Une équipe de recherche de l’université de Caroline du Nord aux États-Unis, dirigée par un des meilleurs spécialistes mondiaux des virus, le professeur Ralph Baric, est en train de mener une course contre la montre pour recréer artificiellement le coronavirus chinois (SRAS-CoV-2 est son nom scientifique). A partir de l’ADN du virus, séquencé par les scientifiques chinois, l’équipe américaine est en train de fabriquer artificiellement un clone du virus qui menace le monde d’une pandémie imminente. Objectif de cette manipulation hautement dangereuse : opérer à loisir toutes sortes d’expérimentations pour aboutir le plus rapidement possible à un traitement des malades contaminés.
Le nom de Ralph Baric est particulièrement réputé dans l’univers de la science des virus. Il mène depuis plusieurs années des recherches dans l’ingénierie des virus ; il s’est fait remarquer en menant des travaux permettant de synthétiser des virus, c’est-à-dire de les recréer à partir de zéro, en recopiant les codes de leur ADN. Une activité à haut risque si dangereuse que le gouvernement américain décida en 2014 de geler les crédits de ce laboratoire, trop risqué pour la sécurité nationale en ces temps de terrorisme. Les financements ont ensuite été rétablis ce qui a permis aux équipes de l’université de Caroline du Nord d’asseoir une bonne réputation dans la fabrication ex nihilo de coronavirus hautement pathogènes.
Dès le déclenchement de l’épidémie en Chine, le professeur Barric s’est intéressé au nouveau coronavirus qui fait la une de tous les médias du monde, et plus particulièrement à son séquençage génétique. Or sur ce point, les scientifiques chinois, dès l’apparition de la maladie, ont redoublé d’effort pour séquencer l’ADN du nouveau virus et le publier largement ; une prouesse saluée unanimement par l’ensemble de la communauté scientifique mondiale. On trouve donc sur Internet l’intégralité du code du virus.
L’équipe du professeur Baric a aussitôt examiné les séquences génétiques du virus et sont allés chercher des séquences existantes voisines, qui diffèrent légèrement, mais permettent d’approcher d’une version « consensuelle ». Ces séquences existent dans les catalogues de laboratoires spécialisées. Des entreprises telles que Integrated DNA Technology (IDT), Twist Bioscience et Atum sont des pionniers dans cet exercice. Il y a quelques jours, le professeur Baric a donc passé commande de matériels génétiques permettant de « coudre » ensemble les gènes et de reproduire synthétiquement le coronavirus.
Les biologistes qui travaillent avec Ralph Baric devraient recevoir leur virus clone d’ici un mois. Elle pourra alors injecter les instructions génétiques dans des cellules. Si tout se passe comme prévu, les cellules devraient commencer à fabriquer de véritables particules virales infectieuses.
Par la magie des biotechnologies, les scientifiques créent un virus à partir de presque rien.
Inévitablement on pense aux risques que représente ce type d’exercice. On se demande en quoi il est vraiment utile de fabriquer des engins vivants porteurs de maladies et de mort ; la nature n’est-elle pas suffisamment généreuse en la matière ? On se demande aussi, et les théoriciens du complot en feront leurs choux gras, si cette expérimentation ne démontre pas la capacité atteinte par certains États de se doter d’armes biologiques capables d’anéantir des populations, des sociétés et des économies entières.
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A ce petit jeu, les médias sociaux et certains sites ou blogs regorgent de spéculations infondées selon lesquelles le nouveau virus aurait été accidentellement libéré par un laboratoire d’armes biologiques chinois ou bien propagé par les américains qui, sur ordre de Trump, veulent détruire l’économie chinoise…
En vérité, les scientifiques justifient de telles création de virus synthétiques par des explications beaucoup plus simples, qui semblent bien fondées.
Ralph Baric explique ainsi que pour travailler sur des coronavirus et trouver les bons moyens de guérir les malades et d’éradiquer la pandémie, il faut des virus. Les scientifiques doivent intervenir sur le virus lui-même. Cela semble frappé au coin du bon sens. Or dans le cas de l’épidémie actuelle, le virus est très difficile à obtenir. Les échantillons de virus vivants provenant de patients n’ont pas été largement diffusés à partir de la Chine. Et c’est presque toujours le cas dans des pays affectés par une épidémie. La communication des virus vivants est très compliquée. Lors d’épidémies passées, les scientifiques avaient dû attendre des mois ou des années avant de pouvoir examiner le germe à l’origine d’une épidémie.
C’est pourquoi les chercheurs sont très intéressés à avoir accès à des copies conformes du virus. À partir de ces copies, les scientifiques peuvent, grâce à leur arsenal biotechnologique, retirer des gènes, en ajouter d’autres et découvrir comment le virus se propage et comment il accède aux cellules humaines. Des copies artificielles pourraient également aider les scientifiques à suivre le chemin imprévisible de l’épidémie. « Je crains que ce virus ne mute au cours de l’épidémie, et cela me permettrait d’étudier les effets de ces mutations », déclare à la MIT Technology Review Stanley Perlman, un microbiologiste qui travaille sur les coronavirus à l’université de l’Iowa. « Le virus synthétique n’est qu’un substitut du virus réel, mais avec le clone d’ADN, vous pouvez le manipuler, trouver les points faibles et développer une thérapie ».
Ruée sur l’ADN du coronavirus
Ralph Baric et son équipe ne sont pas les seuls à travailler sur des clones de virus fabriqués à partir de séquences d’ADN. Depuis que les chinois ont mis en ligne le code génétique du coronavirus, les entreprises de biotechnologie, les gouvernements et les universités se sont rués pour commander des copies physiques de gènes particuliers trouvés dans le virus. Les fabricants d’ADN disent avoir été submergés de commandes de parties de virus, notamment celles qui sont utiles pour vérifier les tests de diagnostic et d’autres nécessaires à la fabrication d’éventuels vaccins. « Cela a été une hausse assez spectaculaire, qui a commencé dès la publication du génome », déclare Adam Clore, directeur technique de la biologie synthétique chez IDT, basé dans l’Iowa, et l’un des plus grands vendeurs d’ADN au monde.
La plupart des chercheurs n’ont besoin que d’un ou deux gènes du virus pour faire avancer leurs travaux sur des tests ou des vaccins. Ce qui est nouveau et unique chez Ralph Baric, c’est qu’il est le seul à avoir essayé de recréer complètement le virus à partir de parties d’ADN ordonnées. Une expérience qui, si elle tombait dans de mauvaises mains pourrait s’avérer catastrophique. La hantise de toutes les institutions travaillant sur les virus est que l’un d’entre eux ne leur échappe et atterrissent dans les mains de bioterroristes.
La recherche sur le nouveau coronavirus est si dangereuse que les fabricants d’ADN se sont empressés, la semaine dernière, de se rencontrer et de formuler une politique sur les personnes qui devraient pouvoir acheter des versions complètes du génome du nouveau virus. Dans une déclaration publiée le 11 février, le Consortium international de synthèse des gènes, qui est un groupe commercial et non gouvernemental, a adopté une position prudente. Il a déclaré qu’il traiterait le nouveau virus chinois comme s’il s’agissait du SRAS, un virus ajouté à la liste des agents de sélection en 2012 et dont la possession est étroitement surveillée par le gouvernement américain. Cela signifie que toute personne souhaitant obtenir une copie synthétique complète du CoV-2 du SRAS devra se soumettre à un « contrôle spécifique et détaillé » et prouver qu’elle est déjà enregistrée par le CDC (Centre américain de contrôle et de prévention des maladies) pour travailler sur le SRAS, comme le sont les chercheurs de Caroline du Nord.
Il n’en demeure pas moins que les entreprises qui fabriquent de l’ADN sont toutes des sociétés privées à majorité américaines. Elles sont libres de répondre à la demande de leurs clients. Claes Gustaffson, fondateur et directeur commercial d’Atum, un fournisseur d’ADN en Californie, dit avoir reçu des commandes de huit entreprises pour des parties du génome du virus et a personnellement approuvé une demande d’une agence gouvernementale américaine de fabriquer 90 % de ses gènes – susceptibles de créer une version atténuée (c’est-à-dire inoffensive) de celui-ci. « Ils veulent probablement trouver le moyen de fabriquer un vaccin le plus rapidement possible », déclare Gustaffson. « Mais si quelqu’un voulait tout faire, je ne le ferais pas. Il y a des choses, comme la polio, qu’on ne veut pas faire, peu importe qui le demande ».
Pour l’instant, seuls quelques centres sophistiqués sont capables de relancer ou recréer un virus ; il n’y a aucune chance qu’un fou travaillant dans un garage puisse le faire. « Nous en sommes au point où les meilleurs des meilleurs peuvent commencer à synthétiser ce nouveau virus en même temps que l’épidémie. Mais ce ne sont que quelques laboratoires », explique Nicholas G. Evans, qui étudie les menaces biologiques à l’université du Massachusetts. « Heureusement, nous sommes encore loin du point où beaucoup de gens peuvent synthétiser n’importe quoi ».
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Source : MIT Technology Review
Complotiste que de se demander si le Professeur Baric a travaillé au laboratoire militaire de Fort Detrick qui fut fermé, pour fuites, en Aout 2019 ?