Tout a été dit et écrit sur Son Excellence Stéphane HESSEL, avec passion, avec émotion. Et notre douce France qui courbe l’échine de plus en plus, touchant à terre, s’est redressée le jour de la mort de Son Résistant, comme s’il lui rendait une dernière fois sa dignité. Il venait de « lever » cette dernière décennie la nouvelle génération de résistants : « les indignés ».
» CRÉER C’EST RÉSISTER. RESISTER C’EST CRÉER «
« A ceux et celles qui feront le XXIème siècle, nous disons avec notre affection : créer, c’esr résister. Résister, c’est créer ». C’est par cette citation que Stéphane Hessel a souhaité conclure son manifeste Indignez-vous.
J’ai souhaité pour cet Adieu retracer « l’archéologie » de ce slogan devenu planétaire depuis la publication du manifeste en 2010.
Cette ultime clôture du discours d’un résistant était la reprise du slogan de l’Appel du 8 Mars 2004 du Conseil National de la Résistance.
Déjà en 2002, le slogan a trouvé sa première synthèse en France dans le titre de l’Essai » Résister, c’est créer » publié par Florence Aubenas et Miguel Benasayag, les deux essayistes ayant chacun expérimenté la Résistance sur théâtre de guerre, deux personnalités engagées proches de Stéphane Hessel.
En 1999, Le Collectif Malgré Tout, cofondé par Miguel Benasayag, publie le Manifeste du Réseau Alternatif à Buenos Aires. Le premier article s’intitule « Résister c’est créer » et je cite en entier cet article 1 du manifeste de Buenos Aires tant il est fondamental comme appel à l’innovation politique :
« 1. Résister c’est créer
Contrairement à la position défensive qu’adoptent le plus souvent les mouvements et groupes contestataires ou alternatifs, nous posons que la véritable résistance passe par la création, ici et maintenant, de liens et de formes alternatives par des collectifs, groupes et personnes qui, au travers de pratiques concrètes et d’une militance pour la vie, dépassent le capitalisme et la réaction. Au niveau international, nous assistons aujourd’hui au début d’une contre-offensive à la suite d’une longue période de doutes, de marche arrière et de destruction des forces alternatives. Ce recul a été largement favorisé par la volonté de la logique néolibérale et capitaliste de détruire une bonne partie de ce que cent cinquante ans de luttes révolutionnaires avaient construit. Dès lors, résister, c’est créer les nouvelles formes, les nouvelles hypothèses théoriques et pratiques qui soient à la hauteur du défi actuel. »
Donc, lorsqu’à la fin de l’introduction de cet essai, Miguel Benasayag et Florence Aubenas évoquent Gilles Deleuze comme source d’inspiration du titre de l’essai, comme du premier article du « Manifeste du Réseau de Résistance Alternatif », ils reconnaissent Deleuze comme le précurseur de la théorisation de la résistance comme réseau créatif.
Lorsque l’on écoute la vidéo de l’Abécédaire de Gilles Deleuze, à « R comme résistance » c’est en réalité l’interlocutrice de Deleuze qui prononce en premier « résister c’est créer ». Deleuze semble passer à côté de l’expression, pour diriger sa pensée sur la Résistance comme Réseau, exprimant l’idée que la pensée comme la résistance est elle-même structurée en réseau. « La fonction du réseau c’est de résister et de créer ». Le manifeste de Buenos Aires développe parfaitement cette pensée synthétique de Deleuze.
Lors d’une leçon de philosophie à Vincennes en 1980, Deleuze définit la pensée en réseau : « La pensée et les concepts créés par la pensée sont des réseaux, les réseaux sont des résistances. Le réseau est sans doute le seul agencement qui peut résister. »
Ce n’est que le 17 mai 1987 à la FÉMIS, lors d’une conférence intitulée « Qu’est ce que l’acte de création ? » que Deleuze a prononcé « …dés qu’on crée, on résiste « .
« Il y a une affinité fondamentale entre une œuvre d’art et l’acte de résistance « .
Puis Deleuze, en essayant de définir cette « affinité » pense à Malraux, résistant, disant « L’art c’est la seule chose qui résiste à la mort ».
Deleuze précise que si « l’art c’est ce qui résiste », (…) tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art et toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance. »
Lors de cette conférence Gilles Deleuze évoque enfin Michel Foucault, sa pensée du passage des « sociétés disciplinaires », dites sociétés classiques aux « sociétés de contrôle » mutation commencée par la seconde guerre mondiale. Pour Michel Foucault, les « sociétés de contrôle » appellent une résistance perpétuelle.
Mais remontons à Michel Foucault. Pour Foucault pour qu’il y ait eu la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, il a fallu que Kant dans sa « Logique » déplace la question « qu’est ce que l’homme ? » du champs philosophique vers le champs scientifique en donnant naissance à l’anthropologie.
Dans le débat Foucault /Chomsky, Chomsky jette les bases d’une résistance aux systèmes de pouvoir politique et économique par la créativité, et Foucault exprime son retard sur Chomsky parce que le pouvoir ne s’exprime pas seulement par le politique ou l’économique mais le pouvoir est multiple : la psychiatrie, l’université, la justice …Foucault pense que l’on ne peut passer en résistance avant d’avoir pensé ce qu’est le pouvoir.
Foucault pense également qu’il y a deux résistances : la résistance comme l’alter ego du pouvoir à l’intérieur du système de pouvoir, c’est la résistance officielle ou officialisée « et qui finit par entrer au Panthéon ». L’autre résistance est hors de tout pouvoir, altérité plébéienne sans nom ni mémoire, elle est collective.
Chomsky, comme Hessel, appartient à la résistance officielle, il se situe à l’intérieur du système de pouvoir dont il est le critique officiel, il conceptualise la désobéissance civile de la guerre du Viet Nam au 11 septembre dans un laboratoire financé à 100% par le Pentagone.
Foucault s’engage « en parrhêsia devant la Cité » comme le philosophe de l’Autre Résistance lorsqu’au Collège de France il évoque Alexandre, soit l’archétype du pouvoir, disant lui-même « si je n’étais Alexandre, je serais Diogène ».
On peut dire que Son Excellence Stéphane Hessel est bien un résistant à l’intérieur du système de pouvoir ; il a en quelque sorte incarné le pouvoir de résister,…et il entre au Panthéon.
Par contre la génération des indignés de par le monde, représente l’autre résistance, altérité définitivement hors pouvoir, jusqu’à ce qu’un prochain leader parmi elle s’officialise, mais pour cela il faut une victoire.
Le Manifeste du Réseau de Résistance Alternatif de Buenos Aires est l’interprétation la plus parfaite de l’analyse foucaldienne de l’autre résistance, la résistance alternative même à la résistance officielle : « la résistance sans maîtres ».
C’est donc Chomsky qui a théorisé la relation entre résistance et créativité. Il pense le besoin d’une création libre débarrassée de tout arbitraire comme véritable résistance. A ce moment du débat avec Foucault, jaillit une nouvelle trilogie dans le discours de Chomsky : « liberté, dignité et créativité « . Toute l’œuvre politique de Son Excellence Stéphane Hessel, œuvre engagée, interprète exactement cette trilogie liberté, dignité, créativité.
Pour Deleuze c’est en interrogeant l’acte de création qu’il trouve l’acte de résistance : « Créer c’est Résister » . Alors que pour Chomsky, c’est l’acte de résister qui appelle la créativité « Résister c’est créer ».
Ces quatre penseurs de la relation entre pouvoir et résistance, résistance et création, sont des penseurs de l’innovation politique.
Un seul est encore en vie, Noam Chomsky. L’innovation elle aussi se subdivise en l’innovation officielle et l’autre innovation, comme au Festival d’Avignon, le Festival IN et le Festival Off. Chacune conduit une résistance par l’innovation.
Les résistances IN et OFF de l’Innovation ne s’opposent pas elles-même, sauf si un pouvoir pervers s’amuse à les opposer entre elles. C’est pourquoi les deux Innovations doivent cultiver la solidarité et la fraternité en acte et non plus seulement en parole.
Sur un plan de valeur d’innovation, « le Manifeste du Réseau de Résistance Alternatif » est à « Indignez Vous » ce qu’un Brevet est à un dessin.
Ce sont les résistances alternatives et écologiques qui ont généré les courants de l’éco conception et de l’innovation sociale. Voilà comment RÉSISTER C’EST INNOVER.
Stéphane Hessel entouré par Ingrid Betancourt et Florence Aubenas au déjeuner des best-sellers 2010 organisé par L’Express. Indignez-vous! occupait la première place du palmarès L’Express/Tite-Live 2010. © Christian De Brosses
Béatrice de Damas pour UP’ Magazine – 4 mars 2013
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