La nature pour inspirer les usines ! A l’occasion du Plant Based summit qui s’est tenu les 25 et 26 avril 2017 à Lille, les acteurs de la bioéconomie ont livré leurs trésors d’ingéniosité pour diversifier les marchés de la biomasse. La construction, la cosmétique, l’automobile, les secteurs des peintures, des emballages, du sport sont en pleine reconversion pour s’affranchir du pétrole : bois bionique, fibres végétales pour isoler les bâtiments ou mouler des portières de voitures, peintures biosourcées capables de capter le formol, acide polylactique (PLA biodégradable) issu du maïs pour remplacer les emballages non recyclables… Les défis sont de produire ‘à pas cher ‘ alors que le prix du baril de pétrole est dérisoire et que l’intérêt d’un bon bilan carbone n’est pas encore aujourd’hui monnayable !
« On ne peut plus continuer à produire les montagnes de plastique qui grossissent le 6e continent au milieu de l ’Atlantique ! « déclare John Persenda, fondateur de Sphère, entreprise fabricant des sacs plastiques depuis 1976. « Il faut des lois comme celle sur la transition énergétique pour changer nos modes de vie et entrainer tous les pays vers le biosourcé « . Sa société Sphère a créé la joint-venture Vegeos qui fournit des sacs biodégradables (en résine bioplast® fabriquée à partir de pommes de terre féculières) pour les rayons fruits et légumes ou les capsules de café. Un marché en forte croissance…
La mobilisation est la même du côté des responsables emballages des géants comme Nestlé ou Danone. Philippe Diercxsens du département des affaires réglementaires du groupe Danone rappelle que « nous produisons plus de 350 millions de tonnes de plastiques par an, soit 20 fois plus qu’il y a 50 ans. Avec quantités d’externalités négatives : il y a autant de morceaux de matières plastiques dans les océans que de poissons ! »
La part du plastique c’est 15% de l’empreinte totale de la planète (source Fondation Ellen McArthur). Aussi le groupe Danone a-t-il intensifié ses recherches pour sortir de cette fuite en avant désastreuse. Danone waters a signé un contrat avec Origine materials pour disposer de bouteilles biosourcées (PET à partir de fibres cellulosiques) à moyen terme.
Pour l’heure, les pilotes de cette mutation sont prudents car il ne faut pas induire des comportements contre-productifs. Il faut en effet bien distinguer les notions : biosourcé ne veut pas dire biodégradable, qui ne veut pas dire compostable… Le Centre européen de normalisation (CEN) a fourni des repères avec des définitions pour ces diverses propriétés.
Pour Philippe Diercxsens, « Danone ne souhaite pas promouvoir les filières de compost et de biodégradabilité pour le packaging ; en effet ces filières sont encore trop peu développées et prétendre à ces filières détourneraient ces emballages des filières de collecte de tri et de recyclage », estime-t-il. Il considère qu’il y a toujours un déficit de connaissance chez les consommateurs sur ce que ‘biodegradabilité’ veut réellement dire. Il précise : « Nous avions découvert que beaucoup de personnes comprennent le terme biodégradable comme une autodestruction rapide et totale dans des conditions normales alors qu’il s’agit d’un process extrèmement normé en temps, température et humidité, conditions qui ne se retrouvent pas dans nos environnements naturels externes ».
La remarque illustre une caractéristique de cette bioéconomie émergente : complexité qui exige de trouver les équilibres. « La bioéconomie est une notion qui vise à décloisonner et à traiter les activités dans des écosystèmes. Elle change les relations entre les organisations et la répartition des valeurs », souligne Thierry Stadler, Président du pôle de compétitivité Industries et Agroressources (IAR) et vice-président de l’association Chimie du végétal (ACDV) à l’initiative du Plant Based Summit.
Les nouveaux produits sont peu perceptibles par le grand public car leurs clients sont des intégrateurs (B to B) qui ne mettent pas forcément en valeur les changements de composants (exemple : les tableaux de bord ou intérieurs des portières biosourcées fabriquées par Faurecia). « La valeur ajoutée du recours aux biomasses, c’est une moindre empreinte CO2, poursuit Thierry Stadler. Ce sont les modes de production des biomasses qui vont être déterminants : ils peuvent contribuer jusqu’à 50% aux bilans carbone ».
Cela veut dire que les analyses des cycles de vie (ACV) doivent être territoriales. L’Ademe a publié récemment une étude intéressante comparant l’analyse du cycle de vie d’un panneau de portière de voiture biosourcé et celle d’un panneau pétrosourcé. Ces comparatifs sont rares car ils se heurtent à la confidentialité de certaines données stratégiques des fabricants.
Fibres végétales utilisées pour la fabrication automobile chez Cavac Biomatériaux
La rencontre PBS Lille témoigne de démarches judicieuses en amont comme en aval. Les chimistes comme Arkema exposent des chaussures de sport où les polyamides issus du pétrole ont été remplacés par l’élastomère Pebax®, fait à partir de ressources renouvelables.
Solvay présente aussi sa gamme de produits faits à partir de graines de guar (Cyamopsis tetragonoloba taubl).
Chez Covestro spécialiste, notamment, des matières premières pour vernis, adhésifs et peintures, Jean-Claude Clergue souligne que « Covestro s’engage dans des démarches économes en matières. Nous optimisons les processus – en diminuant la consommation de solvants et d’énergie- notamment pour la production en phase gazeuse du TDI (diisocyanate de toluène à la base du polyurethane) qui sert à faire des sièges automobiles, des matelas…. Nous utilisons aussi le CO2, considéré comme un déchet pour produire en partie des polyols (Cardyon®) », Covestro propose des solutions alternatives non pétrolières. Le Groupe a d’ailleurs sorti deux isocyanates biosourcés à partir de maïs non destiné à l’alimentation humaine : le Desmodur® eco N 7300 (réduction de 30 % de l’empreinte carbone par rapport à la référence pétrolière) et le Bayhydur® eco 7190.
A l’autre bout de la chaine, les recycleurs sont tout aussi créatifs. La start up KaeXa, basée à Montpellier, propose des solutions de valorisation des effluents ou rebuts. «Les coproduits que l’on peut générer dépassent parfois la valeur du produit », raconte Abdelkader Guellil qui défend de ce fait, la notion d’économie hélicoïdale plutôt que circulaire.
Pour saisir le foisonnement actuel des produits biosourcés, il faut se référer à l’Agrobiobase porté par le pôle IAR et qui recence plus de 300 produits aujourd’hui sur le marché. Globalement, le bénéfice environnemental donne un premium de 10 à 15% aux matériaux biosourcés par rapport aux produits pétrosourcés. D’autres atouts résident dans les fonctionnalités comme l’allègement des structures dans les transports (-30% du poids avec matières composites avec du chanvre ou du lin). « Les marchés les plus porteurs aujourd’hui sont ceux de la détergence, des biolubrifiants, des peintures biosourcées, insiste Thierry Stadler. Ce qui est important à souligner ce sont les nouveaux procédés (extraction, génie génétique et enzymatique…) qui permettent de déconstruire la lignocellulose pour récupérer des sucres, la lignine et des résines ».
« La bioéconomie c’est un outil de mise en cohérence, pour tenir tous les bouts de la soutenablilité, estime Pierre-Alain Schieb, prospectiviste, ancien chef de projet à l’OCDE, premier titulaire de la Chaire de Bioéconomie Industrielle de Neoma Business School. Les gens sont focalisés sur les questions climatiques ou les usage des sols et n’intègrent pas assez l’ensemble des exigences, ce qui conduit à des politiques qui ne sont pas robustes ».
Pierre-Alain Schieb pointe les subventions déguisées au secteur pétrolier : « La non taxations des carburants pour le transport aérien et maritime international constitue un manque à gagner pour la France de 6 milliards d’€ par an (70 Milliards d’€ pour le monde) ». Cet état de fait est le résultat de la Convention de Chicago (1954) qui exonère le transport international aérien de toute taxe sur les carburants.
Pour l’OCDE, cela représente une subvention directe au secteur pétrolier d’un montant de 350 milliards de dollars aujourd’hui. Le Fonds monétaire international estime que, si l’on inclut les coûts environnementaux afférents, le manque à gagner est de 5 000 milliards de US dollars.
« Si ces subventions aux ressources fossiles ne peuvent être supprimées, conclut Pierre-Alain Schieb, il serait logique de fournir des compensations en faveur des productions biosourcées dans les territoires ». On comprend l’importance des régulations et incitations pour ce secteur du biosourcé en pleine effervescence.
Après avoir lancé la stratégie française sur la bioéconomie en janvier 2017, Le ministre Stéphane Le Foll a ouvert le 25 avril, la consultation vers les parties prenantes sur le plan d’action en six axes qui a été proposé. La dimension territoriale apparaît comme un levier clé comme l’explicite l’article de Jean-Marc Callois, intitulé Pourquoi les territoires doivent s’emparer de la bioéconomie. Un propos martelé par Waldemar Kütt, directeur de l’unité des produits biosourcés de la DG recherche à Bruxelles : » La bioéconomie, c’est une opportunité unique de reconnecter l’économie, la société et l’environnement « .
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