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arts et cultures

Khiasma, fin d’une utopie artistique ?

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Aux Lilas, l’Espace Khiasma, lieu de production et de diffusion dédié à l’image et au récit, fermera ses portes dès la fin du mois d’octobre. Cette décision prise par l’équipe est un acte de résistance qui atteste de l’agonie du service public de la culture. Révélateurs d’artistes et souvent unique point d’accès à la création, les centres d’art de proximité disparaissent dans l’indifférence.
 
C’est par un communiqué de sa présidente Aline Caillet, publié sur le site du centre d’art le 5 octobre dernier qu’a été officialisée la fermeture de Khiasma dès la fin du mois. Cette nouvelle, redoutée par beaucoup, était attendue depuis le retrait de certaines subventions régionales il y a deux ans par le cabinet de Valérie Pécresse, alors récemment élue à la présidence de l’Ile-de-France.
Cette disparition s’inscrit à la suite de celles des Eglises à Chelles, du Forum au Blanc-Mesnil, du Wharf à Herrouville-Saint-Clair, du Quartier à Quimper, pour ne citer qu’eux. Elle montre combien le modèle de soutien public aux structures culturelles est fragile. Plus encore que l’Etat, les collectivités territoriales, de plus en plus regardantes en matière de dépense à mesure que les dotations fondent, n’hésitent pas à supprimer purement et simplement des subventions entières, mettant ainsi en péril les structures concernées.
 
Le domaine culturel parait le plus vulnérable car le plus facile à jeter en pâture à la vindicte populaire en cas de contestation. Ce sont les centres d’art de proximité, dépendant souvent de leur collectivité de tutelle car organisés la plupart du temps en régie directe (ce n’est pas le cas de Khiasma qui est sous un régime associatif), qui disparaissent dans l’indifférence. Structures modestes en banlieue parisienne ou en régions, ces lieux sont pourtant indispensables. D’une part, ils sont bien souvent le seul point d’accès à la création plastique pour des populations locales et à ce titre incarnent la démocratisation de la culture souhaitée par les politiques. D’autre part, en prenant des risques, ils « font le job » de révélateur des artistes émergents que l’on retrouvera plus tard dans les grandes institutions parisiennes. Le cas Khiasma permet l’analyse d’un système.
 
Espace Khiasma aux Lilas

« Donner de l’air aux pratiques minoritaires » 

L’association Khiasma a vu le jour en 2001 avec la volonté de développer des projets artistiques pour et surtout avec les habitants du nord-est parisien, autour des problématiques sociales et politiques actuelles. En 2004, l’Espace Khiasma investit les trois étages d’une ancienne imprimerie située au 15 rue Chassagnole aux Lilas (Seine-Saint-Denis). Le nouveau centre d’art contemporain est un lieu de rencontre et de diffusion dédié à l’image et au récit, à la programmation protéiforme rassemblant arts visuels, performance et littératures vivantes. Il se veut aussi un lieu de découverte des formes artistiques contemporaines ouvert à tous gratuitement et un espace citoyen où conférences, colloques et débats animent les cycles « sociétés ».
Derrière la fameuse porte rouge qui marque l’entrée du lieu, Olivier Marboeuf,  son emblématique directeur et cofondateur, met l’exigence artistique au service de l’hospitalité de la parole. Il explique que « l’espace ne domine pas les personnes, ce sont les gens qui font le lieu. On a voulu garder une dimension domestique. » Lieu de convivialité, de croisements des publics, Khiasma accueille des ateliers pour tous à côté de résidences bénéficiant du soutien de la plateforme Phantom (dont l’activité va perdurer). Surtout, l’association est l’une des premières structures de ce type en France à avoir engagé une réflexion sur la question post-coloniale dans l’art.
 

(In)dépendance 

Qu’est ce qui conduit à la disparition d’un lieu culturel ? Quelles sont les raisons qui amènent un établissement à fermer définitivement ses portes ? Dans le cas de Khiasma comme dans beaucoup d’autres, le déséquilibre financier trop important parait conduire à cette ultime solution. Les subventions publiques dont bénéficiait l’association Khiasma sont aussi la raison de sa chute. La baisse importante de la subvention régionale survenue il y a deux ans ne permettait plus à l’association de faire face à un déficit financier de plus en plus conséquent. Après l’élection de Valérie Pécresse à la présidence de la Région Ile-de-France, la réorganisation des services place la Direction de la culture avec à sa tête Muriel Genthon, ancienne Directrice régionale des affaires culturelles (DRAC) Ile-de-France, directement sous l’autorité de la Direction générale des services. A la suite d’un état des lieux, la Région propose aux structures culturelles qu’elle soutient un conventionnement pluriannuel, une avancée importante puisque le contrat entre la collectivité et l’établissement permet de définir les engagements de chacun dans la durée (ici sur quatre ans) en affirmant le rôle et l’identité du lieu.
En même temps est engagé un rééquilibrage du montant des subventions attribuées aux structures au sein d’un budget de la culture maintenu. Khiasma conserve sa subvention dans le secteur arts plastiques mais perd celles qui lui étaient allouées dans les secteurs du livre et du cinéma et se voit amputé de cinquante mille euros, la subvention passant de quatre-vingt dix mille à quarante mille euros. Ces nouvelles règles condamnent les structures transdisciplinaires comme Khiasma. En ne reconnaissant que son ancrage dans les arts visuels, la Région nie ses rôles pluriels pourtant bien présents avec entres autres le Festival « relectures » ou le programme « plateforme » qui, lancé début 2017, transformait Khiasma en un espace de recherche et d’expérimentations où ateliers, projections, lectures, repas, conférences, performances, constituaient autant d’ouvertures différentes et complémentaires. A l’heure où les frontières de l’art s’abolissent, ou les disciplines se mélangent dans la plus grande porosité, Khiasma semble victime d’un découpage anachronique de la culture par l’administration. L’application stricte des règles mises en place atteste de la fin de l’exception culturelle. Aujourd’hui, le domaine culturel répond aux mêmes critères « objectifs » que les autres secteurs.
 
Or précisément la culture n’est pas un secteur comme les autres. Aux critères objectifs venait jusqu’ici s’ajouter une expertise spécifique à chacune des disciplines concernées. Un concert de musique classique ne répond pas aux mêmes critères d’évaluations qu’une exposition d’art contemporain. Pour mener son évaluation à bien, l’agent doit connaitre un minimum la musique classique, y être sensible. Vouloir contenir la création artistique dans des cases prédéfinies équivaut à nier son côté flottant, sensible, subjectif. C’est pourquoi la culture a jusqu’à maintenant occupé une place à part. Il faut un minimum d’intérêt et de sensibilité pour en comprendre les enjeux. Cela explique sans doute l’incompréhension qui règne entre les administrations territoriales et les structures culturelles, qui semblent trop souvent ne pas parler le même langage.  
 

La fermeture comme acte de résistance 

En apparence, la fermeture de Khiasma serait donc étrangère à la vague populiste de fermetures à laquelle on avait pu assister au lendemain des dernières élections municipales à la faveur de mairies passées du rose au bleu et qui avait emporté, entres autres, Les Eglises à Chelles, le Forum au Blanc-Mesnil, le Wharf à Herrouville-Saint-Clair. Elle serait simplement due à la rigidité de l’application des règles administratives. A moins que ces nouvelles règles, appliquées de manière brutale car immédiates et ne ménageant aucun palier de désengagement qui aurait permis aux structures recevant des aides importantes de pouvoir se retourner en cherchant d’autres modèles, ne permettent de se débarrasser en toute légalité de partenaires non désirés (du fait de leur divergence d’esprit, de la difficulté à les contrôler ou simplement parce qu’ils sont jugés trop proche de la précédente majorité). 
Depuis le début de la mandature, outre l’arrêt du Pass contraception et la fin des financements des recherches sur le genre et les discriminations, on constate dans le domaine culturel la réduction drastique des subventions attribuées à l’association régionale d’information et d’actions musicales (ARIAM), au Festival d’Ile-de-France et donc à l’association Khiasma, baisses qui ont conduit à leur disparition. Ces désengagements, complétés par la suppression de la modeste mais symbolique aide financière versée au festival Jerk Off, dessinent une cartographie pour le moins obsessionnelle dans son ciblage des minorités. En ce moment, la décision de désengagement financier total d’ARCADI, établissement public des arts de la scène et de l’image en Ile-de-France, pourtant créé par la Région, condamne une structure qui accompagne sur la durée les porteurs de projets et entraine la disparition de Nemo, Biennale internationale des arts numériques – Paris / Île-de-France qu’elle organisait. 
 
Lors de sa campagne, Valérie Pécresse promettait vingt pour cent d’augmentation pour le budget culture si elle était élue à la tête de la Région Ile-de-France. Le développement de la culture en troisième ceinture, prioritaire une fois élue, reste à ce jour invisible. Mais les promesses, selon le fameux adage, n’engagent que ceux qui y croient.  Malheureusement cette stratégie feutrée, engagée sur la durée, redessinant petit à petit les contours du paysage culturel sans en avoir l’air, n’est pas l’apanage de la Région Ile-de-France, région la plus riche d’Europe.
D’autres exemples, plus ou moins décomplexés comme la volonté de reprise en main du CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux par la municipalité ou encore la fermeture à Châlons-sur-Saône du Musée Nicéphore Niépce pour lequel la majorité municipale a généreusement octroyée une salle dans l’enceinte du futur Musée du vin, montrent la méconnaissance voire le mépris dans lequel sont tenus les lieux (et les métiers) culturels.
 
A l’heure où triomphent les fondations d’entreprise, il faut se garder du miroir aux alouettes et de la tentation de leur céder une culture jusque-là publique. Car si la philanthropie américaine du début du XXè siècle a permis la constitution de modèles culturels spécifiques, incluant des missions pouvant être qualifiées de service public comme l’éducation (le Metropolitan Museum of Art de New York en est le parfait exemple), les fondations d’entreprise qui se multiplient actuellement au point de modifier l’écosystème français de l’art contemporain renversent la donne en plaçant l’art au service de l’entreprise dans le but de valoriser son image. La collection d’art devient un outil de communication, une carte de visite. Trop souvent ramenées à leur seule valeur esthétique, les œuvres sont données à voir à la queue-leu-leu, succession de chefs-d’œuvre sans propos ni contexte.
 
Olivier Marboeuf rappelle que la fermeture de Khiasma n’est pas seulement liée à des questions économiques, elle est aussi et surtout une décision politique, prise en accord avec l’équipe. Pour lui, il n’est pas question de jouer la carte de la survie. Les conditions matérielles ne sont pas réunies pour continuer. Pour l’heure, il conviait tous ceux qui le souhaitaient à une dernière soirée festive le samedi 20 octobre autour d’un repas où il fût sans nul doute question d’imaginer de nouvelles formes de partage.  « Khiasma s’en va donc. Il faut apprendre à disparaître. A devenir une fable qui agit et empoisonne. Que d’autres vont rejouer, défaire et refaire ailleurs. Et la belle ne viendra pas mendier sa survie. C’est ainsi. Restes d’une conscience de classe, comme on disait au XXème siècle. Nous allons bientôt veiller autour de la morte élégante qui fait des clins d’œil du fond de son cercueil. Nous soustraire au regard dans son sillage. A ceux qui ont pris mandat pour détruire, nous disons que nous faisons alliances avec les morts, que nous chérissons la cendre qui nourrit les futurs. A ceux qui font économie de la violence et lustrent les statues de banquiers, nous disons que nous ferons notre retour dans un autre corps et un visage sale. Ce n’est pas commun de dire au revoir ainsi, on aimerait une tribune qui réclame quelque chose. Nous ne réclamons rien. Nous sommes là. » (Olivier Marboeuf).
 
Guillaume Lasserre, Historien de l’art – Auteur du blog Un certain regard sur la culture
 
Espace Khiasma 15, rue Chassegnolle, 93 260 LES LILAS
 
Image d’entête : « Khiasma fighting spirit depuis 2001 » © Association Khiasma
 

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