Deux académies américaines préconisent d’autoriser des essais cliniques de modification génétique selon la technologie CRISPR sur les gamètes humains ou les embryons précoces, afin d’éviter la transmission de maladies graves. Elles exigent de grandes précautions et la limitation de cette démarche à des pathologies ne laissant pas d’espérance de vie. Ce signal est un tournant majeur pour le recours à la « correction de gènes » chez l’enfant à naître auquel aspirent forcément tous les parents imparfaits de la terre !
Bientôt nous réparerons les bébés dès leur conception ! Nous ne sommes plus très loin peut-être de voir naître des enfants dont l’ADN aura été corrigé. La publication ce 14 février du rapport très attendu des deux organisations américaines – la National Academy of Sciences et la National Academy of Medicine – provoque des vagues. Intitulé « Edition du génome humain : science, éthique et gouvernance », ce document de 250 pages ouvre la porte à l’intervention génétique sur l’embryon à naître.
Ce tournant est historique : le principe de modifier le patrimoine héréditaire d’un être humain et donc sa descendance était considéré jusqu’à ce jour comme un interdit majeur. La Maison Blanche avait encore réaffirmé, en mars 2016, l’interdiction de toute intervention sur la lignée germinale humaine. Dans une note officielle, John Holdren, Conseiller du président pour la science et la technologie, avait ainsi déclaré que « la modification des gamètes humains à des fins cliniques est une ligne à ne pas franchir pour le moment et les choix faits dans un seul pays peuvent affecter tous les autres ». À l’heure actuelle d’ailleurs, la Food and Drug Administration (FDA) ne peut utiliser les fonds fédéraux pour faire réaliser les recherches dans lesquelles un embryon humain est intentionnellement créé pour le modifier génétiquement.
Le rapport américain s’inscrit dans une dynamique qui remonte à mai 2015, date à laquelle les deux académies américaines ont lancé l’Initiative sur l’édition du génome humain. Il s’agissait de s’emparer du sujet des usages à venir chez l’homme, de la technologie CRISPR-Cas9, qui permet de faire très vite, très facilement, de manière ciblée, et à bas prix des « modifications à façon » du support héréditaire des êtres vivants. Rappelons d’ailleurs que c’est la mise à disposition de tous des plasmides CRISPR par la firme Addgene qui a permis cet engouement… Face à l’explosion d’intérêt de ces techniques CRISPR et de leurs applications jugées faramineuses (corrections de maladies héréditaires graves comme la chorée de Huntington, l’anémie falciforme, la mucoviscidose ou les myopathies amyotrophiques ou de Duchenne ; nouvelles thérapies géniques ciblées ; approches anticancéreuses inédites…), les académies ont voulu établir les cadres et recommandations dans un contexte de fortes implications sociales, légales, éthiques et… économiques. Un comité composé d’une vingtaine d’experts a été mis en place. Les Académies chinoises et britanniques se sont associées à cet effort pour un colloque sur ces sujets en décembre 2015 à Washington. En février 2016, des auditions des associations de malades atteints de dystrophie musculaire ou de surdité ont permis de produire une « étude de consensus ». Enfin, un comité dit de consensus a organisé à Paris le 7 mars 2016 un forum avec la Fédération des académies européennes et l’Académie française de médecine, notamment pour examiner le contexte réglementaire en Europe.
Près de deux ans après le lancement de l’initiative, le travail a été présenté le 13 février par les deux co-rapporteurs, Alta Charo, professeur de droit et d’éthique à l’Université du Wisconsin, et Richard O. Hynes, de l’institut d’études médicales Howard Hughes du MIT.
Les positions des scientifiques sont nuancées, précautionneuses, mais ils veulent permettre d’amorcer des essais pour offrir aux parents qui sont porteurs de maladies génétiques la possibilité d’épargner à leurs enfants le fardeau de leur hérédité. Les chercheurs savent que la technologie – qui n’est pas mature aujourd’hui pour ces usages risqués – progresse très rapidement, ouvrant la voie à des essais sur les embryons, les ovules ou les spermatozoïdes qu’il faudra envisager avec beaucoup de prudence. Le comité d’experts indique qu’il faut que ce recours ne soit utilisé qu’en absence de tout traitement alternatif, uniquement pour des pathologies graves et selon un protocole de suivi et de réajustement stricts. Il insiste : « la prudence ne veut pas dire la prohibition ».
« La recherche sur l’édition du génome est un effort international et toutes les nations doivent veiller à ce que les applications cliniques potentielles reflètent les valeurs de la société et soient assujetties à une surveillance et à une réglementation appropriées », a déclaré Richard Hynes, « Les principes généraux que nous donnons et les responsabilités qui en découlent devraient se refléter dans la communauté scientifique et les processus réglementaires de chaque nation ».
Comme d’autres organismes qui ont récemment examiné CRISPR et des méthodes plus anciennes d’édition du génome, le comité a également approuvé la recherche fondamentale en utilisant l’édition d’embryons pour étudier des domaines tels que le développement humain précoce. Le Royaume-Uni et la Suède ont tous deux approuvé de telles expériences, qui n’impliquent pas l’implantation d’embryons dans le but de produire un bébé.
La publication de ce rapport a fait ressortir des clivages marqués outre Atlantique. Il y a ceux comme David Baltimore de l’Institut californien des technologies qui voient l’intérêt de ce rapport quand il explicite « de manière claire les critères exigés pour de tels essais ». Inversement, d’autres reconnaissent dans « ces essais sous conditions, la porte ouverte à des usages dans des situations de moins en moins restrictives ».
On sait combien la hiérarchisation de la gravité des maladies (sous jacentes aujourd’hui dans le recours au dépistage préimplantatoire ou DPI) est délicate et peut produire une stigmatisation redoutable pour les familles de malades. Ainsi la ligne rouge à ne pas franchir entre maladies incurables ou générant de forts handicaps et pathologies gênantes ou prédispositions à des cancers ou maladies dégénératives sera toujours impossible à définir.
« N’éditez pas la lignée germinale » ont titré Edward Lanphier, médecin impliqué dans l’Alliance de médecine régénérative (et ses collaborateurs) dans un article paru dans Nature en mars 2015. Philosophe et directeur exécutif du Centre pour la génétique et la société à Berkeley (Californie) Marcy Darnovsky, critique sans ambages les recommandations des Académies américaines. « C’est vraiment un changement assez dramatique de l’accord existant et répandu à l’échelle mondiale que l’édition de la lignée germinale humaine doit être interdite, a-t-elle noté rappelant qu’en décembre 2015, le Sommet international sur l’édition du génome humain des Académies nationales avait conclu avec une déclaration qu’il serait irresponsable de procéder à la modification de la lignée germinale humaine tant que le «vaste consensus sociétal» n’aurait pas été atteint ».
La perspective de ces essais qui touchent au patrimoine héréditaire de l’espèce humaine, contrevient en effet à la convention d’Oviedo, ratifiée par la France et 28 autres pays européens en 2011.
« Ce rapport reconnaît bon nombre des risques largement reconnus, y compris la stigmatisation des personnes handicapées, l’exacerbation des inégalités existantes et l’introduction de nouveaux abus eugéniques, conclut Marcy Darnovsky. Mais, étrangement, il n’y a aucun lien apparent entre ces risques importants et la recommandation d’avancer ».
Le journal du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a publié en mars 2015 une enquête montrant des débuts de manipulation génétique des cellules sexuelles (y compris aux Etats-Unis).
La crainte de ceux qui savent combien le moins disant éthique gagne toujours du terrain est de voir les cliniques de fécondation in vitro revendiquer le droit de recourir à ces techniques d’édition pour doter des embryons de traits « souhaitables » (plus intelligents, plus forts ou plus attrayants…) dès que les régulateurs auront approuvé un traitement d’édition d’embryon. Les gènes favorables à une vie longue pourraient aussi être ciblés, selon Philippe Kourisky, professeur honoraire au Collège de France.
La course à la performance technique pour prouver la puissance de CRISPR afin de « corriger » des traits génétiques humains est lancée. En avril 2015, les équipes chinoises de Junjiu Huang (Université Sun-Yat-sen, Canton) ont tenté des transformations génétiques par CRISPR/cas9 sur 85 embryons.
Mais cette dynamique s’appuie surtout sur un socle d’expérimentations qui ne touchent pas la lignée germinale mais les cellules somatiques. Quantité d’entreprises ont été créées sur ce créneau, à commencer par celles des inventeurs de l’ingénierie CRISPR. CRISPR Therapeutics, où Emmanuelle Charpentier intervient, s’atèle notamment à la béta thalassémie, l’hémophilie, la myopathie de Duchenne ou des démarches d’immuno-oncologie.
Les essais sur l’homme de thérapies qui utilisent la technologie de modification de gènes CRISPR démarrent. Une autorisation a été donnée, en février 2016, au groupe britannique de Kathy Niakan, pour mieux comprendre le développement embryonnaire humain. Plus récemment, des chercheurs de Pennsylvanie ont reçu le feu vert d’un panel représentant les National Institutes of Health (NIH) pour le premier test qui propose l’utilisation de CRISPR chez l’homme pour traiter le cancer.
Toutes ces démarches seront suspendues à une question cruciale : peut-on suffisamment sécuriser ces techniques pour éviter tout effet imprévu, immédiat ou à moyen ou long terme ? L’Académie française des sciences abordera certainement ces questions lors de la conférence-débat qu’elle organise le 21 février 2017. Pierre Corvol , professeur émérite au Collège de France abordera précisément les enjeux éthiques de la modification du génome humain.
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