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TAFTA : le CESE trace timidement des lignes rouges

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En juin 2013, les États-Unis et l’Union européenne se sont engagé dans un processus de négociation en vue de l’établissement d’un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, également connu sous le nom de « traité de libre-échange transatlantique » (TTIP) ou TAFTA.
Alors que le 12ème round des négociations vient de s’achever, la question suscite un débat particulièrement vif en France et en Europe. Le gouvernement a donc saisi le Conseil économique, social et environnemental (CESE) autour des « Enjeux de la négociation du projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement », et plus spécifiquement sur les questions de l’opacité entourant ces négociations, sur l’estimation des bénéfices nets attendus de ce projet d’accord, la problématique de la convergence règlementaire et les conditions de recours au mécanisme de Règlement des différends entre investisseurs et États.
 
Reconnaissant que nombre de ses membres étaient opposés d’emblée à ce nouveau traité (le projet d’avis a fait l’objet de 400 amendements !), la section des affaires européennes et internationales du CESE, nouvellement créée, a tout passé au crible. « C’est un traité atypique de par son ampleur. Il dépasse le strict champ de réduction des barrières douanières pour parvenir à éliminer les obstacles non tarifaires et dessiner des normes communes, avec l’éventuelle arrière-pensée de les imposer au monde entier », explique le rapporteur Christophe Quarez (CFDT), membre par ailleurs du Conseil économique et social européen.
 
À l’arrivée, un avis que plusieurs organisations jugent trop timide. Rien de surprenant puisque le CESE, du fait de son fonctionnement et des jeux politiques internes, a délibérément cherché à établir un texte relativement neutre, qui se contente de pointer les différents points de vue en présence sur les sujets clés, sans jamais assumer une orientation véritable. De surcroît, des amendements de dernière minute, issus d’un lobbying intense des entreprises, ont contribué à renforcer les incohérences de l’avis. « L’institution protège ainsi son consensus paisible, mais renonce à toute ambition » déclare l’ONG Les Amis de la Terre, très virulente contre le TAFTA.
 
Finalement le 22 mars dernier, le CESE est parvenu, après six mois de travaux, à formuler un ensemble de recommandations destinées à enrichir la position de la France sur les négociations en cours. Cet avis a été présenté puis soumis au vote de l’assemblée plénière et adopté avec 127 votes pour, 31 votes contre et 31 abstentions.

La transparence des négociations

Les négociations autour du TAFTA sont empreintes d’une opacité congénitale. Nous avons déjà relaté comment les négociateurs enfermaient les documents de discussion dans des bunkers et ne laissaient transparaître que de rares informations, diluées et au compte-gouttes.

LIRE DANS UP : TAFTA : Les négociations reprennent, en grand secret et en totale opacité

Le CESE ne pouvait donc manquer de s’élever contre cette opacité. L’assemblée déclare, dans une parfaite langue de bois techno-diplomatique : « Au vu des enjeux, notre assemblée estime que les avancées récentes dans ce domaine, y compris la décision de la Commission européenne d’ouvrir la consultation des documents afférents aux négociations à tous les parlementaires européens et nationaux depuis décembre 2015, ne sont pas encore suffisantes et qu’il est essentiel de progresser rapidement ».
 
Suivent une série de vœux destinés à améliorer la transparence des négociations :
 
►Garantir plus de transparence vis-à-vis de la société civile par la publication de documents précis
Le CESE plaide pour l’établissement, après chaque cycle de négociations, d’un tableau de bord de l’état d’avancement des négociations auquel seraient adjoints les textes consolidés. Ce tableau de bord devra mettre en lumière les avancées ou les obstacles rencontrés et être publié en français.
Accorder aux organisations de la société civile une position d’observateur
Assurer la tenue d’un grand débat public, à l’échelle européenne et nationale, sur le projet de PTCI, ouvert à toutes les parties prenantes, entreprises, organisations et citoyens compris, mettant en discussion les principaux enjeux.
 
Ces propositions ne sont pas nouvelles ; elles sont répétées à l’envi depuis que le TAFTA existe. Las, car l’accord demeure toujours négocié dans le plus grand secret, malgré la parodie de transparence que sont les « salles de lectures » sécurisées mises en place à Bruxelles et quelques capitales européennes.

Ne pas oublier le développement durable

Pour le CESE, « la convergence règlementaire entre les États-Unis et l’Union européenne dans le cadre du TAFTA ne peut être envisagée que sous l’angle du développement durable et du respect des pays tiers, qui ne pourront être exclus ou lésés par cet accord ». L’avis du CESE met ici le doigt sur un problème clé du projet de Traité. Un point qui fait l’objet d’intenses pressions des lobbies et des industriels. Sous le vocable de « convergence règlementaire » se cache un dispositif qui donnerait aux grandes entreprises un pouvoir considérable sur les normes et régulations s’appliquant à leurs produits. Il s’agit d’une procédure de négociation destinée à fixer les normes et règlementations encadrant la fabrication d’un produit ou la commercialisation d’un service, quel que soit le secteur économique concerné. Cette négociation entre plusieurs États se déroule avant que les normes soient adoptées par leurs parlements respectifs, et vise ainsi à faciliter le commerce en faisant en sorte que les standards soient communs. Rien de très contestable en apparence…
Sauf qu’en réalité, « la coopération réglementaire sape nos processus démocratiques », accuse l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory dans un rapport. Car les groupes de travail constitués pendant ces négociations sont très largement influencés par les grandes entreprises du secteur concerné. Un peu comme si l’on confiait l’élaboration d’une loi – sur l’encadrement des pesticides par exemple, les normes de pollution d’une voiture ou les ingrédients pouvant entrer dans la composition d’un aliment – aux industriels qui les fabriquent.
Dans son rapport, le CESE ne s’oppose pas à cette procédure mais cherche à l’encadrer en établissant trois grands principes :
 
Aller vers le mieux disant social et environnemental
La convergence règlementaire ne doit en aucun cas constituer une remise en cause des standards sociaux, sanitaires et environnementaux qui fondent notre société. L’ assemblée demande une vigilance particulière afin que le futur traité transatlantique intègre les engagements pris précédemment, notamment lors de la COP21.
Assurer le contrôle démocratique du futur « Comité » de coopération règlementaire
Les compétences de ce comité devront être très clairement circonscrites et les activités de ses membres européens placées sous le contrôle du Parlement européen afin notamment d’exclure toute possibilité de conflit d’intérêts.
Rendre juridiquement contraignants les engagements en termes de développement durable

Reconsidérer la proposition européenne d’une cour permanente

Le CESE se prononce également sur l’un des aspects les plus polémiques de ces négociations, les tribunaux d’arbitrage. Cette question est la pierre d’achoppement de tous les traités de libre-échange. Elle fait référence à la création d’une juridiction privée internationale qui règlerait les conflits entre investisseurs – des industries multinationales en général – et États. S’il est normal que des investisseurs puissent défendre leurs droits face à d’éventuels abus, ces procédures d’arbitrage favorisent les grandes entreprises des États les plus riches vis-à-vis des pays pauvres, particulièrement visés.« C’est un système néo-colonial », dénoncent certains, alors que de plus en plus de pays souhaitent rompre les traités qui permettent aux investisseurs de leur réclamer de gigantesques amendes.
 
Sans remettre en cause le caractère contestable sur le plan démocratique de ce mécanisme, le CESE propose néanmoins, « comme un préalable non négociable l’absolu respect du pouvoir souverain des États à légiférer et à réglementer comme ils l’entendent ». S’il salue la proposition européenne de créer une cour permanente, le conseil juge que cette initiative « n’est pas assez ambitieuse ».
 
Le rapport poursuit que l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends serait un véritable atout géostratégique pour la promotion à l’échelle planétaire d’un modèle rénové, avec l’objectif sous-jacent de parvenir à terme à l’institution d’une juridiction commerciale internationale permanente. Le CESE observe en effet, que faute de mécanisme international, les tribunaux sont actuellement conduits à s’appuyer sur les différents principes de droit international, aux contours flous ou insuffisamment précisés, ouvrant la brèche à des interprétations, comme c’est le cas avec la clause de « traitement juste et équitable ».
 
En répondant aux questions soulevées par le Gouvernement, le CESE prétend « avoir mis l’accent sur un certain nombre de principes mais aussi de lignes rouges sur lesquels l’Union Européenne ne peut pas céder. En cas contraire, les enjeux sociétaux ne doivent se voir subordonnés aux enjeux commerciaux ! », souligne le rapporteur Christophe Quarez.
 
 

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