Dans la plus pure tradition électorale américaine, ce sont les médias qui ont sifflé ce 7 novembre la fin d’un long suspense, en consacrant Joe Biden gagnant de la course à la Maison Blanche et futur quarante-sixième président des États-Unis. Sur son bureau, le nouveau président trouvera une pile de dossiers environnementaux et un amas de décombres climatiques laissés par l’administration Trump. Pourra-t-il faire table-rase de quatre ans de politique contre l’environnement et le climat ? Aura-t-il les moyens, face à un Sénat à majorité républicaine, de faire passer des mesures écologiques ? Comment revenir en arrière sur des mesures écocides tout en allant de l’avant ?
Nombreux sont les observateurs qui pensent que la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine est aussi une victoire pour la lutte contre le changement climatique. Mais sa capacité à faire adopter une législation de grande envergure sera sérieusement limitée si, comme cela semble probable, les républicains conservent le contrôle du Sénat.
Pendant cette élection, le dérèglement climatique est apparu comme une préoccupation pour une grande majorité d’électeurs. Mais les sondages ont révélé que l’économie, les soins de santé et l’épidémie de coronavirus étaient des questions bien plus importantes pour les électeurs que le changement climatique, une thématique extrêmement sensible aux divisions partisanes. Aussi, la plupart des observateurs de la politique américaine doutent que Biden puisse faire passer de nombreux volets de sa proposition de verser près de 2 000 milliards de dollars de fonds fédéraux dans les efforts climatiques. En effet, sans l’aval du Sénat, il sera difficile de faire passer des lois majeures sur le climat. Et le type de mesures audacieuses nécessaires pour mettre le pays sur la voie de l’élimination des émissions carbone du secteur de l’électricité d’ici 2035 et de l’objectif de zéro émission nette pour l’ensemble de l’économie d’ici 2050, qui sont les objectifs centraux des propositions de M. Biden, pourraient bien être hors de portée.
Il faudra jouer serré
Joe Biden devra jouer serré pour faire échapper ses mesures climatiques aux contestations judiciaires devant une Cour suprême qui vient de devenir plus conservatrice avec la nomination in extremis par Trump de la Républicaine Amy Coney Barrett. Il n’en demeure pas moins qu’une administration Biden pourrait faire des progrès substantiels en matière de changement climatique. Une grande partie de ceux-ci devrait s’opérer par le biais d’actions exécutives et au sein des agences fédérales, comme cela a été le cas en grande partie sous le président Barack Obama.
Ainsi, M. Biden s’est engagé à signer une série de décrets dès son premier jour de fonction, notamment des mesures qui imposeraient des limites de pollution au méthane pour les opérations pétrolières et gazières, qui feraient passer des normes plus strictes en matière d’économie de carburant pour les véhicules dans le cadre du Clean Air Act et qui dépenseraient des centaines de milliards de dollars du gouvernement fédéral pour des véhicules à émissions zéro et des ressources énergétiques propres.
Il pourrait également s’employer à inverser les dizaines d’efforts déployés par Donald Trump pour faire reculer les politiques climatiques et environnementales précédentes en demandant aux tribunaux de mettre fin aux litiges en cours ou en annulant et en remplaçant les règles de l’administration, comme l’a expliqué Jody Freedman, professeur de droit à Harvard et conseiller sur les questions climatiques à la Maison-Blanche de M. Obama.
Le rétablissement — ou la fin des contestations judiciaires contre des réglementations comme le Clean Air Act, le Clean Power Plan et la capacité d’États comme la Californie à fixer leurs propres normes d’émissions pour les véhicules — pourraient empêcher le rejet de milliards de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Joe Biden pourrait revenir aussi rapidement sur une décision très controversée de son prédécesseur, celle d’autoriser en août dernier les forages pétroliers et gaziers dans la réserve faunique nationale de l’Arctique, en Alaska.
Une administration Biden serait également susceptible de rayer des listes rapidement des dizaines de négationnistes du climat, des lobbyistes des combustibles fossiles et des dirigeants du secteur pétrolier placés par Trump en position de pouvoir de nuisance dans toutes les agences fédérales. Biden pourrait mettre fin à la guérilla trumpiste contre les rapports scientifiques et rétablir la confiance du gouvernement fédéral dans les scientifiques et autres experts pour prendre des décisions cruciales sur le changement climatique (tout comme la pandémie de Covid-19). L’équipe de Joe Biden sait qu’elle doit mener un combat sans merci au niveau des idées, embourbées par quatre années d’obscurantisme trumpiste dans un maëlstrom de fausses vérités et d’inepties. Un challenge immense dont l’enjeu est la participation de toute la population aux changements écologiques et à la prise de conscience de ce qui se passe dans notre environnement.
Profiter du momentum
Ces mesures prises par décrets présidentiels pourraient être accompagnées de décisions plus durables, forgées dans la loi. Biden devrait ainsi profiter d’un momentum qui lui est favorable : il existe notamment un large soutien en faveur d’un plan de relance économique dans le contexte de la récession provoquée par la pandémie. Un tel projet de loi pourrait inclure un financement important de la recherche et du développement dans des domaines tels que l’énergie nucléaire de nouvelle génération et les technologies de capture, d’élimination et de stockage du carbone, explique Josh Freed, qui dirige le programme sur le climat et l’énergie de Third Way, un groupe de réflexion de centre-gauche basé à Washington. Il pourrait également inclure des programmes de formation professionnelle pour les énergies renouvelables et d’autres secteurs de l’énergie propre. L’administration Obama a utilisé les mesures de relance économique au lendemain de la récession de 2008-2009 pour orienter quelque 90 milliards de dollars d’investissements fédéraux vers les industries vertes.
Il existe également un appétit bipartite pour un projet de loi sur les infrastructures, qui pourrait inclure des investissements dans les lignes de transmission d’électricité, les parcs éoliens en mer, la protection des côtes et d’autres mesures d’adaptation au climat.
Joe Biden pourra faire beaucoup pour le climat, mais il subsiste des zones d’ombre. C’est le cas notamment de la fracturation hydraulique dans l’exploitation des gaz de schiste sur laquelle le candidat Biden a été très prudent. Toutefois, on peut espérer que la pression de l’opinion et le coût de cette technique pourrait l’inciter à progressivement l’abandonner et à réduire les subventions de Washington. De même, le candidat Biden avait affirmé vouloir « se détourner de l’industrie pétrolière » sans jamais indiquer d’échéancier précis à ce sujet, en dehors de l’objectif de carboneutralité. Daniel Kammen, professeur en énergie et ressources de l’Université de Berkeley, estime qu’il doit prendre du temps pour s’en détourner : « Réduire rapidement la dépendance au pétrole est essentielle, mais il ne doit cependant pas négliger l’expertise, en leur coupant trop rapidement les vivres, que les entreprises du secteur peuvent avoir. Elle pourra servir pour les énergies renouvelables également, comme l’hydrogène. »
Restaurer la confiance
Enfin, sur le front international, M. Biden s’est engagé à rejoindre l’accord de Paris sur le climat, dont les États-Unis se sont officiellement retirés ce mercredi 4 novembre. Un retour dans le giron international ne créerait pas en soi une nouvelle politique climatique nationale. Mais cela exigerait que les États-Unis soumettent une nouvelle série d’engagements pour réduire les émissions avant la prochaine conférence des Nations-unies sur le changement climatique en 2021, ainsi qu’un plan pour réduire la pollution climatique d’ici le milieu du siècle.
Tout aussi important, le retour des États-Unis dans l’accord de Paris renforcerait l’alliance mondiale autour des questions climatiques et mettrait davantage de pression sur les autres nations pour qu’elles respectent ou renforcent leurs engagements. Mais après le règne de Trump sur « l’Amérique d’abord », pendant lequel l’ex-président a régulièrement renversé nombre d’alliances commerciales et militaires cruciales, il faudra certainement du temps pour restaurer une partie de la crédibilité américaine. « Il se peut que les États-Unis aient à jouer un rôle moins important que par le passé dans la définition de l’agenda [climatique], jusqu’à ce qu’ils aient restauré suffisamment de confiance », estime Kelly Sims Gallagher, professeur de politique énergétique et environnementale.
Toutefois, le contexte international est favorable. Noyée par les nouvelles des élections américaines, la décision de la Chine de suivre son engagement de neutralité carbone nette d’ici 2060 en s’engageant à éliminer progressivement les moteurs à combustion interne non hybrides d’ici 2035 est passée relativement inaperçue. En même temps, l’Union européenne, le Japon, la Corée du Sud et d’autres pays ont maintenant adopté les objectifs de réduction des émissions pour 2050. Il sera dès lors plus facile pour l’administration Biden d’accélérer les progrès vers un avenir à faible émission de carbone et à haut rendement que d’essayer de faire obstacle aux tendances fondamentales du marché et de se démarquer du reste du monde. En l’espèce, nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise.
Sources : Bloomberg, MIT Technology Review