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Mascara.des ! à la Fondation du doute, Blois

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L’exposition que nous propose la Fondation du doute de Blois réunit le travail de six artistes qui, chacun·e à leur manière, se saisissent de la mise en scène et de la métamorphose de soi pour introduire une forme de « trouble » dans la notion même d’identité. Partons d’un constat : rarement la quête identitaire n’a autant pris la forme de l’authenticité pour dessiner, toujours plus étroitement, des personnes engoncées dans leur for intérieur. « Sois toi-même » et « Viens comme tu es » sont désormais les cris de guerre sucrés-salés d’un impératif tyrannique fondé sur l’utopie de la transparence : dévoiler, sans fard et sans filtre, qui nous serions vraiment.

L’exposition prend le parti inverse en faisant sienne une hypothèse : le monde serait une scène sur laquelle chacun d’entre nous ne cesse d’interpréter des rôles – inconsciemment souvent. Si la vie n’est rien d’autre qu’une immense mascarade, alors s’ouvre à nous un nouvel horizon, particulièrement exaltant et libérateur : contre les avatars de la quête intérieure et autre introversion monacale, l’art du masque s’affirme comme un bricolage conscient, extraverti et joyeux de personnages, propre à mettre en crise l’existence d’un Sujet en soi comme de toute autre Vérité immuable et authentique.

Ces pratiques-là ne s’envisagent dès lors plus sous l’angle de la simple inversion carnavalesque – temporaire et donc rassurante – de valeurs ou de lois éternelles, mais comme une tentative de subversion de l’Ordre établi, ce grand bal costumé peuplé de rois nus et amnésiques.

L’exposition présente également en écho une sélection d’œuvres issues des collections du Centre des livres d’artistes.

Charles Fréger

Charles Fréger, Spy boy Doe, Mardi gras indians, 2014-2018 – 145 x 110 cm

Le photographe français Charles Fréger (Bourges, 1975) a élaboré en quelque vingt années une œuvre dense et singulière, à l’ambition quasi-encyclopédique. L’important corpus de photographies constitué depuis 1999 par Fréger témoigne de son insatiable recherche : aller vers des communautés tantôt sportives, militaires, festives ou scolaires, envisager les individus qui la composent, déceler les liens, les rituels et les formes qui les unissent. Dans chacun de ces cercles, Charles Fréger s’intéresse au corps et au vêtement en tant que territoires ambivalents. Là, alors, se trouve l’image qu’il recherche.
Longtemps rassemblée sous le titre générique de « Portraits photographiques et uniformes », l’œuvre s’est dans un premier temps révélée héritière d’une certaine tradition nordique. Augmentée de performances et de vidéos, elle a évolué, pour finalement atteindre une dimension foncièrement théâtrale. Prenant ses distances avec le portrait tel qu’il le pratiquait jusqu’alors : après l’uniforme, liant à la communauté, il s’oriente vers le costume vecteur d’incarnations d’un devenir-animal, végétal. Depuis 2010, il a ainsi consacré quatre ouvrages aux mascarades : Wilder Mann,
dédié au continent européen (2010-), Yokainoshima (2013- 2015), localisé sur l’archipel nippon, Cimarron (2014-2018) ancré dans les territoires des Amériques et enfin Aam Aastha (2019-2022), en Inde.
Parallèlement, depuis 2015, il explore une autre voie, par le biais d’une photographie traitée en silhouette. Ce sont alors les figures d’une culture visuelle commune qu’il prend pour sujet. Parmi elles, Jeanne d’Arc et son épopée. Essentialisant la figure à ses contours, le sujet devenait l’image et sa fortune historique : non plus la figure de Jeanne mais ses représentations, ses « usages ». Le travail est nourri de recherches iconographiques brassant volontairement l’érudit et le populaire, mêlant le médiéval et le XXIe siècle.

Stephan Goldrajch

Inspiré par les traditions ancestrales, les rites et les contes traditionnels comme par les techniques artisanales, Stephan Goldrajch (Ramat Gan, 1985) combine dans sa pratique divers mediums (textiles, textes, dessins, installations, matériaux trouvés) en quête d’une articulation entre art et interaction sociale : l’artiste envisage l’art comme un rite traversant tous les aspects de l’existence et s’entremêlant avec la vie. Ses œuvres se créent dans l’interaction avec les personnes rencontrées à l’occasion de projets in situ, parfois participatifs.
Il cherche ainsi à confronter leurs existences et pratiques aux siennes afin de générer une nouvelle dimension dans son travail et enrichir ses propres techniques : « Les créatures que je réalise au
crochet sont un prétexte pour susciter l’interaction et le lien social. Cette approche me permet de renverser les rôles et les conventions, explorant les notions de beauté, de laideur, de jeunesse, de vieillesse, de noblesse et de marginalité. »

Photo : Goldrajch/Rispens

Un de ses projets marquants, soutenu par le Wiels à Bruxelles, a été la création de La Légende du Canal. Pendant plusieurs mois, l’artiste travaille avec des habitants des deux rives du canal à
Bruxelles, aboutissant à une exposition géante de cent drapeaux affichés sur les balcons des participants des quartiers de Dansaert et de Molenbeek-Saint-Jean : « Mon objectif était de créer un pont symbolique entre les deux communautés derrière une même légende ». Stephan Goldrajch développe également le concept des « Broderies participatives » dans des espaces publics. Avec des habitants du quartier, des promeneurs, des réfugiés, il crée des broderies en suivant simplement les lignes d’un dessin avec de la laine rouge : « ce projet permet de rassembler des personnes d’origines sociales et culturelles différentes, vivant un moment hors du temps pour découvrir ensuite que ce qu’elles brodaient avait été créé par d’autres brodeurs qui étaient également en train de broder. »
L’artiste produit également des séries de tableaux « peinture crochet « .

Romuald Jandolo

Romuald Jandolo, , La pluie italienne – Vue de l’exposition à la Maison des Métiers du cuir – Centre d’art le LAIT, Graulhet – 2024

Pratiquant autant l’installation, que la performance, le dessin, la vidéo ou la sculpture, l’artiste français Romuald Jandolo déploie un univers à la croisée de plusieurs mondes, teinté de son histoire personnelle : issu d’une famille de circassiens, il passe son enfance sur les routes autant que sur la piste, celle du cirque ambulant de son père, où il se produit en tant que contorsionniste avant de le quitter avec sa mère, à l’âge de 10 ans.

Romuald Jandolo,
Avant que l’ombre ne passe,
2015
technique mixte
Photo : Marc Domage

Cette expérience irriguera l’ensemble de son œuvre, à la fois sombre et burlesque, pétrie de cultures et d’esthétiques populaires et foraines : couleurs vives et or, chairs et tissus, strass et paillettes, masques et corps se mêlent au sein d’œuvres à la fois joyeuses et inquiétantes, qui jouent de leur théâtralité et de leur ambivalence, à la lisière parfois entre séduction et répulsion : « L’artiste, qui fait coïncider les antagonismes du féminin et du masculin, de l’enfance et de la mort, de la culture populaire et savante, du tragique et du comique, opère par coutures et collages de matériaux précieux et communs, tels les perles et paillettes, les bijoux, plumes et tissus, les artifices de maquillage qui évoquent homme et femme à la fois. Acteur, voyeur et spectateur de lui-même,
Romuald Jandolo met régulièrement son propre corps à l’épreuve dans des situations souvent angoissantes de claustration et de contorsion, qui n’évacuent pas pour autant une certaine esthétique “glam rock”. » (Magali Gentet).

Aurore-Caroline Marty

Aurore-Caroline Marty, Soulier, 2024 – Pâte de verre – 14 x20x 9 cm – Photo : Vincent Arbele

Aurore-Caroline Marty (Lunéville, 1985) travaille la sculpture et l’installation comme un décor. Entre sanctuaires enchantés et mythologies incarnées, ses compositions d’artifices se jouent de nos codes culturels. L’univers se révèle aussi étrange qu’envoutant, une sorte d’enchantement dérisoire porté par des matériaux et techniques hétéroclites, où artisanat, marbre, frites de piscines, et éléments puisés dans sa kitschothèque viennent s’embrasser pour laisser une amertume antique-kitsch sur les lèvres.
D’une enfance bercée par les déménagements répétés dû à un père militaire, par la pratique de la danse classique avec ballet de fin d’année, par les passe-temps folkloriques des femmes de sa famille (pratique du crochet, du canevas, pâte à sel), et enfin par l’accumulation de bibelots et bondieuseries de sa grand-mère, Aurore-Caroline Marty gardera des traits de caractère : le besoin de voyage, l’attrait du spectacle, la patience et la passion pour l’artisanat et enfin le goût du kitsch.
Son œuvre est un héritage et une continuité de ce socle. La curiosité et l’investissement dans les divers champs de la création développent son approche multidisciplinaire mêlant rigueur et fantaisie, corps et décors, arts visuels et performance, artisanat et kitschothèque, sa collection d’objets de décoration ringarde.
Plutôt nomade que sédentaire, elle cherche sans cesse à nourrir son œuvre et ses investigations dans de nouveaux médiums, de nouveaux artisanats, de nouvelles cultures. Le voyage et le déplacement font partie intégrante de sa vie et donc de son travail, devenant ainsi des sources et ressources.Messieurs Delmotte

Pratiquant autant la vidéo que la performance, la photographie, le dessin ou la sculpture, l’artiste belge Messieurs Delmotte (Liège, 1967) se présente comme un personnage dédoublé : dans un costume tiré à quatre épingles, les cheveux admirablement peignés, le visage impassible, entre dandy et personnage burleque à la Buster Keaton, l’artiste se met en scène dans des actions plus absurdes les unes que les autres, qui semblent autant enrayer la machine bien huilée de l’existence que mettre en danger l’intégrité de son personnage.
L’artiste qualifie d’aliénaique cette forme de différence à lui-même : «  »Aliénique » a avoir avec quelque chose de non scientifique, de non académique. Rien qui ait trait à l’ordinarité et la structuration des éléments. Ça renvoie à la fois à la figure de l’alien et l’idée d’aliénation. Ça oscille donc entre deux acceptations, tout à fait complémentaires en fait : l’alien, d’une part, c’est l’autre, l’étranger ; l’aliénation, d’autre part, se rapporte à la folie, l’anormalité. Aliénique synthétiserait les deux termes, il aurait trait à un état de différence, voire un droit à celle-ci. En ce sens donc, tous les faits et gestes que j’accomplis face à la caméra, aussi factuels soient-ils, ont un caractère aliénique. Anodins, inutiles, insignifiants… mais dans leur déroulement et leur succession,
tout à fait inverse. » (Messieurs Delmotte) Dans des vidéos sans fioritures et sans ambages, prototypes même de l’unité de temps, de lieu et d’action, Messieurs Delmotte fait l’idiot en jouant avec les codes, tous les codes – ceux de l’art et de la société, de la bienséance et de la morale, du vivre-ensemble et du faire-monde… – à la lisière d’une méchanceté et d’une cruauté dont il est la première victime. Car l’artiste se rate souvent : il se prend les pieds dans ses propres dispositifs incontrôlables, dans ses propres actions incontrôlées, jusqu’à la chute.
Cette mise à mal du sujet, jusque dans ses derniers retranchements, prend également la forme de « recréation » de substitution, comme pour les nombreuses images prosaïques qu’il a déjà transfigurées. Ces œuvres ne sont pas des autoportraits et encore moins des transpositions du dessinateur en un ou plusieurs personnage(s) fictif(s), mais bien une nouvelle tentative de dissolution de l’identité, l’affirmation d’un rejet ou de l’absence d’un sujet.

Dominique Théâte

Dominique Théate, sans titre, 2014, Technique mixte sur papier, 35,8 × 27 cm, Collection La « S » Grand Atelier, Vielsalm

L’artiste belge Dominique Théâte (Liège, 1968) fréquente le centre d’art brut et contemporain La « S » Grand Atelier en Ardenne belge depuis 2001. Adepte du dessin figuratif, l’artiste a orienté sa pratique vers la représentation de scènes auto- fictionnelles où apparaissent et se côtoient des personnalités des années 1980 – décennie ayant particulièrement marqué sa vie – des personnages de fiction ou issus du folklore local mais également des proches et parents pour lesquels il voue une admiration sans borne.
À côté de cet univers de création foisonnant qui puise ses sujets dans ses mythologies personnelles, Théate s’est aussi consacré à la réalisation de ses « schémas », des autoportraits exécutés au simple crayon graphite, au sein desquels intervient un important processus d’écriture. Ardent conteur d’histoires et d’anecdotes (souvent humoristiques), Dominique Théate accorde dans son œuvre dessinée une part importante au texte et à la narration qui semblent structurer plus qu’accompagner ses autoportraits.
Si l’on en croit ses centaines de dessins illustrés de textes, Dominique Théate porte costume et cravate, lunettes de bon goût et « pantalon civil ». Il pose souvent à côté d’une voiture de luxe de type BMW dont il espère être un jour le propriétaire – « pour me l’offrir, il me faudra posséder un certain capital financier que je souhaite récolter grâce a la production de mes schémas » écrit-il. Il appelle ses dessins annotés des « schémas » qui prouvent « (sa) passion pour l’activité artistique qu'(il) espère de conserver durant toute (son) existence sur la planète terre. »
Ces centaines de textes légendés d’images sont un journal intime en morceaux au style louvoyant entre déposition de police et lettre officielle d’un ministère dirigé par le Père Ubu. Journal en morceaux dans lequel Dominique Théate rêve de l’acquisition d’un permis de conduire, d’être déguisé en « singe à lunettes » au prochain carnaval du village, d’inviter à une « danse d’amour » une autre pensionnaire des hauteurs créatives de Vielsalm, de devenir un acteur, un artiste et un écrivain reconnu.
Il évoque souvent son beau-père qui ressemblerait à un catcheur célèbre, aussi une pièce de théâtre dans laquelle il aurait joué un père emmenant sa fille chez le médecin. Dominique Théate se présente comme un « porteur de costume cravate » en ses autoportraits en pied crayonnés à l’infini, il est en tout cas l’authentique traducteur en images et en mots du monde d’une incroyable
normalité qui tourne dans sa tête.

Programmation associée :

Jeudi 6 février, 18h Offre Pass Blois culture : Visite en avant-première de l’exposition
Vendredi 7 février, 18h30 : Vernissage de l’exposition
Vendredi 7 et samedi 8 février, 20 h 30 :  Halle aux grains – Le cabaret La Barbichette, une proposition de la Halle aux grains, – Scène nationale de Blois (www.halleauxgrains.com)
Samedi 8 février, 16 h 00 : Découverte de l’exposition avec les artistes invité·es et le commissaire
Samedi 22 février, 16 h 00 : Café le Fluxus : Masque indien, identité noire : Rencontre avec Charles Fréger & Aurélie Godet Café historique autour des « Black Indians Mardi Gras » avec Aurélie Godet et Charles Fréger – En partenariat avec les Cafés historiques en région Centre-Val de Loire
Samedi 15 mars, 16 h 00 : Café le Fluxus : Rencontre entre Rémi Baert et Marion Cazaux
Samedi 12 avril, 16 h 00 : Visite commentée de l’exposition
Samedi 26 avril, 16 h 00 : Discussion entre Aurore-Caroline Marty et Romuald Jandolo

Mascara.des ! Performances :

  • Vendredi 16 mai : Vodoun Paillettes
    Pavillon de la Fondation du doute performance de Aurore- Caroline Marty
  • Samedi 17 mai : Étoiles partielles – Maison de Bégon, Blois
    performance de Nefeli
    Papadimouli, dans le cadre du festival Les Ranc’Arts 2025
    Entre la Fondation du doute performance de Nawelle Aïnèche

Exposition Mascara.des ! du 8 février au 11 mai 2025 à la Fondation du doute. Art contemporain│Fluxus 14, rue de la Paix, Blois

www.fondationdudoute.fr

Photo d’en-tête : Oeuvre de Charles Fréger Lechones Santiago de los Caballeros, République dominicaine 2014-2018, 101 x 77 cm

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