Les tissus biologiques ont des propriétés mécaniques complexes, difficiles à reproduire avec des matériaux de synthèse. Une équipe internationale a réussi à produire un matériau synthétique biocompatible qui se comporte comme les tissus biologiques et change de couleur en se déformant, comme la peau des caméléons. Ils augurent de matériaux inédits pour des dispositifs biomédicaux.
Pour produire un implant médical, il est nécessaire de choisir un matériau aux propriétés mécaniques similaires à celles des tissus biologiques, au risque de provoquer inflammation ou nécrose. Bien qu’ayant connu un essor rapide ces dernières années, l’industrie implantaire n’est pas encore en mesure d’offrir un système qui puisse remplacer ou réparer à la perfection la peau ou des os endommagés par un traumatisme ou par une maladie. De plus, le corps humain est un environnement extrêmement corrosif pour le matériau implanté, et il n’existait pas encore de biomatériau capable d’éliminer la réaction qui se produit au contact d’un organisme vivant.
Les implants doivent s’adapter le mieux possible au corps du patient et rapidement être assimilés afin d’être efficaces et de remplir le rôle qui leur a été assigné (maintenir, assister ou redonner sa mobilité au patient). Or nombre de tissus dont la peau, la paroi intestinale ou le muscle cardiaque, ont la particularité d’être souples tout en durcissant quand on les étire. Jusqu’à présent, il était impossible de reproduire ce comportement avec des matériaux synthétiques. « La création d’un matériau qui se comporte comme la peau est très difficile « , expliquait Barbara Gilchrest, dermatologue au Massachusetts General Hospital et principale auteure d’un article sur le XPL (1) publié dans la revue Nature Materials. « Beaucoup de gens ont essayé de le faire, et les matériaux qui sont disponibles jusqu’à présent ne sont pas aussi flexibles, nourrissants et protecteur que la vraie peau », ajoute-t-elle.
Les chercheurs du CNRS, de l’Université de Haute-Alsace (2) et de l’ESRF, le Synchrotron européen, avec des collègues des universités américaines de Caroline du Nord et d’Akron, ont tenté de le faire avec un unique polymère (3). Pour cela, ils ont synthétisé un élastomère particulier composé d’un bloc central sur lequel sont greffées des chaînes latérales (comme un goupillon), et prolongé à chaque extrémité par deux blocs terminaux (voir figure). Les chercheurs ont trouvé qu’en choisissant bien les paramètres structuraux du polymère, le matériau suivait la même courbe de déformation qu’un tissu biologique, en l’occurrence la peau de porc. Par ailleurs, il est biocompatible puisqu’il ne nécessite pas d’additifs et reste stable en présence de fluides biologiques comme à l’air libre.
Haut – à gauche : structure moléculaire d’un plastomère synthétisé dans ce travail ; à droite : structure supramoléculaire formée par l’assemblage de plastomères identiques.
Bas – à gauche : courbes contrainte-déformation pour des plastomères (« M300-2 » et « M300-3 ») qui miment le comportement mécanique des échantillons de peau de porc (« porcine », en coupe transversale ou longitudinale) ; à droite : image montrant la coloration iridescente des plastomères. Les bords sont moins bleus parce qu’ils reçoivent la lumière avec un angle différent.
© D.A. Ivanov et S.S. Sheiko
Une autre propriété du matériau est apparue lors des expériences : sa couleur change en fonction de son état de déformation. Comme l’ont montré les scientifiques, c’est un phénomène purement physique, qui naît de l’interaction de la lumière avec la structure du matériau. Des observations en microscopie à force atomique et des expériences de diffusion de rayons X ont montré que les blocs terminaux de ces polymères se rassemblent en sphères nanométriques, réparties dans une matrice formée par les structures en goupillon. La lumière interfère avec cette architecture, qui diffuse une couleur donnée selon la distance entre les sphères ; un étirement du matériau se traduit donc par un changement de couleur. C’est le même mécanisme qui explique – en grande partie – comment les caméléons changent de couleur (Homochromie variable (4)).
Les chercheurs ont donc réussi à encoder dans un unique polymère synthétique à la fois des propriétés mécaniques (souplesse, profil de déformation) et des propriétés optiques, ce qui n’avait encore jamais été réalisé.
En ajustant la longueur des différentes chaînes ou la densité des chaînes latérales de la « brosse », il est possible de moduler ces propriétés.
Cette découverte pourrait déboucher sur des implants médicaux ou prothèses plus personnalisés (implants vasculaires, implants intraoculaires, remplacement de disques intervertébraux), mais aussi sur des matériaux aux profils de déformation complètement inédits, aux applications encore insoupçonnées.
Ces résultats, auxquels ont contribué des chercheurs du CNRS, de l’Université de Haute-Alsace (3) et de l’ESRF, le Synchrotron européen, avec des collègues des universités américaines de Caroline du Nord et d’Akron, sont publiés le 30 mars 2018 dans la revue Science (5).
Source : CNRS – 29/03/2018
(1) XPOL : une « seconde peau » capable de protéger et raffermir l’épiderme créée par une équipe de scientifiques du MIT et de l’Ecole médicale de Harvard en 2016
(2) À l’Institut de sciences des matériaux de Mulhouse (CNRS/UHA) et au Laboratoire de physique et mécanique textiles (UHA).
(3) Les tissus biologiques, eux, sont composés de cellules et de molécules comme, dans le cas de la peau, le collagène, rigide, et l’élastine, flexible.
(4) Homochromie variable : la capacité d’un animal à changer de couleur rapidement et réversiblement en quelques secondes à quelques heures, soit l’aptitude d’un animal à harmoniser ses couleurs avec celles de son environnement. L’homochromie est à différencier du mimétisme vrai qui correspond à la ressemblance extérieure et généralement permanente entre deux espèces appartenant à des clades plus ou moins éloignés.
(5) Références : Chameleon-like elastomers with molecularly encoded strain-adaptive stiffening and coloration. M. Vatankhah-Varnosfaderani, A.N. Keith, Y. Cong, H. Liang, M. Rosenthal, M. Sztucki, C. Clair, S. Magonov, D.A. Ivanov, A.V. Dobrynin, S.S. Sheiko. Science, 30 mars 2018. DOI : 10.1126/science.aar5308
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