Principales caractéristiques de l’innovation 3C
* Des ingrédients de base bien dosés
Si on résume les choses, une innovation 3C réussie demande plusieurs types d’ingrédients bien dosés :
– Des acteurs impliqués : « N’oubliez jamais que ce sont des professionnels qui ont construit le Titanic et des amateurs l’Arche de Noé » – Citation anonyme
– Les lead users : ce sont les acteurs clés en ce sens qu’ils représentent cette frange de personnes qui ont pour caractéristique principale d’être plus tournées vers le futur que le reste de leurs congénères. Ces individus que l’on peut qualifier d’avant-gardistes sont le plus à même d’éclairer et de tracer des voies d’avenir.
Ayant toujours une longueur d’avance, ils préfigurent les modes de vie et les habitudes de consommation qui seront ensuite adoptés par le restant de la population. Loin d’être de simples faiseurs de tendances, ce sont de vrais défricheurs du futur, de par le rôle pro-actif qu’ils jouent. Ils ne sont contentent pas d’être sensibles à des offres nouvelles proposées par des entreprises, qui leur paraissent souvent faussement innovantes. Au contraire, ils recherchent – et d’ailleurs souvent proposent – de vraies innovations.
Leur but premier n’est pas de se distinguer en étant les premiers à acquérir le dernier modèle venant de sortir, mais au contraire de ne pas subir les diktats de la consommation. En d’autres termes, ils ne sont pas motivés par des modes par nature éphémères, ni par la fausse nouveauté, mais sont à l’affût d’offres véritablement novatrices et faisant sens à leurs yeux. Ils sont tout sauf des suivistes. Ils ne se conforment pas aux tendances, au contraire ce sont eux qui les créent, et cela dans tous les domaines. Les lead users peuvent ainsi se trouver dans tous secteurs et en tous lieux, y compris au fin fond de la campagne où on pourra rencontrer des paysans « lead users » inventant au fin fond de la Lozère de nouvelles formes d’élevage ou d’agriculture bio.
– Les communautés : la notion de « lead users » implique a contrario qu’il y ait des « usagers lambdas » constituant la masse qui va les suivre et adopter progressivement leurs usages et comportements. On l’a évoqué plus haut, une démarche d’innovation provenant des lead users a en effet besoin de se déployer dans des réseaux et communautés de pairs. Et de façon naturelle, répondant à des lois quasi biologiques, ces masses de suiveurs constituent des réseaux plus ou moins informes et informels dans lesquels se diffusent les innovations. Et lorsque ces réseaux d’individus commencent à s’organiser en fonction de centres d’intérêt communs qui les rapprochent, ils fonctionnent comme des écosystèmes relativement autonomes. On parle alors de communautés.
• Des outils et méthodes pour impliquer l’usager
Les outils et méthodes permettant d’impliquer les usagers sont légion. L’innovation 3C puise donc largement pour cela dans la panoplie de l’existant, et notamment dans celle des outils dits du « web 2.0 ». Parmi ceux-ci, on peut citer les plateformes de génération d’idées (ideagoras), les plateformes collaboratives de partage, les méthodes dites de « crowdsourcing » (littéralement, approvisionnement par la foule), etc.
Ce qu’il nous parait important de mentionner à ce stade c’est que lorsque les entreprises veulent impliquer leurs consommateurs, elles peuvent le faire de bien des manières. Il y a tout un continuum possible dans la façon d’impliquer l’usager : écouter les avis et opinions qu’il émet de façon à réagir à ceux-ci (service consommateur) ; anticiper ses besoins par des méthodes marketing classiques (enquêtes, sondages, focus groups, etc.) ; recourir à des procédés de « customisation » pour lui permettre de bénéficier d’offres personnalisées ; le faire participer à certaines phases du processus d’innovation (souvent les phases avale de mise au point) ; ou alors co-innover avec lui dès l’amont du processus.
Bien évidemment, lorsqu’un concept comme celui de l’innovation 3C a le vent en poupe, il fait souvent l’objet de récupération et de dévoiement de type opportuniste et mercantile. Pour illustrer en quoi une démarche d »innovation 3C se distingue fondamentalement des autres démarches basées sur la participation des consommateurs, prenons l’exemple des œufs au bacon : dans la confection de ce plat, les rôles respectifs de la poule et du cochon n’ont rien à voir : la première participe, alors que le deuxième est complètement engagé !
* Un état d’esprit approprié
On l’a vu, Il est donc vain de chercher à présenter une liste exhaustive d’outils et méthodes patentés. C’est en réalité davantage dans la façon d’utiliser des outils et procédés existants, et de les combiner entre eux qu’on pourra esquisser des bonnes pratiques de l’innovation 3C. Il s’agit plus de savoir doser divers éléments, les agencer entre eux et procéder à des réglages fins qu’on trouvera la meilleure façon de pratiquer l’innovation 3C.
Au demeurant, les outils et méthodes sont certes utiles et même indispensables, mais se révéleraient inopérants s’ils étaient appliqués comme des recettes passe-partout et ne s’inscrivaient pas dans un désir authentique de collaboration avec les usagers. Car ce qu’il faut comprendre c’est que l’innovation ascendante est avant tout une question de posture, d’état d’esprit, d’attitudes et comportements idoines, et même de valeurs (valeurs de partage, d’échanges, de coopération, d’ouverture).
L’innovation 3C est une démarche ancrée dans la vie et centrée sur l’Homme et intégrant aussi des notions d’éthique, de développement durable, d’implication sociale et citoyenne. Elle prend du recul et se projette en même temps plus loin. Elle s’inscrit dans une perspective de prospective et non dans des contingences purement marketing. Nous pensons en effet qu’il ne faut pas dévoyer ce type de démarche pour faire une innovation banale, répondant à des critères seulement marketing, mais au contraire y recourir pour réellement inventer le monde de demain.
De nouvelles voies prometteuses en matière d’innovation 3C
Parmi les voies d’avenir les plus prometteuses pour pratiquer l’innovation 3C, il faut citer les suivantes :
• La 3D et les technologies immersives
L’innovation 3C connaît depuis quelques années de nouvelles avancées grâce à la 3D et aux technologies immersives (univers virtuels, réalité augmentée, etc.). Ce sont des outils en plein essor qui vont complètement changer la donne en matière d’innovation 3C. Mais ils constituent aussi de nouveaux environnements qui d’une certaine manière permettent de s’affranchir des lieux physiques d’expérimentation ou, à tout le moins, les complètent permettant de concilier les expérimentations in virtuo avec les expérimentations in vivo et in vitro. Ces technologies ont des avantages majeurs en matière d’innovation 3C : en permettant de procéder aisément à de la simulation ils facilitent grandement l’expérimentation par essais-erreurs. Ils accélèrent aussi tout le processus de co-innovation depuis la phase d’idéation jusqu’à la phase de commercialisation, en passant par les phases déterminantes, dans un processus d’innovation, du prototypage et du maquettage.
• Les « Living labs »
Ces dernières années ont vu l’apparition dans certaines entreprises de lieux dédiés à l’innovation où l’usager était au centre de l’attention. Qu’on les appelle plateaux d’innovation, labos de créativité, laboratoires d’usages, l’idée était à peu près la même : permettre aux concepteurs dans les entreprises de mieux cerner les besoins de l’usager final en le faisant entrer – directement ou indirectement – dans l’entreprise.
Les « living labs » sont une étape beaucoup plus aboutie de cette évolution en ce qu’ils constituent un cas très intéressant d’innovation 3C. Il s’agit en effet d’un exemple concret et abouti de dispositif de co-création avec les usagers, comprenant tous les ingrédients de l’innovation 3C : outils, méthodes, lieux, partenaires, réseaux, etc.
Il est intéressant de présenter le réseau européen des Living Labs, d’une part parce qu’il illustre parfaitement le concept et les problématiques d’innovation ascendante et d’autre part, du fait du rôle majeur qu’il est amené à prendre dans le système européen d’innovation.
Il est intéressant de noter que les Living Labs trouvent leur origine au MIT (Massachussetts Institute of Technology), là même où le professeur Eric von Hippel a conduit l’essentiel de ses travaux sur le concept et la méthodologie des lead users.
Les Living Labs représentent une méthodologie pour évaluer, valider et affiner des solutions complexes dans des contextes de vie réelle multiples et évolutifs. Ici, des innovations telles que des nouveaux produits et services ou des améliorations de ceux-ci sont validés dans des environnements empiriques dans des contextes régionaux spécifiques. L’individu y est le point de mire en tant que citoyen, usager, consommateur ou travailleur.
Actuellement, ENoLL, le réseau européen des living labs regroupe plus de 300 organismes. De son côté, France Living Labs, l’association française des living labs, en compte près de 40.
• Les « Fab Labs »
Les Fab Labs (« Fabrication labs ») constituent un exemple assez spectaculaire de ce que peut accomplir là l’innovation 3C, notamment en faveur des pays en développement et des zones défavorisées.
On peut à nouveau rendre hommage au MIT car, tout comme pour les Living Labs, c’est en son sein qu’a été initié ce concept de Fab Lab. Un Fab Lab pourrait être décrit comme une mini-usine (pas plus grosse qu’un PC) constituée de toutes les fonctions nécessaires pour la rendre opérationnelle. Grâce à la miniaturisation numérique et à des logiciels de CAO-PAO (conception et production assistées par ordinateur), souvent disponibles en open source, ces « fabricateurs personnels » peuvent usiner, découper, assembler, mouler des matériaux. Essentiellement basés sur des machines à découper (au laser ou par projection d’eau), de tours et d’imprimantes 3D, intégrant des composants du commerce et fonctionnant grâce à des programmes d’ordinateurs en open source, ils peuvent produire facilement, de façon quasi automatisée toutes sortes de pièces complexes avec une précision pouvant atteindre un millionième de mètre. Ces objets peuvent alors être conçus quelque part puis être fabriqués dans un fab lab situé à des milliers de kilomètres. Sur un système proche du monde de l’open source, les fichiers décrivant les réalisations peuvent être modifiés et échangés entre les utilisateurs. Un centre de distribution de logiciels d’interface Linux (Fabuntu.org) est même disponible pour servir ces fab labs. D’ailleurs, ce ne sont pas que des logiciels qui peuvent être échangés. On a vu plus haut toutes les promesses du hardware open source. En associant logiciels et hardware open source, les fab labs ont devant eux des voies de développement effectivement « fabuleuses ».
Neil Gershenfeld qui dirige au sein du MIT le « Centre pour les bits et les atomes » a imaginé en 1998 cette innovation suite au succès inattendu de son cours « How to Make (Almost) Anything ». Selon lui l’engouement est venu du fait que « la fabrication personnelle satisfait les désirs individuels et non les besoins des marchés de masse ». Comme il l’explique « demain, nous pourrons tous être des entrepreneurs individuels, à moindre coût… Donnez aux gens des PC et ils pourront écrire leur propres programmes ; donnez-leur des Personnal Fabricators et ils fabriqueront leurs propres objets ».
Les implications de l’innovation 3C pour les entreprises et les organisations
« Il ne faut pas être un génie pour deviner que si on peut faire appel à 7500 cerveaux en interne plus 1,5 millions d’autres en externe, on peut alors faire de meilleurs produits ! » A.G. Lafley, PDG Procter & Gamble.
Les bénéfices concrets de l’innovation 3C
Les raisons pour lesquelles toute entreprise – et au-delà, toute organisation – devrait s’intéresser à l’innovation 3C sont légion. En premier lieu, l’innovation 3C procure une série de bénéfices directs, très concrets car :
• Elle permet de concevoir d’emblée des produits ou services mieux adaptés aux besoins des consommateurs, que ceux -ci soient exprimés ou latents
• Elle raccourcit le « time to market », ce temps qu’il faut pour qu’une idée d’innovation se traduise concrètement en produit ou service commercialisable, réduisant par la même le « time to profit ».
• Elle limite les risques liés à l’innovation en réduisant les échecs liés au lancement de nouveaux produits, notamment en intégrant une démarche itérative d’essais- erreurs.
• Elle est plus inventive car elle fait la part belle à la personnalisation. De ce fait, elle permet d’imaginer de nombreux produits complémentaires et en particulier de nombreux services associés aux innovations initiales.
• Etant par définition plus ouverte, elle introduit de la créativité venant de l’extérieur de l’entreprise. Elle suscite aussi de l’émulation au sein des équipes internes.
• L’innovation 3C est aussi plus créative dans la mesure où elle sollicite l’imaginaire des consommateurs.
• Elle introduit du « sens » dans l’innovation en favorisant la mise sur le marché de produits et services répondant à de vraies aspirations de la part des consommateurs.
C’est aussi une innovation davantage multifacettes, qui n’est pas que technologique et fait place à des problématiques plus sociétales, plus citoyennes. Elle fait ainsi davantage appel à d’autres approches : usages, sciences humaines, design, etc.
Des bénéfices indirects pour les entreprises et les organisations
Les principaux bénéfices induits de l’innovation 3C sur les organisations sont les suivants :
• Elle oblige à repenser les fonctions de conception des entreprises, notamment en challengeant et en stimulant les équipes internes
• Elle suscite de nouveaux business models
• Elle permet de valoriser des portefeuilles de brevets et de technologies
• Elle entraîne la disparition de certains métiers d’intermédiation… mais en suscite de nouveaux.
• Elle favorise le développement du virtuel et des réseaux
• Elle crée une vraie dynamique de croissance et d’innovation
• Elle instaure de nouveaux types de relations avec les consommateurs et de façon plus générale avec l’écosystème de l’entreprise
• Elle impacte considérablement la nature profonde de l’entreprise, en l’obligeant à réfléchir à son rôle et à sa vocation. Elle peut ainsi jouer un rôle considérable pour amener les entreprises à être plus responsables et plus citoyennes. Elle réinvente en particulier les relations de l’entreprise avec ses parties prenantes, tant en internes qu’en externes : notamment en exigeant du management plus d’authenticité et de transparence, plus de respect et de proximité.
En guise de conclusion : l’innovation 3C, au-delà de l’entreprise pour fabriquer le futur
« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens déterminés et sages puisse changer le monde. En vérité, ce n’est que comme cela que les changements se produisent » Margaret Mead.
Cette citation de l’anthropologue humaniste Margaret Mead illustre bien notre propos de conclusion : l’innovation 3C ne se cantonne pas au domaine de l’entreprise mais permet de changer le monde. Il suffit pour cela que des acteurs visionnaires et engagés – ceux que nous appelons des « fabricants du futur » – se regroupent pour imaginer et mettre en œuvre des pistes novatrices.
Ce qui est fascinant à propos de l’innovation 3C, c’est qu’elle est source d’énormes opportunités aussi bien le plan individuel que sur un plan plus collectif et sociétal.
Absolument tous les domaines peuvent être concernés : agriculture, secteur culturel et éducatif, art, domaines scientifiques, développement économique, politique, vie publique, etc.
L’innovation 3C se développe dans tous les domaines, bien au-delà de l’entreprise. Et comment pourrait-il en être autrement ? Le consommateur devient consom’acteur et le consom’acteur n’est-il pas avant tout un citoyen, un être humain ? Sa volonté d’implication ne peut donc se cantonner à une seule de ses dimensions mais, au contraire, elle cherche à être globale.
Depuis quelques années, on semble ainsi assister à un réveil des consciences face à la montée des périls de toute nature que notre civilisation et notre terre subissent : déséquilibres économiques, catastrophes écologiques, diminution drastique de la biodiversité, conflits géopolitiques, etc. Chacun sent bien qu’on ne peut plus continuer comme cela et qu’il est grand temps que les citoyens de base se mobilisent pour faire revenir nos gouvernants à la raison et prendre les choses en main.
On assiste donc à l’irruption d’initiatives citoyennes dans tous les « compartiments du jeu », relevant indéniablement de l’innovation 3C : ce sont des initiatives portées par des citoyens impliqués, avant-gardistes et qui ont la volonté de faire bouger les lignes en mobilisant leurs pairs. On retrouve tous les ingrédients énoncés dans les chapitres précédents : une frange de citoyens avant-gardistes et mobilisés qui inventent de nouvelles pistes, des communautés de pairs qui les valident, des organisations qui permettent de les expérimenter, des méthodes, des lieux et des outils pour les mettre au point, des réseaux pour les déployer,…
La généralisation de l’innovation 3C est inéluctable. Tous les ingrédients sont réunis pour son explosion : des consommateurs-citoyens qui veulent s’engager dans l’invention du futur, des entreprises, organisations et décideurs de la sphère socio-politique qui ont un besoin vital de trouver de nouvelles solutions dans tous les domaines, et maintenant la technologie qui est là pour rendre les choses possibles.
Cette volonté des citoyens de faire entendre leur voix se manifeste maintenant partout. Elle témoigne de leur volonté de participer à tous les débats politiques, économiques, sociétaux, philosophiques. Bref, à reprendre leur vie en main de façon à être de vrais acteurs dans l’invention et la fabrication du futur.
Idées-clés :
Les consommateurs veulent s’impliquer davantage dans le processus d’innovation. Grâce aux TIC et à certains outils nouveaux (3D, living labs, fab labs), c’est maintenant possible. Ce mouvement s’appuie en particulier sur des acteurs avant-gardistes influents dans leurs communautés. Ce mouvement d’innovation3C constitue un nouveau paradigme pour les entreprises, et, au-delà, pour l’ensemble de la société.
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