Après l’introduction, dans ce second volet de cette série d’articles sur l’innovation ouverte des grands groupes et leurs relations avec les startups, nous allons faire un tour d’horizon de la boite à outils utilisée couramment par les grands groupes.
J’y passe en revue les incubateurs, accélérateurs, les labs à l’étranger, l’accompagnement technologique, les concours de startups et les conférences.
Dans un article suivant, nous terminerons ce parcours de la boite à outils avec le financement, les projets collaboratifs, les proof of concepts, le co-marketing, la vente en marque blanche et les acquisitions. Puis, surtout, avec les éléments de culture d’entreprise du grand groupe qui vont favoriser la mise en place d’une approche efficace d’innovation ouverte.
Incubateurs et accélérateurs
Au vu de la pléthore d’incubateurs et d’accélérateurs en France, l’un des réflexes pavloviens de la grande entreprise est de vouloir le sien, pour avoir “ses” startups chez soi. Cela peut être intéressant pour la startup qui cherche un logement et une infrastructure à bon compte mais elle est normalement attirée par autre chose : l’accompagnement et la perspective d’avoir cette grande entreprise comme première référence client.
Les accélérateurs se différencient des incubateurs en ayant une durée de séjour plus courte (4 à 6 mois en général) et un accompagnement plus intense que dans les incubateurs. Cet accompagnement passe par une équipe de permanents, un entrepreneur en résidence, et l’appel à des compétences externes (entrepreneurs, experts métiers horizontaux ou verticaux, investisseurs). La fin du programme d’accélération passe souvent par des pitches des startups auprès d’investisseurs, parfois même à l’étranger comme Le Camping le pratique depuis quelques années.
Les grandes entreprises ont dans ce domaine des approches très variées :
Microsoft a lancé son accélérateur rue du Sentier il y a deux ans maintenant et y accueille une douzaine de startups renouvelées deux fois par an. Ici, la logique est surtout celle du développement d’un écosystème. L’éditeur cherche à attirer les startups dans le giron de ses plateformes, en premier lieu Azure et Windows Phone. Mais il y a l’embarras du choix des plateformes avec Windows 8/10 et la XBOX. Respectant l’état de l’art, l’accélérateur fait appel à de nombreux entrepreneurs pour accompagner les startups.
Crédit Agricole a créé “Le village”, une pépinière de startups rue la Boétie à Paris. Jusqu’à une centaine de startups se partageront à partir du 15 octobre 2014 les 4600m2 de l’immeuble. Des m2 de grand standing avec salle de conférence, showroom et bureaux de représentation. Le Crédit Agricole affiche des partenaires dans l’opération avec des prestataires de services (Bearing Point, BETC, Niji) et quelques industriels (HP, Microsoft, Philips, NEC, GDF Suez). Les startups accueillies sont dans un tas de domaines différents (économie sociale et solidaire, médias, financement, ecommerce, énergie, santé…). C’est l’auberge espagnole ! Mais l’auberge a du charme et permet des rencontres. L’innovation provient aussi de rencontres fortuites d’acteurs de secteurs complémentaires. On est par contre très loin d’une logique d’écosystème et de plateforme.
Renault a lancé en 2012 une approche différente sous la forme d’un partenariat public-privé avec la Ville de Paris et le Paris Region Lab. Leur incubateur est physiquement situé dans l’incubateur Masséna de la Ville de Paris à Paris dans le 13ième arrondissement. Le financement fourni par le programme PIA (Paris Innovation Amorçage) conjoint avec Bpifrance (lancé du temps d’Oséo). Renault fournit de “l’accompagnement”. C’est léger en apparence. En tout cas, l’industriel se focalise sur ce qu’il sait faire ou doit savoir-faire, pas sur de l’hébergement.
M6, UGC, la Warner et quelques autres entreprises de Neuilly utilisent la formule du Neuilly Nouveaux Medias. Il s’agit d’un incubateur distribué : les startups sélectionnées par NeuillyLab sont hébergées et accompagnées dans la grosse quinzaine d’entreprises de Neuilly qui font partie du programme. C’est de l’incubation sur mesure, au cas par cas. L’aspect communautaire et les rencontres entre startups sont préservés car Neuilly Lab a tout de même des locaux communs pour les accueillir (bureaux de passage, espace de réunions).
Orange et Canal+ développent des formules d’accélération de startups (Orange Fab et CanalStart), mais sans l’hébergement. Cela consiste en l’accompagnement de projets et la mise en relation avec les équipes de l’entreprise pour mener à bien des projets en commun. C’est une logique de sourcing d’innovations plus que d’écosystème.
Certaines contribuent au financement d’accélérateurs comme c’est le cas au Camping à NUMA (Paris), qui a été financé par Google, Orange, La Poste, BNP-Paribas et la SNCF pour ne citer que quelques exemples. Des usual suspects que l’on retrouvera souvent dans la suite de ces pratiques d’innovation ouverte. Google a d’ailleurs installé son propre espace au NUMA qui héberge Le Camping avec un “Android Devices Lab” et un studio vidéo accessible par les startups de NUMA. C’est une approche astucieuse qui permet, avec un investissement moindre, d’être présent là où circulent un grand nombre de startups.
Dans tous les cas de figure, ces accélérateurs et autres incubateurs, comme les autres, se partagent une denrée plutôt rare : les experts et mentors qui sont habitués de l’accompagnement de startups. Certains en ont même fait un métier à temps plein. Ils doivent savoir transférer du savoir faire et du savoir être mais sans pour autant imposer leurs vues. Le meilleur mentorat reste celui qui provient de jeunes entrepreneurs encore en activité et/ou devenus business angels. Les bonnes approches consistent donc à associer un accompagnement issu des cadres du grand groupes et d’intervenants externes. Les premiers permettront aux startups de naviguer dans les arcanes de l’organisation et des contraintes du grand groupe. Les seconds apporteront une aide entrepreneuriale plus adaptée, notamment quand le projet de la startup peut bousculer l’ordre établi, un ordre que les grands groupes cherchent plutôt à préserver.
A la fin des programmes d’accélération voire d’incubation, il est d’usage d’organiser des “démo days”, où les startups accompagnées vont pitcher leurs projets devants l’écosystème et surtout des investisseurs. Inspiré de méthodes américaines popularisés par les TechStars et autres accélérateurs tout comme les événements de type Techcrunch Disrupt ou Demo, ils attirent des habitués parmi ces derniers qui observent l’évolution de projets qu’ils ont parfois déjà détecté en amont. Ces “démo days” sont maintenant assez nombreux et partout en France. Parfois, les organisateurs attirent des VIPs qui leur donnent du prestige. Exemple d’actualité, le cas de Microsoft qui aura à la fois Axelle Lemaire (Secrétaire d’Etat au numérique) et Satya Nadella, le CEO de Microsoft, au démo day du 13 novembre 2014 à Paris. Très bien si cela ne rend pas l’exercice plus intimidant ou trop institutionnel !
L’autre point clé pour les grandes entreprises est “le sourcing”. Où trouver les bons projets ? Comment attirer les startups ? Cela repose à la fois sur du marketing et des opérations terrain qui seront exposées un peu plus loin (concours, conférences). Mais aussi sur un maillage assez étroit du grand groupe avec “l’écosystème” des startups. Le principal point clé est de se mettre en relation avec l’amont, à savoir en priorité les incubateurs de l’enseignement supérieur et les structures de financement d’amorçage. Pour bien faire les choses, il faut y investir non pas seulement des moyens financiers mais aussi du temps et des compétences.
C’est pour cela que je croise souvent des représentants de grands groupes (Bouygues Télécom, Oracle, HP) dans les comités de sélection de Scientipôle Initiative qui octroie des prêts d’honneur aux fondateurs de startups, première étape précédent les financements Bpifrance et l’appel à des business angels. Leurs représentants ne doivent pas donner l’impression qu’ils y vont “à la pêche aux startups” mais aussi apporter de la valeur ajoutée dans les discussions.
Leçon de l’histoire : on peut très bien se passer d’incubateurs et d’accélérateurs issus de grands groupes, il y en a bien assez comme cela dans la nature ! Les startups ont surtout besoin de projets et de clients. Grands groupes, commencez déjà par être de bons clients ! Mais n’appelez pas cela pour autant de l’accélération ! Autre piste à explorer : le sponsoring de fablabs. Cet espace n’est pas encore saturé et de nombreux industriels y auraient leur place !
Labs à l’étranger
C’est une recette de plus en plus courante chez les plus grandes entreprises : se doter d’un ou de plusieurs labs dans les principaux pôles d’innovation à l’étranger. Les opérateurs télécoms ont été avant-gardistes dans le domaine, Orange en tête. Rien qu’à San Francisco, ce dernier dispose d’un lab et d’un accélérateur de startup avec plus de 50 collaborateurs permanents. Ils sont aussi présents en Chine, au Japon, en Corée du Sud et au Royaume Uni. Bouygues Télécom a aussi des représentants aux USA et au Japon, mais moins d’infrastructure sur place. Le modèle le plus “low cost” (même s’il n’aime pas ce qualificatif) est la méthode de Kima Ventures, le fonds d’amorçage de Xavier Niel. Jeremie Berrebi et son équipe fonctionnent surtout via Skype pour rencontrer et qualifier les startups financées.
Dans le registre de l’international, BNP-Paribas se distingue avec L’Atelier, créé en 1978 par l’illustre Jean-Michel Billaut. C’est un observatoire de veille technologique installé à Paris et aussi à San Francisco et à Shanghaï. Un peu comme les Oranges Labs de San Francisco, l’antenne de San Francisco valorise plus les tendances locales que les startups françaises qui cherchent à s’installer aux USA. Ce d’autant plus que, pour ce qui concerne L’Atelier, les clients sont surtout les grandes groupes du CAC40 qui viennent y faire leur veille technologique. L’Atelier de San Francisco, avec les Labs d’Orange, est l’un des endroits où l’on croise régulièrement les français de la Silicon Valley.
Axa a aussi installé, en 2013, un Lab à San Francisco, doté de trois collaborateurs. Sachant qu’à la tête du marketing et de la distribution d’Axa, on trouve Frédéric Tardy, ancien responsable de l’Atelier à San Francisco. De la suite dans les idées !
Ces labs à l’étranger relèvent en fait plus de la veille technologique que de l’innovation ouverte. Le point clé est de sentir un peu en avance de phase les grandes tendances et les signaux faibles. Histoire de permettre à la grande entreprise de s’adapter plus rapidement aux évolutions d’un marché qui se bouleverse régulièrement. Il fut un temps où par exemple les CEO des opérateurs télécoms passaient leur temps au Japon à la période d’or du démarrage du mobile et de l’iMode. Maintenant, c’est la Silicon Valley, la Corée, et la Chine.
En étant très proche de ces écosystèmes d’innovation, les grandes entreprises perdent en fait souvent les repères de temps. Elles prennent pour argent comptant la doxa de la Silicon Valley (ou d’ailleurs, selon) : genre, avec l’impression 3D, c’est la fin des usines et des délocalisations, le transhumanisme est pour tout de suite et les robots humanoïdes vont s’occuper des personnes âgées. Toutes choses qui ne sont ni vraies ni fausses mais pour lesquelles il faut apprécier la dimension temps. Tandis que la science-fiction du futur proche fait rêver, ce sont des révolutions bien plus prosaïques qui révolutionnent les économies, comme les réseaux sociaux, les applications mobiles ou l’économie collaborative.
Un autre pays fascine à juste titre les grands groupes, notamment dans les médias et les télécoms : Israël. Nombreux sont les voyages d’études organisés pour y rencontrer universités, incubateurs et startups et capter, comme dans la Silicon Valley, l’esprit d’innovation qui y règne. Le rêve secret ? Transposer cet état d’esprit du “on peut le faire” en France. Il ne s’agit alors plus vraiment de veille technologique mais plutôt d’une veille sociétale et managériale. S’inspirer d’Israël a un prix que l’on n’est pas toujours prêt à payer en France : parler en penser en anglais, avoir les yeux rivés sur les USA (l’Europe arrivant loin derrière), voir très grand tout de suite, être très agressif en affaires. C’est en quelque sorte l’opposition d’une culture bobo franchouillarde et d’une culture entrepreneuriale acquise dans les rangs de Tsahal et d’un service militaire de trois ans.
D’autres pays sont souvent délaissés et pour autant très intéressants dans leur adoption de nouveaux usages. L’Afrique est en point dans le mobile banking, l’Inde dans le crowdfunding, etc.
Leçon de l’histoire : cette fascination pour ces pays innovants a un effet pervers : à force de chercher l’herbe plus verte ailleurs, les grands groupes peuvent négliger les mêmes innovations issues de startups françaises. Avec une boucle infernale : les grands comptes français peuvent être frileux de bosser avec une startup française de peur qu’elle ne se développe pas aussi rapidement que ses concurrents étrangers. En choisissant ces derniers, la grande entreprise réalise alors une prophétie autoréalisatrice ! Elle explique pourquoi il est parfois plus intéressant de s’orienter très rapidement à l’international que de s’évertuer sur l’étroit marché domestique, même si des “wins” locaux sont toujours les bienvenus. Cette remarque étant surtout valable pour les solutions “b-to-b”. Les meilleures pratiques vis à vis des startups ? Quand les grands groupes font profiter les startups françaises pour les aider à s’implanter à l’étranger. Les exemples sont rares, à tel point que je n’en ai pas un seul en tête.
Lire la suite : ©Blog Opinions libres – 5 Novembre 2014