À l’initiative de Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, une mission d’information parlementaire a été menée sur « les entraves à l’exercice de certaines activités légales », notamment l’agriculture, le commerce de viande, l’abattage et la chasse. L’objectif des députés est clair : accentuer la répression pénale des lanceurs d’alerte et des actions de désobéissance civile qui dénoncent entre autres l’utilisation des pesticides, l’élevage industriel et la chasse. Le rapport parlementaire présidé par le député Les Républicains Xavier Breton, et les deux rapporteurs, Martine Leguille-Balloy et Alain Perea, tous deux affiliés à La République en marche, a été adopté ce mardi 26 janvier. Sa lecture donne la nausée et augure d’un renforcement de l’arsenal autoritaire de l’État contre l’écologie.
Hasard du calendrier ou cynisme politique absolu, alors que le gouvernement se gargarise de mots sur la protection de la biodiversité ou la préservation du bien-être animal, un rapport parlementaire allant à contre-sens est adopté ; il propose un arsenal de mesures destinées à accentuer la pression pénale contre tous ceux qui informeraient, dénonceraient, alerteraient ou voudraient s’opposer à des pratiques contraires à l’environnement et au respect de la nature. Les militants antiglyphosate ou antichasse n’ont désormais qu’à bien se tenir. Ceux qui filment dans les abattoirs pour dénoncer des pratiques scandaleuses risquent maintenant la prison. Le voisin d’un agriculteur épandant des pesticides risque désormais gros s’il fait part de son mécontentement. S’il vous venait à l’idée de filmer une chasse à courre pour sensibiliser au bien-être animal, vous risquerez 1 an de prison et 45.000 € d’amende.
Notre confrère Reporterre a analysé et publié ce rapport parlementaire adopté à la quasi-unanimité. Seuls trois parlementaires (Chantal Jourdan, Delphine Batho et Dominique Potier) ont voté contre la publication de ce document à charge, dont les recommandations visent à porter une nouvelle atteinte aux libertés fondamentales.
Attaques liberticides
Car ce travail s’ajoute à une somme conséquente d’attaques liberticides. Tout récemment, en 2019, la cellule DEMETER affiliée à la gendarmerie nationale a été créée en partenariat avec le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA. Derrière une volonté affichée de protéger les agriculteurs, cette cellule vise à museler l’opposition à l’agriculture industrielle. Actuellement, le gouvernement soutient la proposition de loi « sécurité globale” qui vise entre autres à interdire la diffusion d’images des forces de l’ordre et à accentuer la surveillance des citoyens et citoyennes par l’utilisation de drones et de caméras mobiles. La loi « séparatisme », qui sera débattue prochainement à l’Assemblée nationale, et les décrets visant à ficher massivement les militants politiques sont autant d’autres atteintes récentes aux libertés fondamentales. Elles vont de pair avec une multiplication des tentatives d’intimidation des militants écologistes, comme le montre le dossier de France Nature Environnement.
Le rapport parlementaire traduit explicitement une volonté de criminaliser l’écologie et d’installer un bouclier de protection dissuasif au profit des industriels de l’agriculture intensive, du lobby de la chasse et plus généralement des activités portant atteinte à l’environnement.
Les auteurs du rapport s’en prennent d’emblée aux actions qui « stigmatisent des activités légales » comme « les OGM, la corrida, l’utilisation de glyphosate et autres produits phytosanitaires, les activités cynégétiques ou la consommation de protéines d’origine animale ». Dans la ligne de tir des parlementaires, des écolos « notamment urbains » (lire : des bobos qui ne comprennent rien à la nature), mais aussi un ramassis « d’antiféministes, d’antipolice, d’antinucléaires » et, pourquoi rester dans la demi-mesure, « On y retrouve également des black blocs ».
Inventaire à la Prévert
Le rapport est un inventaire à la Prévert d’actions « répréhensibles » contre lesquelles les parlementaires souhaitent renforcer l’arsenal répressif : l’altercation entre « un jeune chasseur et trois militants radicaux qui l’auraient mordu à la main », « des échanges verbaux vifs » avec un pauvre agriculteur, des sit-ins contrariants devant des abattoirs, des tags sur des cabanes de chasseurs, des moqueries diffusées sur les réseaux sociaux à l’encontre de personnalités férues de chasse au gros, etc.
Plus gravement, les rapporteurs souhaitent renforcer les sanctions pénales contre ceux qui diffuseraient des informations considérées en tant que telles comme des « entraves à l’exercice de certaines activités » professionnelles ou de loisir. A ce titre, les rapporteurs affirment : « les réseaux sociaux constituent en soi un moyen d’entrave » : ils « inspirent » et « amplifient les conséquences des actions ».
Le rapport des députés est assorti de plusieurs recommandations comme par exemple : créer un délit d’entrave à la chasse, passible de 6 mois d’emprisonnement et de 5.000 euros d’amende. Ils proposent aussi d’introduire dans le code pénal un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende l’intrusion sur un site industriel, artisanal, agricole ou de loisirs, qui aurait pour but de « troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité ».
Le site Reporterre fait remarquer que « Plusieurs mesures apparaissent comme une réponse directe aux demandes du principal syndicat agricole, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). » Il est vrai que les rapporteurs ont entendu plusieurs organisations professionnelles et experts : quasiment tous sont issus des secteurs de l’agriculture industrielle. L’un des rapporteurs, Martine Leguille-Balloy, est une avocate réputée avec une clientèle essentiellement agroalimentaire ; c’est elle qui avait proposé une commission d’enquête sur l’agribashing. Un autre rapporteur, le député Alain Perea, s’était fait une réputation quand un vététiste avait été tué par un chasseur ; il avait alors proposé d’interdire… le VTT pendant la période de chasse.
Museler le champ social
Ce rapport parlementaire à charge, s’il était suivi de dispositions législatives, constituerait alors une importante pièce de plus dans la volonté de l’Etat d’intimider et de museler le champ social. La criminalisation des actions menées pour défendre l’environnement par des organisations constituées, comme par la société civile dans son hétérogénéité, est une tentation inquiétante d’atteinte aux libertés publiques. Les libertés d’association, d’information, d’expression, de manifestation sont menacées.
D’autant que les tentations d’étouffement des actions écologiques par l’État ne sont pas nées avec ce rapport. Libération avait publié en septembre 2020 une enquête au long cours démontrant comment l’État français et ses organes locaux cherchent à encadrer, voire décourager, les associations et les militants écologistes. Ces deux dernières années, alors que les manifestations pour une planète habitable et les actions de désobéissance civile se sont multipliées, des dizaines de poursuites ont été engagées par l’État ou ses représentants contre des militants environnementalistes. Perquisitions, procès, surveillances, et même écoutes, sont devenus le lieu commun des organisations écolos, des plus grandes comme Greenpeace aux plus confidentielles, mais aussi d’individus considérés par les autorités comme des radicalisés de l’écologie. Selon Libération, « L’État a déployé contre eux un système de répression propre à l’antiterrorisme, avec l’utilisation d’outils de surveillance tels les Imsi-catchers, ces appareils attrapant les données de tous les portables environnants ».
Christian Mouhanna, chercheur affilié au CNRS et au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, le confirme sur la base de ses recherches : «Un durcissement et une surveillance accrus des militants environnementalistes ont été mis en place que ce soit dans le traitement policier, les réactions des préfectures ou de l’Intérieur.»
L’État a peur
Cette réaction de l’État à l’encontre de la contestation écologique démontre si besoin était que l’Etat a peur. Peur de son incapacité face à des enjeux environnementaux qu’il sait grands. Peur d’être débordé par une société civile qui craint pour sa sécurité et son avenir.
Amitav Ghosh explique très bien dans son dernier livre Le grand dérangement (Ed. Wildproject, 2021) comment les processus politiques occidentaux n’exercent qu’une influence très limitée sur l’art de gouverner. L’exercice effectif du pouvoir est relégué à l’enchevêtrement complexe d’entreprises et d’organisations, de groupes et de forces de lobbying, qui constituent ce que d’aucuns appellent « l’État profond ». Mais il se trouve, comme le soutenait Michel Foucault, que la « biopolitique » est au cœur de la mission des gouvernements modernes, les enjeux environnementaux comme les enjeux sanitaires — on le voit bien avec le Covid-19 — représentent une crise sans précédent pour les pratiques gouvernementales.
Du point de vue des gouvernements, les enjeux écologiques ne constituent dès lors pas un danger en soi, mais agissent plutôt comme ce qu’Amitav Gosh appelle un « multiplicateur de menaces », qui risque d’aggraver les tensions déjà existantes et conduire à l’intensification des conflits. C’est pourquoi les militants écologiques— mais peut-être demain les militants anticonfinement ou anticouvrefeu — figurent désormais parmi les principales cibles de l’arsenal de surveillance et de répression des gouvernants. Leurs actions de contestation quand ce n’est de rébellion ou de désobéissance civile deviennent, aux yeux de l’Etat, des enjeux de sécurité majeurs, mettant en péril l’État lui-même. Le rapport parlementaire publié ce 26 janvier n’est qu’un jalon de plus dans cette évolution périlleuse.
Tout ce qui est exagéré est insignifiant !!! Le propos est menteur au niveau de la loi de sécurité globale et de l’article 24: «Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police», est-il écrit. C’est… Lire la suite »