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Eva Jospin ou la sculpture d’un autre monde

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Pour sa Grande Exposition annuelle, le Palais des Papes propose une découverte onirique des œuvres de l’artiste plasticienne Eva Jospin, qui occupent plusieurs salles du plus grand palais gothique au monde du 30 juin au 7 janvier 2024. De la Grande Chapelle à la Chambre de Parement, l’exposition nous fait doucement glisser vers la contemplation de ces hauts-reliefs impressionnants, propices à ouvrir nos imaginaires et assouvir nos curiosités artistiques. Une déambulation déroutante, fascinante, hors du commun. 

Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Eva Jospin compose depuis une quinzaine d’années des paysages forestiers et architecturaux qu’elle développe dans différents médiums. Du 30 juin au 7 janvier 2024, l’exposition Palazzo investit différents espaces du Palais des Papes, invitant à une déambulation rêveuse entre des œuvres choisies de l’artiste pour répondre à l’histoire et l’architecture de la résidence pontificale. Exposition d’une des grandes artistes d’aujourd’hui qui propose un parcours au fil des espaces du monument qui construit une « déambulation imaginaire » dans le dédale labyrinthique du Palazzo pontifical.

Eva Jospin, au cœur des imaginaires de carton

Portrait de l’artiste Eva Jospin pendant le montage de son exposition au Musée de la Chasse à Paris, le 13 novembre 2021

Lauréate du Prix de l’Académie des Beaux-Arts en 2015 et pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 2017, elle a bénéficié de nombreuses expositions d’envergure internationale, notamment au Palais de Tokyo (Inside, 2014), au Palazzo Dei Diamanti à Ferrare en 2018, au Museum Pfalzgalerie à Kaiserslautern en 2019, à la Hayward Gallery en 2020, au Het Noordbrabants Museum à Den Bosch (Paper Tales, 2021) et plus récemment au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris pour une exposition carte blanche au sein des collections permanentes (Galleria, 2021).

« Depuis sa première exposition personnelle à la Galerie Suzanne Tarasieve en 2015, les invitations se succèdent pour Éva Jospin, sources souvent de créations monumentales. Cour carrée du Louvre, Domaine de Trévarez puis de Chaumont-sur-Loire, Beaupassage à Paris ou cette année Biennale d’Architecture et du Paysage à Versailles et Voyage à Nantes : chaque réalisation, pérenne ou non, transporte, marque les esprits.

Panoramas de forêts denses et mystérieuses, Folies ou Nymphées alliant végétaux et rocailles incrustées d’éléments hétéroclites forment des univers en soi hors du temps dans lesquels l’artiste se plaît à « jouer de la matérialité, de la représentation et de lʼillusion », dit-elle. On retrouve cet imaginaire foisonnant, captivant dans son deuxième solo show chez Suzanne Tarasieve.

Un ensemble d’îlots réunis se fait terre d’ancrage d’architectures composites et d’éléments architecturaux liés intimement au paysage, à la terre et à la nature, à l’époque aussi qui les a vus naître et s’ériger dans ce bout de monde où les ponts enjambent on ne sait quelle coulée d’eau ou crevasse. Il porte les rêveries d’Éva Jospin. À la fois sculpture et maquette, chaque site télescope des éléments réels d’une architecture et une vision réinventée, fictionnelle du palais, du temple, du jardin et de ses différentes composantes (grotte, gloriette, promontoire, rocaille ou Folie) conçues juste pour l’agrément, le plaisir. Un monde en soi porteur de récits, de contes, de mythes et d’épopées se cristallise. « J’ai beaucoup regardé les jardins de la Renaissance maniériste et les peinture de vedute », rappelle Éva Jospin. Dans cet espace de représentation et de réinterprétation de la nature idéalisée, elle n’en reconfigure pas moins les motifs, les décors. Elle en revendique les artifices, les trompes l’œil indissociables d’habilités et de virtuosités techniques, de jeux de plans et de perspectives.

Eva Jospin – « Palazzo », détail

Support et matériau de prédilection de ses imaginaires, le carton se fait sol, roche, pierre, végétal, convoque le minéral, la taille, la construction, l’érosion, la ruine, la nature souveraine. Des strates de cartons découpés, superposés, juxtaposés et poncés se profilent aujourd’hui des veines de couleurs ténues, inédites dans son travail, strates de de sédiments des temps géologiques. Ils marquent une évolution discrète dans le travail de lʼ’rtiste. Le changement s’infuse doucement, sans heurts. L’introduction de la couleur se veut parcimonieuse. Éva Jospin aime prendre son temps. Et puis il y a le temps de l’ouvrage. « Chaque sculpture, installation ou dessin à l’encre en prend beaucoup », souligne-telle. « D’où le peu de pièces produites à chaque fois ».

« Forêt Palatine », 2019-2020 – Vue de l’exposition à la Hayward Gallery, Londres / London, 2020

Les usages métaphoriques du carton eux-mêmes évoluent et élèvent de hautes parois rocheuses d’une clarté pure, troublante et impressionnante de matérialité et de présence. Elles allient simplicité et force souveraine. La magie de l’illusion, du décor, du trompe-l’œil une nouvelle fois opère. La découpe franche dans un flanc de montagne apparaît palpable et réfléchit une luminosité variable selon l’heure de la journée ou de la nuit. Le temps géologique de la sédimentation ouvre à des projections et des figurations narratives à fleur de roche, hypnotiques et sereines.

Le minéral se fait plus présent dans l’œuvre d’Éva Jospin et entrouvre à d’autres sculptures, d’autres explorations et matériaux (bronze ou plâtre), à d’autres atmosphères également. L’univers imaginaire de l’artiste s’étend. Le questionnement entre l’art, l’architecture et sa représentation élargit le champ des investigations. On retrouve les forêts, les grottes, les temples, les constructions décoratives, pièces familières de rêveries émancipatrices et fécondes en mystères ou secrets. Les nouvelles créations de l’artiste, qu’elles soient sculptures ou dessins à l’encre, engagent toutefois à d’autres histoires ou mythes contés que l’on regarde, ressent, écoute pour les raconter à notre tour. »
Christine Coste – Galerie Suzanne Tarasieve

Palazzo au Palais des Papes

Eva-Jospin « Grotte » 2023 – Création pour Palazzo au Palais des Papes – Avignon

La première œuvre du parcours, Grotte, est présentée dans la chapelle Saint-Jean, oratoire du consistoire. Créée spécifiquement pour l’exposition, elle prolonge une série de grottes baroques que l’on avait découverte à Montmajour. Dans son entretien avec Pierre Watt, pour le catalogue de l’exposition, Éva Jospin revient sur l’importance de cette œuvre : « Bien avant l’art contemporain, la grotte baroque a ouvert quelque chose de fondamental, qui crée chez moi les émotions les plus fortes, sans que je parvienne à savoir si c’est beau ou laid — rien à voir non plus avec le kitsch, qui ne m’intéresse pas. C’est une chose autre dans laquelle on éprouve une double sensation : la grotte est l’espace nous reliant à toutes les expérimentations qui m’intéressent dans l’art contemporain tout en faisant le lien avec le passé. C’est l’espace mental de projection par excellence, au-delà du visuel. »

Nymphées – Oeuvre monumentale d’Eva Jospin Palazzo

Autre salle, La grande chapelle devient l’écrin de Nymphées, un décor réalisé pour le défilé Dior printemps été 2023. Il y a aussi le Cénotaphe, réalisé à l’occasion d’une exposition personnelle de l’artiste à l’abbaye de Montmajour à Arles réalisé en carton, papier coloré, coquillage, liège et laiton. Et puis il y a Côté cour et côté jardin réalisé pour le lancement de la carte blanche à Eva Jospin par les champagnes Ruinart au Carreau du temple en mars dernier.
« Côté cour-Côté jardin évoque le théâtre et raconte la scénographie à partir d’une scène fixe où le visiteur opère lui-même grâce à son déplacement, le changement de décor. Le Côté cour représente la place, le palais, la ville, l’organisation sociale, l’ordre, la Loi, et Côté jardin, une forêt-grotte, entre minéral et végétal qui représente le chaos, les passions, l’obscurité, la peur, le merveilleux, peut-être l’amour, la tragédie, de l’ordre du sentiment qui est moins maîtrisé. Les acteurs y sont symbolisés par des formes, comme des pétrifications de pierres. Puis vient le Cénotaphe, un tombeau en l’absence de corps, l’œuvre évoque ceux qui ont été là mais sont désormais absents. Dans toutes mes œuvres, l’idée de la traversée, peut-être initiatique, est rémanente. On commence par la forêt, mais aussi l’évocation possible de jardins. Les architectures des œuvres sont plus proches de la folie architecturale que de l’architecture elle-même. »

Autour de l’exposition

  • À l’issue du parcours, plusieurs extraits de films ainsi qu’une série d’images de la photographe Laure Vasconi offrent aux visiteurs un regard documentaire sur les coulisses de l’exposition, depuis le long travail de conception et de réalisation dans l’atelier parisien d’Eva Jospin jusqu’à l’impressionnant montage de ses œuvres au sein des espaces du Palais.

  • Catalogue aux Editions Gallimard avec « Contre-Monde », un entretien entre l’artiste et l’historien de l’art Pierre Wat. Les photographies des œuvres sont hors du contexte de l’exposition Palazzo.

A noter ! Eva Jospin sera présente à la FNAC d’Avignon le mercredi 12 juillet à 17h

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