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« Praesentia » de Myriam Mihindou : exploration de la résilience et de la guérison

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Myriam Mihindou, artiste multidisciplinaire née en 1964 au Gabon, explore avec profondeur et subtilité les thématiques de l’identité, de la mémoire, du rituel, et de la spiritualité. Son travail, à la fois engagé et poétique, transcende les frontières de l’art pour créer des espaces où réparation et résilience se rencontrent. À travers des pratiques qu’elle qualifie volontiers de curatives, elle établit un dialogue entre le corps, la matière, et les récits collectifs et individuels. Au cœur de sa démarche se trouve le corps, témoin des blessures infligées par diverses formes d’oppression, qu’elles soient intimes, sociales ou politiques. Mihindou aborde ces mémoires traumatiques avec une démarche empreinte de soin et de bienveillance, utilisant des matériaux tels que le cuivre, la terre, le coton ou le thé, choisis pour leur charge énergétique et symbolique. Ces matières, vectrices de transmission et de guérison, prennent vie dans ses œuvres, qu’il s’agisse de sculptures, de photographies, de vidéos ou d’installations que nous pouvons découvrir au CRAC de Sète du 8 février au 4 mai 2025.

Les mots, eux aussi, sont au centre de sa réflexion. Dans ses créations, ils deviennent des entités tissées ou assemblées, issues de gestes rituels qui leur confèrent une dimension réparatrice. Par son approche, l’artiste libère les corps et les esprits, tout en mettant au défi les systèmes de domination et les silences imposés. Dans une relecture innovante de la langue française, elle tord et secoue les mots pour dénouer les récits de celles et ceux que l’histoire a réduits au silence. 

Myriam Mihindou, Johnnie Walker 1/3, de la série Sculpture de chair, 1999-2000, cibachrome, 88 x 62 cm, Courtesy Myriam Mihindou & Galerie Maïa Muller, © ADAGP, Paris

Praesentia : une immersion dans 25 ans de création

L’exposition Praesentia propose une rétrospective généreuse de vingt-cinq ans de travail de Myriam Mihindou, enrichie de nouvelles productions. Ce titre polysémique, qui évoque simultanément la présence, la puissance et la protection, résume l’essence de son œuvre. Sculptures, dessins, installations, photographies et vidéos dialoguent dans un parcours qui examine le rôle spirituel, thérapeutique, mais aussi politique et social de l’art.

Conçue en collaboration avec le Palais de Tokyo, l’exposition explore les urgences éthiques et écologiques contemporaines, tout en offrant des pistes pour repenser nos liens avec le vivant. Le concept de praesentia ouvre une réflexion sur des rapports au monde solidaires et inclusifs, en harmonie avec toutes les formes de vie. En somme, Praesentia dépasse la simple présentation d’œuvres pour devenir une expérience immersive, où la puissance de l’art se déploie en écho aux questions essentielles de notre époque : comment guérir, réparer et coexister dans un monde marqué par la fragmentation et les inégalités ? Myriam Mihindou nous invite à trouver des réponses dans la création et la reconnexion avec le vivant.

Une exposition co-conçue avec le Palais de Tokyo 

L’exposition s’inscrit dans le sillage de celle qui a été présentée au Palais de Tokyo à Paris (18 octobre 2024 – 5 janvier 2025). Elle a été co-conçue et co-produite en étroite collaboration par les deux institutions dans une logique de mise en commun de moyens, de partage de réflexions et afin de penser la visibilité des oeuvres et la vie des expositions dans un temps long.
L’exposition Praesentia à Sète est l’occasion de prolonger l’expérience de l’oeuvre de Myriam Mihindou, dans un environnement nouveau, avec un parcours et un accrochage spécifiquement pensés pour les espaces du Crac, par l’artiste et les commissaires, Daria de Beauvais, senior curator au Palais de Tokyo et Marie Cozette, directrice du Crac.

Le parcours de l’exposition

Le parcours débute par le mot Praesentia (2024), sculpté et tressé dans un fil d’aluminium aux reflets bleutés, invitant littéralement à prendre corps dans l’exposition.
 
Dans la première salle, Videre (2020) est un autre de ces mots-sculptures, en cuivre et verre sou«é. Signifiant « voir » en latin, le mot apparait tel un organe vivant et vibrant, un réseau de fibres et de nervures qui se déploie sur le mur, transforme l’écriture en image et inversement. Récurrent dans le travail de Myriam Mihindou, le cuivre est conducteur d’énergie, mais aussi vecteur de mémoire, en ce sens qu’il rappelle l’histoire de son extraction en Afrique par les empires coloniaux.
En regard, la série initiée en 2022, intitulée Le Patron, consiste en différentes superpositions de papiers trempés dans de l’encre ou du thé, cousus et parfois recouverts de mots. Feuilletages fragiles, les oeuvres de cette série peuvent aussi renvoyer aux couches enfouies d’un palimpseste, que l’artiste viendrait ici déplier et reconstituer par différents gestes de marquage et de couture.
 
Myriam Mihindou se livre à un travail d’archéologie à la fois intime et historique, suggérant dans certaines oeuvres des souvenirs traumatiques. La seconde salle de l’exposition nous plonge dans une installation composée de six tables blanches recouvertes de fourchees en argenterie mêlées à des sculptures en terre crue ou cuite, sur lesquelles on perçoit parfois des empreintes de main.
 
Intitulée Service (2000/2024), cette installation évoque l’emprise du corps, la discipline et la bienséance imposées par les missions dites civilisatrices.
 
Si la terre est le lieu de l’extraction et de l’exploitation des ressources, c’est aussi là que la mémoire s’inscrit en profondeur : la photographie monumentale intitulée Immatériel (2016) met en scène un rituel de deuil propre au Gabon et à la culture paternelle de l’artiste, dans laquelle les morts sont enterrés avec tous leurs vêtements. Dans l’image composée par Myriam Mihindou, le terrain effondré révèle une strate de vêtements. En produisant une telle image, l’artiste semble se ressaisir d’une généalogie familiale et d’une mémoire enfouie.
 
Chez Myriam Mihindou, l’acte photographique relève souvent d’un rituel dans lequel corps et matières sont traversés de forces puissantes et invisibles. L’image serait une manière de matérialiser ce qui sur le moment échappe à la compréhension. La photographie intitulée Johnnie Walker appartient à une série emblématique, les Sculptures de chair, initiée en 1999-2000, alors que Myriam Mihindou vit à la Réunion. Chaque matin, elle prend une image de sa main recouverte de signes et d’aiguilles qui transpercent sa peau, comme autant d’épines protectrices. Les deux autres images présentées appartiennent à la série Déchoukaj’ qui a été réalisée en Haïti en 2024, dans un contexte de grand bouleversement politique et de renversement du pouvoir en place. Suite à une violente confrontation avec des milices armées, Myriam Mihindou participe à une transe collective vaudou pour soigner la peur et le traumatisme vécu.
 
Dans la suite du parcours, deux vidéos mettent en scène le corps de l’artiste dans des postures de contrainte ou d’entrave, qui contiennent leurs propres forces émancipatrices. C’est le cas de la vidéo présentée à l’étage, La robe envolée (2008) : l’artiste filme ses jambes en plan fixe et arrache successivement de nombreux collants superposés, comme autant de peaux, mais aussi de préjugés et de stigmates imposés à son corps et à sa psyché. À travers ce qu’elle nomme une transe-performance, elle procède alors à une mue libératrice.
 
Folle (2000) est une vidéo projetée aux pieds des visiteurs. Elle impose de regarder en surplomb des pieds qui tentent de dépasser une ligne blanche au sol, au milieu de rires envahissants. Si la transgression des limites et la traversée des frontières imposées peut conduire aux marges de la folie, l’artiste semble retourner le stigmate et faire de cette folie un espace de résistance à l’ordre établi.
 
Dans la dernière partie du parcours, l’artiste propose différents gestes de soin. Fighting (2018) est l’enregistrement d’une performance réalisée avec plusieurs personnes en Ouganda à l’occasion de la biennale de Kampala. La vidéo montre deux performeuses, en état de transe, luttant avec elles-mêmes afin de trouver un équilibre qui leur permettra de se libérer des traumatismes ayant contraint leurs corps.
 
Se saisir des entraves pour mieux s’en libérer, c’est aussi ce qui est à l’oeuvre dans le travail mené par l’artiste autour des mots, du langage et de l’é²mologie. La série des Langues secouées (2015-2021) fait partie de ces gestes de ressaisissement opérés par l’artiste. En creusant le sens des mots, leur sonorité, leur histoire, leur circulation dans le temps, elle réinvente un nouveau langage puissant et poétique. Les mots sont enroulés, déroulés, cousus, recopiés, tressés, tordus, ils sont un corps mutant qui circule dans toutes les strates du vivant.
 
Le parcours s’achève sur deux grandes installations sculpturales : Fleur de peau (1999 – en cours) est constituée d’une centaine de savons sculptés accompagnés de cires et de petites terres cuites, accrochés au mur par des cordelettes. À la fois fétiches et ex-voto, ces savons portent la mémoire des peaux qu’ils ont effleurées, apaisées et soignées.
 
Au sol, Amygdale (2018) est composée d’une série de sculptures en bois, verre sou«é et fils de cuivre. Entre racines et bâtons de sourcier, cet ensemble renvoie par son titre à l’organe du corps qui participe aux défenses immunitaires, qui est aussi le siège de la mémoire émotionnelle du cerveau. Les mots sculptés Aer Bulla (2024) viennent clore le parcours, ils sont en suspension dans l’espace à l’image de cette bulle d’air et d’équilibre que l’artiste nous invite à trouver par une reconnexion profonde et radicale aux corps et aux émotions, individuels autant que collectifs.
 
Une oeuvre de l’exposition, discrète et néanmoins centrale, évoque cette recherche permanente d’espaces pour le commun : Ayendoété (2020) est un mot sculpté en métal recouvert de cire d’abeille. Issu de la langue fang au Gabon, le mot renvoie au fait de prendre en compte la sensibilité de sa communauté, quand la cire produite par la ruche évoque la puissance productive du collectif.
 
Commissaires : Daria de Beauvais et Marie Cozette
 
Cette exposition est réalisée en co-conception et co-production avec le Palais de Tokyo. Elle est co-produite par AWARE : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions dans le cadre du prix AWARE 2022, en partenariat avec DCA – Association française de développement des centres d’art contemporain.
 
Biographie de l’artiste
 
Née en 1964 à Libreville (Gabon), Myriam Mihindou vit et travaille à Paris. Ses expositions personnelles récentes incluent : Ilimb, l’essence des pleurs au Musée du Quai Branly à Paris (2024 ), Epiderme (La Verrière, Bruxelles, 2022), El teatro de las memorias (CAAM, Las Palmas, 2022), Silo (Transpalette, Bourges, 2021).
Elle a également participé à de nombreuses expositions collectives, dont récemment Exils, Regards d’artistes (Louvre-Lens, 2024), Les voix des fleuves Crossing the water (Biennale de Lyon, 2024), PANSORI (Biennale de Gwangju en Corée du Sud, 2024 ), Le grand désenvoûtement (Palais de Tokyo, Paris, 2022), Globalisto (MAMC+, Saint-Étienne, 2021), La sagesse des lianes (CIAP, Vassivière, 2021),
Possédé·e·s (MO.CO, Montpellier, 2020).
Lauréate du Prix AWARE en 2022, elle bénéficie d’une résidence à la Villa Albertine (New York) en 2023.
Elle est représentée par les galeries Maïa Muller (Paris) et Saana (Utrecht).
La galerie Maïa Muller présente actuellement une exposition personnelle de l’artiste, Le sang des limules, visible jusqu’au 15 février 2025.
 
Exposition « Praesentia » de Myriam Mihindou,  du 8 février au 4 mai 2025 – CRAC Occitanie, 26 Quai Aspirant Herber – 34200 – Sète
 
Photo d’en-tête : Myriam Mihindou, « Service« , 2000-2024. Fourchettes en argent et acier, terre crue, céramique, verre, quartz, carbone, émail.
Courtesy de l’artiste & galerie Maïa Muller (Paris). Crédit photo : Aurélien Mole © ADAGP, Paris, 2025

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