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Nommé à la tête du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) en décembre dernier, le Pr Jean-François Delfraissy veut donner une plus grande ouverture à l’institution vieille de 34 ans. Pragmatique, cet immunologiste a appris dans sa longue expérience auprès des malades du Sida, que, quand la médecine n’est pas triomphante, on peut construire un savoir avec les patients et leurs familles. De simples auditions d’association de patients ne suffisent plus, les temps ont changé. Il entend mobiliser les espaces éthiques régionaux et compter sur le formidable élan des gens aujourd’hui, pour prendre soin de l’environnement et d’eux-mêmes !
Quels sont les chantiers qui vous attendent en ce début de mandat au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ?
En 2017, nous allons publier des avis sur la procréation médicalement assistée, sur la Biodiversité en relation avec la santé humaine et sur l’accès à l’innovation. Pour ce dernier sujet, nous voulons explorer un point précis qui concerne la flambée des coûts des biothérapies dédiées aux cancers.
Certes, nous avons déjà pris en charge des malades aux traitements très élevés mais cela restait rare (pour des maladies peu fréquentes).
La stimulation de la réponse immunitaire révolutionne les traitements en oncologie et concerne des milliers de malades. Or les coûts pourraient atteindre 700 000 à 800 000 € pour un an de traitement. Les enjeux financiers sont énormes et la collectivité ne pourra pas assumer de tels prix.
Quel système de régulation allons-nous mettre en place ? Comment les pays du sud pourront-ils accéder à ces solutions thérapeutiques ? Ce sont des questions éthiques lourdes qui ressemblent à celles que nous avons affrontées avec les malades du Sida. Quand les premiers antiviraux sont apparus, les traitements étaient de 50 000 € la cure. Le prix a été descendu à 300 € par des pressions pour faire reconnaître la nécessité absolue de soigner les patients du sud comme ceux du nord. Quand j’étais à la tête de l’Agence nationale de recherches sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), nous avons mis au point la première charte de recherche avec les pays du sud.
De nombreuses évolutions techniques (tests prédictifs, captures de données de santé ou quantified self, édition du génome…) concernent le CCNE. Comment regardez vous ces innovations ?
L’accélération des technologies se fait de plus en plus prégnante et nous oblige à mettre en accord ces nouveaux possibles avec la société. Mais il faut se garder des engouements qui exagèrent souvent les choses. Les techniques CRISPR-Cas9, par exemple, posent des problèmes et ne sont pas si faciles à mettre en œuvre de manière sûre. On fait croire qu’elles sont à la portée de tous…
Nous observons les positions qui se manifestent : celle des Académies américaines, publiée à la mi février, n’est pas un avis unanime, précisons le ; l’Inserm a présenté un point de vue voici déjà un an ; j’aimerais que le CCNE donne un avis sur ce sujet fin 2017, un an après la création du groupe de travail dédié. Sa focalisation n’est pas décidée car il y a de nombreux axes à traiter si l’on considère l’ensemble des applications de l’édition de gènes dans la santé : thérapies géniques, réparation de gènes délétères, modification génétique de moustiques vecteurs de maladies (malaria, chikungunya, dengue, zika) lutte antibiotique par des phages modifiés, …
Vous avez annoncé que vous vouliez impliquer les citoyens. Savez-vous comment vous allez procéder et dans quel but ?
J’ai travaillé pendant 25 ans avec les milieux du Sida et cette association de la société civile a été essentielle. Nous avons eu des luttes communes (accès aux traitements des pays du sud, rupture des licences commerciales, arrivée des génériques). Cette expérience montre que si les différents milieux se coordonnent on peut faire bouger des choses majeures.
Le CCNE est composé, outre son président, de 39 experts de domaines divers : juristes, philosophes, chercheurs, responsables des grandes religions. Il m’apparaît comme un organe très élitiste et c’est pertinent. Mais il lui manque l’avis des citoyens notamment pour des aspects sociétaux comme le bien vieillir, la révolution des big data, la santé des migrants, la construction des bio-organes en 4D. Même si les groupes de travail spécialisés procèdent à des auditions de personnalités extérieures, elles ne sauraient être suffisantes.
Nous allons aussi amorcer la révision des lois de bioéthique en 2018. Il est souhaitable et prévu par la loi que ce travail soit précédé par des états généraux citoyens de la bioéthique. Je souhaite m’appuyer sur les espaces éthiques régionaux comme cela avait été amorcé lors du mandat de Pr Alain Grimfeld, aujourd’hui président du Comité de la prévention et de la précaution (CPP). Il ne s’agit pas de « coiffer » ces espaces régionaux mais au contraire d’établir de véritables partenariats pour qu’ils puissent recueillir des points de vue, des expériences, des positions. Il est important de saisir la diversité des histoires régionales car l’éthique c’est évolutif, c’est un ajustement qui doit se faire au plus près des réalités vécues. Cette ouverture, je veux aussi la développer à l’international avec notamment la francophonie. Pour la maison France, il y a une carte à jouer pour mener une vraie politique de soutien à l’élaboration de choix bioéthiques partagés.
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