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La fête à Arthur Cecil Pigou et… à Christian Gollier !
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La fête à Arthur Cecil Pigou et… à Christian Gollier !

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Si vous vous levez tôt – 5 heures du matin ! – et si vous avez écouté France Culture ce 30 juin, vous n’avez donc pas pu manquer, le dernier cours au Collège de France qu’a donné le 17 février dernier le Professeur Christian Gollier, théoricien de la décision comme il se présente lui-même, cours d’une Chaire annuelle intitulée « Fin du mois et fin du monde : comment concilier économie et écologie ?»…. Faire la « Fête à Pigou », c’est rappeler le regard novateur qui a été le sien à son époque, mais c’est aussi savoir radicalement le dépasser aujourd’hui, ce que Christian Gollier semble ne pas vouloir faire.

Le Professeur Christian Gollier se présente lui-même comme un théoricien de la décision. Il avait la charge, cette année, d’une Chaire au Collège de France intitulée « Fin du mois et fin du monde : comment concilier économie et écologie ? » …. Sujet intéressant, n’est-ce pas ?
J’avais écouté sa Leçon inaugurale le 9 décembre 2021, très intéressante. Aussi, me suis-je levé tôt ce jeudi 30 juin – à 5 heures du matin ! – pour entendre, sur France Culture, la retransmission de son ultime cours du 17 février dernier.

La capacité d’influence internationale de Christian Gollier est réelle. Il dirige l’Ecole d’Economie de Toulouse. Il est très proche de Jean Tirole tout autant que de William NORDHAUS, tous deux Prix Nobel d’Economie. En outre, il entretient, nous fait-il savoir, un dialogue nourri avec les conseillers du Président Biden. Voilà un savant dont l’influence pigouvienne est indubitable : il cite d’ailleurs PIGOU de temps à autre.

Il est un spécialiste de la question majeure des taux d’actualisation et de leur décision, laquelle, vous le savez, revient à formaliser le lien qui existe entre un « sacrifice » consenti aujourd’hui, et un « sacrifice » consenti ultérieurement. Christian Gollier produit des modèles sophistiqués pour armer scientifiquement ce type de décision. Il souhaite, dit-il, « mettre de la rationalité dans un débat où les idéologies prennent le dessus » en réfléchissant d’une part à une économie du climat et aux politiques climatiques, d’autre part à « la valeur du carbone » pour traduire de façon opérationnelle nos responsabilités envers les générations futures.

Je vous livre fidèlement la conclusion de sa Leçon inaugurale : « Le temps est venu pour un avenir commun durable parce qu’il en va de notre responsabilité envers les générations futures. Mais le changement climatique engendre une double défaillance, celle des marchés et des démocraties, qui oblige les politiques responsables à réaligner la myriade des intérêts privés sur l’intérêt général en imposant un prix uniforme du carbone, sans exception et sans hausse de la pression fiscale au sein de politiques simples et transparentes dans l’efficacité et la justice. Tous calculs faits, l’objectif climatique retenu de + 2°C, (démocratiquement légitime, reconnaît-il, en oubliant celui de +1,5°C) justifie que tout acteur sur la planète, pour entraîner une dynamique de décarbonation, envisage dorénavant la tonne de CO2 à 150 euros aujourd’hui pour, croissant à 4% par an, atteindre, en espérance, 500 euros en 2050, date de l’attendue neutralité carbone ».

Tout bon scientifique apprécie ces démarches exigeantes qui cherchent à se frayer un chemin entre les deux écueils les plus fréquents : la cristallisation idéologique d’une part, et le scientisme dépolitisant, d’autre part. Mais, pour le coup, je n’étais pas encore bien assuré du succès de son entreprise. Aussi, ai-je voulu écouter le dernier cours de Christian Gollier, qu’il a présenté comme une synthèse. Je voulais surtout capter les inflexions par rapport à la Leçon inaugurale.

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Le message principal à l’adresse des puissants de ce Monde est bien resté le même : le « signal-prix » à travers une « valeur carbone » est la garantie de la meilleure allocation possible des efforts et des bénéfices.

J’y ai entendu d’incontestables éléments de continuité : chez lui, la biosphère est strictement conçue comme un récipient à gaz à effet de serre à remplir sans qu’il en vienne à déborder, justifiant par là sa proposition de concentrer l’action publique internationale autour d’un « budget carbone intertemporel ».

Mais là, ma réaction fut double. Décidément, me suis-je dit d’abord, certains économistes ont bien du mal à s’extraire d’une représentation de la biosphère comme objet inerte ; jamais la biosphère comme système vivant fait d’interrelations, jamais ! De la sorte, tant d’acquis des sciences biologiques, humaines et sociales depuis 30 ans au moins, ignorés ! Et ensuite, je fus troublé devant cette tentation à recourir fondamentalement aux analyses coûts-avantages dont nous savons pourtant depuis 50 ans – depuis au moins René Passet, et bien d’autres après – que leur logique mécanique ne colle pas avec les caractéristiques des systèmes vivants.

J’y ai entendu aussi au moins un élément d’incertitude – de dissonance ? – bien plus net entre la première et la dernière Leçon : Christian Gollier espère de grands progrès scientifiques qui fassent sauter les verrous technologiques qui empêchent une décarbonation massive, mais ils se font attendre, admet-il jusqu’à manifester (très brièvement, certes !) un réel désespoir. En réponse à une question : « Evidemment, en absence de ces progrès, on peut alors penser à 2000 euros la tonne de CO2, et la décroissance des économies ne serait alors pas inenvisageable !»

Ciel ! Là, me suis-je dit, la stabilité de son modèle tiendrait-elle à ce type de « pari solutionniste » ? Face à un problème aussi complexe et multidimensionnel que le désastre écologique, ce serait osé quand même ! Et alors, que dire sur l’impasse presque totale de sa réflexion sur l’évolution des conditions matérielles d’existence des hommes et des sociétés, en particulier sur les diverses possibilités d’amender les modes de vie prédateurs d’une minorité d’entre eux qui tirent aujourd’hui déjà les économies… vers la décroissance ! 

Non ! Christian Gollier, au détour de quelques incises, ne résiste pas à quelques naïves sorties de route idéologiques. Il présente le Monde… comme emporté dans un  débat entre les « gens » dont la voix raisonnable se fait entendre à travers les Marchés – pourtant défaillants sur un tel enjeu, avait-il avoué peu de temps auparavant – et dont, lui, défend rationnellement la parole et les intérêts à travers son modèle avancé, entre les gens, donc, et…et « le philosophe » ! Ah ? Les gens et le philosophe ! J’ai même senti que le philosophe pouvait prendre la figure d’un affreux keynésien, au mieux…et, au pire, mais oui ! celle, totalitaire, du « Petit père des peuples » (sic) !… Sans comprendre d’ailleurs que le « Petit père des peuples » qu’il redoute pourrait s’apparenter à son propre Guide divin, l’Optimum (économique) !

Christian Gollier, il le répète souvent, se sent bien seul sur le front avancé de ses modélisations… seuls 3 ou 4 économistes dans le Monde, regrette-t-il ! Et pourtant, son espoir –  qu’il présente comme sincère et qui doit l’être ! – est de contribuer avant tout… au débat public.

Aussi, proposerai-je ici de donner un peu de notre temps – fût-ce un temps de « philosophe » – à lui faire écho, au moins à lui offrir une courte réponse d’attente (il sait, lui-même, interpeller les climatologues et des économistes du climat dont il a fini, me semble-t-il, par considérer les travaux après les avoir « vertement » rabroués pour incompétence).

A notre tour de l’interpeller : « Christian Gollier, la destruction du Vivant qui menace jusqu’à l’habitabilité de la Terre par les humains saurait-elle encore se réduire aujourd’hui à un risque, notion probabiliste, donc assurable ? Vous présumez toujours cela dans vos raisonnements. Or, quand un risque devient systémique, il prend une nature différente en ce qu’il relève de multiples dangers à l’interdépendance réelle, des dangers que nous n’avons pas su collectivement anticiper et nommer, puis en écarter certains pour n’avoir, EN AUCUN CAS, à en courir les effets, ici la perte d’homéostasie des conditions physiques du Monde vivant ! 

Bref, comment pouvez-vous ignorer une telle représentation de l’enjeu ? Aujourd’hui, le défi suppose donc impérativement de reconstruire le plus vite possible des économies écologiquement compatibles. Cet enjeu, ce défi n’invalident-ils pas les hypothèses de base qui forgent votre modèle « réductionniste » ?
Christian Gollier, vous allez questionner notre représentation de l’enjeu et du défi associé, n’est-ce pas ?

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Jean-Paul Karsenty, Économiste, ancien ingénieur économiste au CNRS 

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