Arthur Zang, jeune ingénieur camerounais de 24 ans, a conçu la première tablette africaine à usage médical. Son utilité : consulter les malades à distance et transférer, via un téléphone portable, les fréquences cardiaques des patients. Cette aide au diagnostic pour les cardiologues pourrait éviter aux patients des centaines de kilomètres pour consulter un spécialiste, face à la situation alarmante de la santé publique au Cameroun.
Le problème fondamental du système de santé au Cameroun est la forte gestion administrative centralisée, la santé étant principalement financée par l’Etat. Les pesanteurs nationales telles que la corruption, et des décisions politiques internationales portant atteinte au droit à la santé (en arrêtant ou suspendant par exemple certains fonds comme le fond SIDA par le Global Fund), accentuent la mauvaise gouvernance qui se caractérise aussi par une concentration des ressources matérielles, humaines et techniques principalement dans les zones urbaines.
Selon la recommandation de l’OMS, le budget alloué à la santé devrait être de 10% du budget annuel national. Alors qu’à ce jour, il tourne autour de 5%. Ce budget est fondamentalement insuffisant pour doter toutes les régions du Cameroun d’infrastructures sanitaires adéquates, d’équipements, de médicaments, de ressources humaines quantitativement et qualitativement fiables.
Il faut ajouter l’absence de coordination efficace des interventions, la faible implication des communautés dans la prise des décisions, l’incapacité d’absorption des financements mis à disposition et une faible appropriation par le système des actions des partenaires extérieurs. Les centres publics de santé ont des infrastructures vétustes, un équipement obsolète faute de maintenance. L’absence de crédits en est la justification. L’inaccessibilité géographique des centres de soins pour les populations rurales et la pauvreté sont autant d’atteintes au droit à la santé. 54% de la population habitent à plus de 5 km d’un centre de santé. Une série d’études et de consultations du gouvernement camerounais montre que la fréquentation des centres de santé ralentie à cause de l’appauvrissement des patients.
On compte une trentaine de cardiologues pour 20 millions d’habitants. La situation dans les zones rurales est encore plus inquiétante, car ces spécialistes ne s’y rendent pas toujours, préférant s’installer dans les métropoles. Dans les rares hôpitaux dotés d’un service de cardiologie, les files d’attente sont interminables, et il n’y a pas toujours le matériel adéquat pour le diagnostic. Conséquence : des milliers de Camerounais meurent chaque année d’accidents cardio-vasculaires ou de toute autre maladie liée au cœur faute de soins.
Face à ce constat, Arthur Zang, 24 ans, ingénieur en génie informatique et diplômé de l’Ecole nationale supérieure polytechnique de Yaoundé, a décidé d’agir. Son stage académique à l’hôpital général de Yaoundé en 2010 y a été pour beaucoup. Le jeune homme a donc conçu une tablette tactile : Cardiopad.
Dans un premier temps, cette tablette fait transiter les fréquences cardiaques du malade captées par un terminal spécialement conçu vers des serveurs, où elles sont stockées et traitées avant d’être transmises au cardiologue via le réseau GSM. Le spécialiste détient aussi un Cardiopad, sur lequel il reçoit les résultats, les interprète et prescrit une médication. Une encyclopédie de maladies cardio-vasculaires est intégrée à l’appareil pour aider le cardiologue à faire son diagnostic.
Ainsi, un patient du village de Gado, dans l’est du pays, à des centaines de kilomètres de Yaoundé et de Douala, n’aura pas à se déplacer vers la ville pour consulter. Le prototype est un écran tactile de 10 pouces (25 cm). Toutefois, l’ingénieur indique qu’il peut avoir plusieurs tailles. Mais combien coûtera le Cardiopad ? « Il ne sera pas trop cher. En général, les appareils médicaux sont très onéreux. L’électrocardiographe, par exemple, n’autorise pas le transfert des résultats cardiaques ni leur sauvegarde. Il permet juste de les analyser et de les imprimer et coûte au minimum 2 millions de francs CFA (3 000 euros). Cardiopad sera beaucoup moins cher », explique Arthur Zang.
Présenté à la compétition internationale Imagine Cup 2011 aux Etats-Unis, ce projet, ainsi que le détaille Fatimatou Sow, responsable des relations publiques de Microsoft Afrique, s’est classé premier dans la catégorie « développement embarqué ». La compétition réunissait les meilleures écoles des pays avancés en matière de technologie, tels que la Corée du Nord, le Japon, l’Inde, la Chine ou encore les Etats-Unis. Mais, parce qu’il n’a pas eu de challengers dans cette catégorie en Afrique, le projet n’a pas été retenu pour la finale, qui avait à la clé un prix de 100 000 dollars (75 000 euros)… « Il faut absolument un concours régional pour être sélectionné, explique Arthur Zang. Et les Africains engagés dans cette compétition avaient tous opté pour la catégorie « conception logicielle », moins compliquée que celle dans laquelle Arthur Zang avait choisi de concourir.
Actuellement, le jeune homme est en quête de financement pour concrétiser son projet : doter toutes les régions du Cameroun de centres de télécardiologie. « Avec 25 000 ou 30 000 euros, je peux produire vingt ou vingt-cinq tablettes Cardiopad. Certains Cardiopad seront destinés aux cardiologues et d’autres iront dans les centres de télécardiologie de chaque région. Contrairement aux tablettes tactiles occidentales qui servent à communiquer avec des proches ou à travailler, Cardiopad, première tablette tactile camerounaise et africaine à usage médical, est destiné à sauver des vies humaines.
Microsoft Afrique Centrale a suivi de près les travaux autour du Cardiopad. Le directeur s’est déplacé en personne pour rencontrer ce jeune ingénieur : « Il faut intégrer à Cardiopad une intelligence d’acquisition. Qu’elle soit analogique ou numérique. On doit pouvoir à terme se libérer de la contrainte d’un cardiologue », a-t-il conseillé. Maintenant, il ne reste plus qu’à mettre au point le financement. Le besoin serait de 30 000 € pour obtenir 25 Cardiopad et couvrir ainsi la totalité du territoire camerounais.
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