioéconomie.
 
Car tout l’enjeu de la diversification des usages du vivant va être d’agir de manière soutenable. C’est pourquoi le Conseil économique, social et environnemental s’est auto-saisi l’an dernier sur ce thème Vers une biéconomie durable. De nombreuses auditions ont été réalisées et le rapport devrait être publié au printemps. Pour Jean-David Abel, co-rapporteur de ce travail, « les concurrences d’usages vont aller croissant et nécessitent une interaction pérenne entre les acteurs concernés ». C’est l’objectif poursuivi par le Forum BioRESP qui, à la suite du Festival vivant 2016, fédère ses partenaires pour faire vivre une plateforme de dialogue pour une bioéconomie viable et désirable. Le programme européen BioStep explore les voies pour promouvoir l’engagement des parties prenantes et la prise de conscience des enjeux de la bioéconomie pour sa gouvernance.

Des marchés considérables en émergence

En Europe, la bioéconomie devrait constituer un marché de 2 000 milliards d’euros à l’horizon 2020. Près de 200 000 nouveaux emplois pourraient être créés dans cette filière… En 2014, a été mis en place un Partenariat Public-Privé (50 % industriels – 50 % Commission Européenne) pour les industries biosourcées (BBI). Cet effort s’est traduit par un milliard de subventions accordées par l’Europe pour la période 2014-2020, dont 600 millions sont affectés à des unités industrielles de démonstration ou étendards.
 
Les initiatives se multiplient. De nombreux projets concernent les bioraffineries du futur comme EuroBioRef vise à mettre au point une nouvelle génération de bioraffinerie, traitant l’ensemble du processus de transformation de la biomasse : de la production de cultures non-comestibles, jusqu’aux produits finaux (carburants, intermédiaires chimiques, solvants…), afin de développer une bioraffinerie durable. Actuellement en Europe, 37 bioraffineries ont été montées.
Certaines des plus performances sont en France. Par exemple l’ensemble industriel Bazancourt-Pomacle (près de Reims) représente 1,2 milliard d’euros d’investissement cumulés, 700 millions d’euros de chiffre d’affaires et 1 200 emplois directs. Cette plateforme est le résultat des efforts des coopératives Vivescia (base blé) et Cristal Union (base betterave à sucre qui rassemblent 12 500 exploitants agricoles de la Champagne-Ardenne. On peut aussi mentionner la bioraffinerie de Lestrem (Pas-de-Calais) du Groupe Roquette qui utilise des pommes de terre, et des pois.
 
Site de Bazancourt-Pomacle
 
Mais c’est certainement dans la chimie du végétal que les ruptures les plus marquantes sont attendues. Car la capacité à transformer la biomasse (les matériaux organiques issus du végétal) en biocarburants, polymères (l’équivalent du plastique), solvants, etc., est sans doute la solution future pour échapper à la dictature du pétrole qui rentre dans la constitution de 95 % de nos produits manufacturés.
Des substitutions reprenant la chimie des hydrocarbures sont réalisées (par exemple l’isobutène de Global Bioenergies) ou le farnesene (carburant issu du sucre de canne) produit par Amyris (Californie) en utilisant des usines cellulaires (levures). On peut aussi créer de nouvelles molécules d’intérêt, comme l’isosorbide (non accessible à partir du pétrole) qui constitue une nouvelle plateforme chimique à partir de laquelle on peut faire des polycarbonates, des polyuréthanes, des polyesters, ou des dérivés tels que les diesters. Un bel exemple de passage du pétrosourcé au biosourcé concerne le pneu : le projet Biobutterfly (52 M€) qui implique Michelin, l’Ademe, Axens et Tereos, doit aboutir à la création d’une filière de caoutchouc synthétique à partir du butadiène biosourcé. Ces avancées seront au cœur du prochain sommet de Lille, le Biobased Summit du 25 au 27 avril 2017.
 
Dans cette nouvelle économie, les biodéchets deviennent des ressources à ne pas négliger. Le sujet est au cœur du programme BioREG coordonné par le Cabinet rouennais CEDEN.

Pas de transition sans volonté politique

Malgré ce vaste paysage des « possibles », la bioéconomie ne pourra pas jouer son rôle d’ajustement de notre économie aux limites naturelles, sans un engagement politique de transition. Car, il ne peut y avoir compétitivité de la bioéconomie avec un baril de pétrole à moins de 80 euros. De plus, les distorsions de concurrence sont en place pour continuer le business as usual : les énergies fossiles sont subventionnées à hauteur de près de 500 milliards de US dollars (2014, OCDE) ; si l’on ajoute les impacts environnementaux, on atteint un appui préférentiel de 6 000 milliards de US dollars (FMI).
 
Dans son ouvrage qui vient de paraître « Compétitivité et soutenabilité de la bioéconomie à l’horizon 2050 », l’économiste Pierre-Alain Schieb explicite trois scenarios d’avenir peu réjouissants. « Si nous ne faisons rien et restons avec un baril de pétrole à 45 dollars, nous voyons à l’horizon 2050 le recours au charbon doubler en Europe, la production de betterave se réduire de 43% et les importations de biomasse devenir massives (pellets de bois, huile de palme…) ». Le modèle utilisé, basé sur le Global Change assessment model (GCAM) du département de l’énergie des Etats Unis, corrobore des tendances mises au jour par la FAO.
 
Dans une interview donnée à The BioJournal, John Bell directeur de la bioéconomie à la DG Recherche et innovation de la Commission européenne, discute « de la nécessité de sortir notre économie de sa dépendance à l’égard des ressources fossiles ». Le journaliste italien Mario Bonaccorso évoque  la distorsion de concurrence entre pétrole et bioéconomie dans laquelle nous sommes. John Bell souligne l’importance des parties prenantes et des territoires pour réaliser les transitions. Il est aujourd’hui aux manettes pour la révision de la stratégie bioéconomie européenne. Quel pourra être le signal puissant pour faire décoller la bioéconomie, à l’heure où Exxon investit 8 milliards dans les gazs de schistes ?
 
 
 

A LIRE AUSSI : « Bioraffinerie 2030: Une question d’avenir » par Pierre-Alain Schieb – Edition L’Harmattan, Paris, 2014

 

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