Le Pacte de responsabilité repose sur les principes de la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Comment faire en sorte qu’il incite les entreprises à adopter la ‘RSE attitude’ ? Je propose quelques pistes dans cet article de ‘Management & RSE’ .
En quoi le pacte de responsabilité met-il en œuvre les principes et les modes de fonctionnement de la RSE ? Le pacte et la RSE partagent-ils davantage que le mot qui leur est commun, celui de Responsabilité ? La mise en œuvre du pacte de responsabilité repose sur quatre principes constitutifs de la RSE, ce qui lui procure une forte proximité avec les approches de responsabilité sociale. Un pas supplémentaire pourrait même être franchi, avec l’intégration de la RSE comme une contrepartie possible au sein du pacte.
A l’occasion de ses vœux aux Français le 31 décembre 2013, François Hollande a proposé un pacte de responsabilité aux entreprises, « fondé sur un principe simple : moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social ». Le contenu et le mode de fonctionnement de ce pacte ne sont pas étrangers à la notion de RSE. La proximité entre ces deux notions m’est apparue fortement lors des débats au sein du groupe de travail de Terra Nova sur le pacte de responsabilité, que j’ai eu le plaisir de présider ; de la table-ronde de clôture du salon Produrable, que j’ai eu le plaisir d’animer, intitulée « La RSE peut-elle favoriser le pacte de responsabilité ? La parole aux partenaires sociaux ».
J’ai donc essayé ici de formaliser quelques-unes des idées échangées – et je remercie les porteurs de ces idées, qui se reconnaîtront !
Commençons par expliciter les quatre principes constitutifs de la RSE, sur lesquels repose le pacte de responsabilité.
L’intégration volontaire
Le Parlement Européen a défini la RSE au début des années 2000 comme « l’intégration volontaire des considérations environnementales et sociales dans les activités des entreprises, en dehors des prescriptions légales et des obligations contractuelles ». C’est bien la logique du pacte que de chercher à modifier l’équation économique des entreprises en les incitant à inclure les préoccupations de parties prenantes qui ne sont pas habituellement prises en compte : les demandeurs d’emploi, l’intérêt général, etc. La démarche est-elle totalement volontaire ? Oui, mais elle est régulée par la négociation (accords de branche dont la négociation va s’enclencher dans les semaines qui viennent) et les incitations financières (allègements de cotisation sociales pour un total de 30 milliards d’euros, incluant le CICE[1]).
Négociation et incitation : on retrouve dans le pacte cette oscillation entre démarche contrainte et démarche totalement volontaire, qui nous est familière dans le « paradigme » de la RSE. Il faut d’ailleurs noter que l’Union Européenne a fait évoluer sa conception : après la définition initiale citée ci-dessus, qui met fortement l’accent sur le caractère volontaire de la démarche, la nouvelle définition adoptée dix ans plus tard, après des mois de débat, est plus complexe : « La responsabilité sociale des entreprises concerne les actions de celles-ci qui vont au-delà des obligations juridiques qui leur incombent à l’égard de la société et de l’environnement. Certaines mesures réglementaires peuvent créer des conditions plus propices à inciter les entreprises à s’acquitter volontairement de leurs responsabilités sociales »[2]. Une matérialisation récente de cette instillation de la contrainte réglementaire en matière de RSE est la nouvelle législation européenne sur le reporting extra-financier.
Le pacte de responsabilité pousse les entreprises à adopter la « RSE attitude » : intégrer la logique de marché et la logique de société dans leur stratégie business, plutôt que de les gérer séparément.
La culture du compromis
Le propre de la RSE est d’offrir un cadre de régulation des compromis entre parties prenantes multiples. Cette culture du dialogue et de la co-construction apparaît clairement dans le pacte de responsabilité, qui matérialise le résultat instable de la confrontation raisonnée entre trois parties : Etat, Entreprises et Syndicats de salariés. Les hauts et les bas qui ont rythmé la construction du pacte, depuis son annonce par le président de la République lors de ses vœux aux Français le 31 décembre 2013, reflètent l’évolution des rapports de force entre ces trois acteurs.
Lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, le président a présenté le pacte de responsabilité comme « un grand compromis social, peut-être le plus grand proposé depuis des décennies ». Dans un article remarquable intitulé « Les trois lectures possibles du pacte de responsabilité de François Hollande », Olivier Favereau y voit un précédent : « Se pose pour la première fois la question d’un partenariat politique réfléchi et assumé de l’ensemble des entreprises avec l’Etat-nation. Ce qui va bien au-delà de la vieille social-démocratie »[3].
Le point d’équilibre de cette régulation est matérialisé par la notion de contrepartie, qui fait partie intégrante du pacte mais n’est pourtant pas suffisamment mise en avant aujourd’hui. Elle est essentielle dans le lien avec la RSE puisque les contreparties matérialisent la responsabilité assumée par l’entreprise vis-à-vis de la société. Sur ce point, je vous invite à lire mon article pour Miroir Social : « Pacte de responsabilité : 6 raisons de réhabiliter (d’urgence) les contreparties ».
Enfin, la réussite du pacte, comme celle de la plupart des initiatives en matière de RSE, dépend étroitement de la confiance qui se noue entre les parties prenantes, de leur désir commun d’avancer, de tisser une relation loyale et centrée vers l’avenir, d’accepter le compromis. Cette confiance est une matière instable, menacée en permanence.
L’élargissement du dialogue social
La RSE est un outil d’anticipation et de maîtrise des risques selon un mode inclusif : elle met les parties prenantes dans le jeu ; elle les responsabilise sur des objectifs communs ; elle les renforce en tant qu’interlocuteur et partenaire légitime. Le pacte a été construit sur une logique similaire. Son intention est de reconnaître que les partenaires sociaux doivent aussi devenir des partenaires économiques. Loin d’être réduit à une négociation qui s’établit lorsque les décisions sont déjà prises et que l’on ne peut que « limiter les dégâts » (ex : PSE), le dialogue social s’ouvre vers l’amont, vers le diagnostic de la situation économique et des marges de manœuvre disponibles pour traiter les questions d’emploi et de qualification.
C’est un apport majeur de la négociation des contreparties, dont je regrette qu’elle soit centrée sur les branches professionnelles au lieu d’irriguer les entreprises – au moins pour les plus grandes d’entre elles.
La démarche de mise en visibilité
La RSE est un processus, une démarche visant à inciter les entreprises à prendre des engagements précis vis-à-vis de leurs parties prenantes, à les formaliser, les rendre visibles, les évaluer de façon contradictoire (reporting, notation sociale, communication,…) et à communiquer sur les résultats. On retrouve ce souci de transparence dans l’intention initiale du pacte, présentée par le président de la République lors de ses vœux aux acteurs de l’économie et de l’emploi, le 21 janvier 2014 : un pacte comportant « des contreparties claires, précises, mesurables et vérifiables ».
Le pacte, comme la RSE, fonctionne sur une logique de contrat. Comme l’a souligné Patrick d’Humières, directeur de l’Institut RSE Management, « le pacte de responsabilité restera une posture politique des uns et des autres qui se renverront vite des statistiques confuses, s’il ne descend pas dans cette pratique de la mise en application individualisée, mettant au défi les démarches de RSE dont se réclament désormais la plupart des groupes »[4].
Le groupe de travail de Terra Nova sur le pacte de responsabilité a proposé une démarche d’ensemble, pragmatique et concrète, qui met ces principes en pratique : « Réussir le pacte de responsabilité : pour une culture du dialogue économique et social », Note Terra Nova, 14 mars 2014.
Comment franchir une nouvelle étape ?
Aujourd’hui, l’approche RSE constitue une ossature du pacte de responsabilité : elle lui procure des lignes directrices d’organisation. Aller plus loin consisterait à faire de la RSE un contenu du pacte, au travers des contreparties. Alors que la RSE constitue aujourd’hui une source d’inspiration du pacte, c’est ce dernier qui deviendrait un moteur de la RSE.
Les contreparties actuelles sont centrées sur l’emploi, la formation professionnelle, les investissements et le « produire en France ». Plusieurs intervenants, aussi bien lors de la table ronde de Produrable qu’à l’occasion des réunions du groupe de travail de Terra Nova, ont émis des propositions pour faire de la RSE une contrepartie possible dans le pacte.
Trois propositions concrètes me semblent particulièrement prometteuses
La gouvernance. L’ANI sur la sécurisation de l’emploi de janvier 2013 (loi du 14 juin 2013) prévoit la désignation d’un ou deux administrateurs salariés dans les grandes entreprises. Il est malheureusement peu probable qu’une si modeste représentation des salariés soit suffisante pour modifier les équilibres au sein des conseils d’administration[5]. Rappelons que dans son rapport sur la compétitivité, Louis Gallois préconisait la présence d’au moins 4 représentants des salariés (et au plus un tiers des membres) dans les Conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 5000 salariés[6]. Les entreprises seraient ainsi incitées, au titre des contreparties des allègements de cotisation sociale, à retenir ces préconisations. Elles effectueraient ainsi un pas plus décisif vers une gouvernance responsable.
La notation sociale. L’une des propositions de François Hollande alors candidat (engagement No 24) consistait à « mettre en place un dispositif de notation sociale obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés à faire certifier annuellement la gestion de leurs ressources humaines au regard de critères de qualité de l’emploi et de conditions de travail »[7]. La mise en œuvre de cette notation permettrait de dimensionner la hauteur des allègements de cotisations sociales à celle de la qualité et de la performance sociale atteinte par l’entreprise au bénéfices de ses salariés et de la collectivité.
L’inscription dans les territoires. Dans sa configuration actuelle, le pacte intègre essentiellement trois parties prenantes (Etat, entreprises, salariés). Dans la mesure où le lieu d’ancrage du travail et de ses mouvements (transitions professionnelles, formation,…) se situe dans les bassins d’emploi, une véritable décentralisation du pacte permettrait de fédérer l’ensemble des parties prenantes à la création et au développement des emplois. C’est ainsi par exemple, que la négociation des contreparties pourrait être confiée aux territoires qui en feraient la demande. Cette approche favoriserait aussi l’inscription de la RSE, une notion parfois éthérée, dans la glaise des territoires, en proximité des citoyens et des salariés. Un signe positif : l’une des premières initiatives du nouveau premier ministre a été de réunir les représentants territoriaux de l’Etat (Maison de la chimie à Paris, le 28 avril 2014) : « c’est aux préfets et aux représentants de l’État qu’il appartient de faire vivre le pacte de responsabilité dans les territoires », a souligné Manuel Valls. Les préfets et les DIRECCTE[8] devront installer le pacte « et en organiser le suivi avec les partenaires sociaux ».
Conclusion
La démarche partenariale portée par le pacte de responsabilité s’impose. Elle s’impose d’autant plus face à l’impasse que constitue l’épuisement de notre modèle de développement. L’entreprise ne peut plus durablement porter seule l’enjeu de la compétitivité ; les salariés celui du travail et l’Etat celui de l’emploi. Ces trois acteurs sont des « stakeholders », littéralement des « porteurs d’enjeux », qui doivent se saisir de la notion de responsabilité, c’est-à-dire se mettre en capacité d’apporter des réponses globales. Chacun d’entre eux doit sortir de son rôle convenu, dépasser sa posture stéréotypée pour tisser le compromis social, la politique contractuelle qui articule ce socle d’enjeux : compétitivité, travail, emploi.
Martin Richer, Consultant indépendant
[1] Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi
[2] « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », Communication de la Commission européenne, 2011
[3] Revue du MAUSS permanente, 16 janvier 2014
[4] « Individualiser et territorialiser le pacte de responsabilité », Le Monde, 9 janvier 2014
[5] Voir sur ce point : « Salariés dans les CA : état des lieux », Metis Europe, 26 Mars 2013
[6] « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », 5 novembre 2012
[7] « Mes 60 engagements pour la France », Brochure de François Hollande en vue de l’élection présidentielle du 22 avril 2012
[8] Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi
– Le rapport Terra Nova : « Réussir le pacte de responsabilité : pour une culture du dialogue économique et social »
– Une interview de Terra Nova sur Xerfi : Le pacte de responsabilité : quelles contreparties ? Quel rôle pour le dialogue social ? Quels facteurs clés de succès ?