Depuis fin octobre 2015, une énorme quantité de gaz naturel se déverse dans le ciel californien suite à une fuite massive de méthane sur le site d’une compagnie de distribution gazière de Porter Ranch, en banlieue de Los Angeles. Jusqu’à 1 200 tonnes par jour s’écoulent ainsi, sans que les responsables soient en mesure d’y remédier. L’injection de boue pour sceller le puits ou encore le creusement d’une conduite dérivée pour réduire la pression – à peu près 200 fois celle de la pression atmosphérique – ont été vains. Seules l’aspiration et la capture du méthane pourraient permettre de résoudre ce problème plus rapidement. Cette fuite représente à ce jour l’une des plus importantes jamais observée.
Ce qui inquiète dans cette affaire, au-delà des conséquences néfastes sur la santé de la population locale, c’est l’impact éventuel sur le réchauffement global : le méthane, composant principal du gaz naturel, possède en effet une capacité considérablement plus élevée que le gaz carbonique à piéger la chaleur. Si une petite fuite n’a qu’un effet limité sur le climat, un accident tel que celui de Porter Ranch est susceptible de réduire à néant les progrès réalisés par la Californie dans sa lutte pour la réduction des gaz à effet de serre.
La fracturation hydraulique en cause
Et que dire si de telles fuites venaient à se multiplier dans un avenir où l’on aurait massivement recours au gaz naturel pour remplacer le charbon dans la production d’électricité ? Les États-Unis prévoient en effet une telle évolution, s’appuyant sur leurs énormes ressources de gaz non conventionnel et la possibilité de les exploiter grâce à la technique de la fracturation hydraulique (fracking) .
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Dans la petite ville de Porter Ranch – nouvellement construite dans la vallée de San Fernando sur les contreforts des montagnes de San Bernardino, à seulement 40 km du centre de Los Angeles –, la Southern California Gas Company (SoCalGas) exploite d’énormes gisements de gaz naturel (avec 111 puits sur 1 500 ha), et ce en grande partie à l’aide de techniques liées au fracking. Elle stocke d’autre part dans ses anciens puits, pour une grande partie déjà exploités grâce à cette technique, le gaz dont elle n’a pas immédiatement besoin.
Des réserves de gaz naturel de millions de m3 sont également stockées un peu partout en Californie : c’est l’ampleur de ce stockage qui inquiète le gouverneur Jerry Brown. En décrétant l’état d’urgence pour protéger les habitants de Porter Ranch, ce dernier a également prescrit une évaluation de la sécurité des puits de la région et exige désormais qu’ils soient inspectés régulièrement, tout particulièrement les plus anciens. Les habitants de l’État de Californie ne sont en général pas au courant de l’existence de tels puits de stockage dans leur voisinage.
Des risques pour la santé et le climat
Pour les habitants de Porter Ranch, cette fuite représente un danger sanitaire : d’abord à court terme, non pas tant à cause du méthane lui-même, mais bien des produits toxiques et odorants qu’on y ajoute pour permettre de détecter plus facilement les fuites, ou encore de ceux contenus dans le liquide utilisé pour la fracturation hydraulique.
À ce titre, le composant chimique le plus dangereux est probablement le benzène. Depuis le début de la fuite, l’analyse d’échantillons d’air a mis en évidence à plusieurs reprises des concentrations très élevées de ce composant, un produit carcinogène qui pourrait avoir un effet à long terme sur la santé, malgré les démentis de SoCalGas. Les effets les plus visibles – nausées, maux de tête, saignements de nez – ont d’ailleurs poussé la population à exiger que les responsables politiques fassent évacuer trois mille personnes environ.
L’autre enjeu de taille pour le futur concerne le climat. La quantité de méthane qui s’échappe – que l’on peut visualiser du ciel à l’aide de caméras infrarouges – semble avoir atteint des niveaux élevés en novembre pour ralentir à la mi-janvier. De par son ampleur, cette fuite n’est pas sans conséquence : l’effet de serre du méthane par molécule excède de beaucoup celui du gaz carbonique, lui conférant un potentiel d’impact climatique bien plus puissant que le CO2.
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Accélération du réchauffement global
Si l’on effectue une comparaison sur l’horizon temporel du CO2 – généralement évalué à 100 ans –, le méthane a un pouvoir de réchauffement global (PRG) de 32 (estimé molécule par molécule). Mais le temps de résidence dans l’atmosphère du méthane est en fait nettement plus court, une douzaine d’années environ. Calculé à l’horizon de 20 ans et en tenant compte des interactions avec les aérosols et autres gaz, le PRG du méthane est alors de près de 100 ! Une augmentation de la concentration de méthane dans l’atmosphère provenant des activités liées à l’extraction (en tenant compte des fuites) ou au transport de gaz naturel a ainsi le potentiel d’accélérer le réchauffement global (en sus de l’échauffement dû au CO2) sur une période d’environ 10 à 15 ans suivant son émission.
Le méthane atmosphérique ne provient, bien sûr, pas seulement de la production de gaz naturel : d’autres sources entrent en jeu dans son bilan global, qu’elles soient naturelles ou anthropiques, dérivées d’organismes vivants, « biogéniques », ou pas. Les flux associés sont difficiles à mesurer et varient dans le temps. Les calculs les plus élaborés montrent que 70 % du méthane de l’atmosphère proviennent de sources biogéniques comme les marécages, la culture du riz, les élevages d’animaux domestiques, les décharges, les forêts et les océans. Dans la plupart de ces cas, le méthane est le résultat de la fermentation de macromolécules organiques par l’intermédiaire de bactéries, dites « méthanogènes ».
Par comparaison avec le CO2, qui est chimiquement inactif, le méthane réagit avec d’autres éléments présents dans l’atmosphère ce qui joue un rôle prépondérant sur son temps de résidence et donc son impact climatique. Le principal puits de méthane provient de son oxydation par le radical hydroxyle OH dans la troposphère, qui en élimine environ 85 % à l’échelle globale, le reste étant capté par les sols (par des processus de dépôts secs ou humides) et par l’oxydation par OH dans la stratosphère. Ces réactions chimiques font que l’estimation précise des taux de production et de disparition du méthane à l’échelle globale demeure relativement imprécise.
Malgré cette incertitude plus élevée que celle affectant le bilan de dioxyde de carbone, on a néanmoins aujourd’hui suffisamment d’informations pour conclure qu’à l’heure actuelle, les sources anthropiques de méthane dominent le bilan de la dernière décennie (~ 60 %) et que les émissions provenant de la production d’énergie et de l’extraction du gaz et du pétrole sont de l’ordre de 15 à 30 % des émissions totales, ces valeurs ne pouvant qu’augmenter avec une production accélérée de gaz naturel conventionnel et surtout de gaz de schiste ).
Une hausse des fuites à craindre
Le gouvernement Obama, qui soutient l’utilisation du gaz naturel, a mis en place des mesures de protection pour limiter ce qu’on appelle le « méthane fugitif », celui qui s’échappe lors de la production et du transport du gaz aux utilisateurs. On se souciait jusqu’ici peu des fuites associées au stockage du gaz. En effet, tant qu’il n’en existe que très peu, leur rôle sur le climat demeure marginal. Mais dès lors que les puits vieillissent et perdent de leur étanchéité, des fuites considérables sont à craindre. Et avec la multiplication des puits, de grandes quantités de méthane pourraient s’échapper.
Considérant la forte croissance de la production de gaz naturel non conventionnel extraits des schistes prévue par l’Agence Internationale pour l’énergie, Exxon Mobile et BP, dans les prochaines décennies, il est statistiquement certain que des accidents vont survenir. La fuite de Porter Ranch présage peut-être ainsi d’une impossibilité de recourir au gaz aussi largement que l’avait prévu Washington pour tenter de contenir l’ampleur du changement climatique, tel que prévu par le récent Accord climatique de Paris.
Catherine Gautier, Professeur émérite de Géographie, University of California, Santa Barbara
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.