Faut-il présenter Jane Goodall ? Fondatrice de l’Institut qui porte son nom et messager pour la paix de l’ONU, sa réputation la précède. Célèbre pour le travail de toute sa vie sur les primates, elle défend de nouveaux rapports avec la nature. Dans une récente intervention, elle interpelle toute l’humanité. La crise du coronavirus nous a placé à la croisée des chemins. Si nous voulons survivre, nous devrons réviser nos relations avec la nature et revoir toutes nos habitudes alimentaires. Une voix précieuse pour nous accompagner vers un monde nouveau.
L’humanité sera « finie » si nous ne changeons pas radicalement nos systèmes alimentaires en réponse à la pandémie de coronavirus et à la crise climatique, a averti l’éminente naturaliste Jane Goodall lors d’une conférence en ligne organisée ce mardi 2 juin par l’ONG Compassion World Farming (CIWF). Selon elle, il ne fait aucun doute que le coronavirus a fait le saut entre les animaux et les humains et que son émergence est intimement corrélée à la surexploitation du monde naturel, qui a vu des forêts coupées, des espèces disparues et des habitats naturels détruits. Elle pointe aussi l’élevage intensif, gigantesque réservoir de maladies animales qui vont immanquablement se répandre et nuire à la société humaine.
Faisant référence aux dernières semaines terribles que nous a fait subir le Covid-19, Jane Goodall affirme : « Nous nous sommes infligé cette situation en raison de notre manque de respect absolu pour les animaux et l’environnement ». Elle insiste : « Notre manque de respect pour les animaux sauvages et pour les animaux d’élevage a créé cette situation où la maladie peut se propager pour infecter les êtres humains ».
Quand Jane Goodall parle de nature, il faut l’écouter. Ici, elle nous parle de survie de l’humanité. « Les gens doivent abandonner l’élevage industriel et cesser de détruire les habitats naturels de toute urgence » implore-t-elle. Il en va de notre vie en tant qu’êtres humains car notre risque est double : celui de la menace des maladies et celui de l’effondrement du climat.
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La nature et l’homme
Les trois quarts des agents pathogènes émergents qui infectent les humains sont transmis par des animaux, dont beaucoup sont des créatures vivant dans les habitats forestiers que nous coupons et brûlons pour dégager des terres pour les cultures mais aussi pour ériger des usines de biocarburants, creuser des mines et bâtir des logements. Plus nous avançons dans ces activités, plus nous entrons en contact avec des animaux sauvages porteurs de microbes adaptés pour nous tuer. Plus nous concentrons ces animaux dans des zones plus petites où ils peuvent échanger des microbes infectieux, plus nous augmentons les chances de voir apparaître de nouvelles souches. Le défrichement des terres réduit la biodiversité, et les espèces qui survivent sont plus susceptibles d’héberger des maladies qui peuvent être transmises à l’homme. Tous ces facteurs entraîneront une plus grande propagation des agents pathogènes des animaux à l’homme.
L’arrêt de la déforestation réduira non seulement notre exposition à de nouvelles catastrophes, mais freinera également la propagation d’une longue liste d’autres maladies virulentes provenant des habitats des forêts tropicales humides ; c’est le cas notamment du zika, du nipah, du paludisme, du choléra et du VIH. Une étude réalisée en 2019 a révélé qu’une augmentation de 10 % de la déforestation ferait augmenter de 3,3 % les cas de paludisme, soit 7,4 millions de personnes dans le monde. Pourtant, malgré des années de protestation mondiale, la déforestation continue de sévir. En moyenne, 28 millions d’hectares de forêt ont été coupés chaque année depuis 2016, et il n’y a aucun signe de ralentissement.
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L’agriculture industrielle conduit nécessairement à l’augmentation de superbactéries résistantes aux antibiotiques. Elles représentent un danger pour la santé humaine. On vient d’en faire l’expérience : un virus inconnu vraisemblablement transmis par les animaux à l’homme a non seulement fait des centaines de milliers de victimes mais a mis l’économie de presque tous les pays du monde à l’arrêt. Sans compter les dommages collatéraux sur la santé, la sécurité ou la liberté, non encore clairement identifiés et répertoriés mais qui apparaissent partout.
« Si nous ne faisons pas les choses différemment, nous sommes finis », répète la célèbre naturaliste. « Nous ne pouvons pas continuer longtemps comme ça ».
Changer nos habitudes
Jane Goodall voyage sans cesse a travers le monde. Elle voit partout la misère qui gagne du terrain. Elle observe que la pauvreté impacte lourdement le monde naturel. En effet explique-t-elle, « les gens qui n’ont pas d’autres choix et qui sont désespérés de nourrir leur famille vont abattre les forêts pour survivre, et dans les zones urbaines choisiront les aliments les moins chers quel que soit le mal causé par leur production, car ils n’ont guère d’autre choix ». Quand la pauvreté sévit, la guerre n’est pas loin. Dans de nombreux pays, les conflits ravagent non seulement les hommes mais aussi la nature. Ailleurs, dans les régions mieux loties, c’est l’ultra consumérisme, l’accumulation des choses et de leurs déchets, la façon de se nourrir qui lacèrent l’intégrité de notre environnement.
Nos sociétés doivent changer leurs habitudes et développer ce que la philosophe Corine Pelluchon appelle une « éthique de considération » envers la nature.
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Manger moins de viande améliorera certes notre santé, mais cela réduira aussi la demande de cultures et de pâturages. Manger moins d’aliments transformés réduira la demande d’huile de palme – également une matière première importante pour les biocarburants – dont une grande partie est cultivée sur des terres coupées à blanc dans les forêts tropicales. Le besoin de terres diminuera également si les pays ralentissent leur croissance démographique, ce qui ne peut se produire dans les pays en développement que si les femmes reçoivent une meilleure éducation, un statut social égal à celui des hommes et un accès facile à des moyens de contraception abordables.
Produire plus de nourriture par hectare peut stimuler l’offre sans qu’il soit nécessaire de défricher davantage de terres. Le développement de cultures qui résistent mieux à la sécheresse sera crucial, d’autant que le changement climatique entraîne des sécheresses plus longues et plus graves. Dans les régions sèches d’Afrique et d’ailleurs, les techniques agroforestières telles que la plantation d’arbres dans les champs agricoles peuvent augmenter le rendement des cultures. La réduction du gaspillage alimentaire pourrait également diminuer considérablement la pression exercée pour cultiver davantage ; 30 à 40 % de toute la nourriture produite est gaspillée.
« Nous sommes arrivés à un tournant dans notre relation avec le monde naturel », lance Jane Goodall en forme d’avertissement. Nous n’avons qu’une petite fenêtre d’opportunité pour faire des changements drastiques avant de faire face à la catastrophe. « L’une des leçons tirées de cette crise est que nous devons changer nos habitudes ». Cela passe par le changement radical de nos régimes alimentaires, le refus d’acheter les produits issus de l’agriculture industrielle non respectueuse de la nature. Changer pour entrer dans un cercle vertueux « bénéfique pour les animaux, la planète et la santé de nos enfants ».
La pandémie de Covid-19 a été une catastrophe en forme de démonstration des dégâts démesurés que causent des agents pathogènes libérés de la nature. Mais il faut espérer cette crise aura au moins un mérite : celui d’attirer notre attention sur l’immensité des bénéfices que l’humanité pourrait retirer en s’empêchant de bousculer le monde naturel et l’écosystème du vivant sur Terre.
Source : The Guardian, Scientific American
Image d’en-tête : photo Tony Burrows
Pour ne pas en rester au stade des belles intentions ou des objectifs louables, mais enclencher le mouvement pour une « Nouvelle donne » il faut agir. Même si peu le soulignent, il faudrait commencer par compléter nos principes fondamentaux (rappelés au Préambule de notre constitution) qui certes nous dessinent à l’heure actuelle une société de libertés sur tous les plans mais qui sont désormais insuffisants car nous ne sommes plus ni en 1789, ni en 1945, ni même en 1958. Les enjeux sont autres. Pour en savoir plus, voir «Le Jour d’après – Pour une nouvelle donne, agir sur nos principes constitutionnels fondamentaux»… Lire la suite »