TerraPower, soutenue par le fondateur de Microsoft, Bill Gates, choisit le Wyoming pour le premier réacteur nucléaire avancé. La centrale serait construite à proximité d’une centrale au charbon en cours de fermeture et constituerait l’une des premières démonstrations à grande échelle d’un réacteur refroidi au sodium.
TerraPower, une société expérimentale d’énergie nucléaire soutenue par Bill Gates, pourrait ouvrir son premier site dès 2028 dans la ville minière de Kemmerer, dans le Wyoming. Ajoutant une touche de symbolisme à l’idée d’en finir avec l’ancien monde et d’entrer dans le nouveau, la société indique que sa centrale serait construite près des locaux d’une paire de centrales à charbon dont la mise à la retraite est prévue d’ici 2025.
Le nouveau réacteur « Natrium » devrait être doté d’un réacteur rapide de 345 mégawatts refroidi au sodium et d’une technologie de stockage permettant d’augmenter temporairement la production à 500 mégawatts de puissance en cas de besoin. Cela signifie que le réacteur peut produire suffisamment d’énergie pour 400 000 foyers, a indiqué la société dans son blog. Les réacteurs alimentés au sodium peuvent brûler l’uranium et le plutonium usés, ce qui permet de minimiser les déchets et de réduire la nécessité d’un stockage dangereux.
La centrale est conçue pour être refroidie par air, ce qui, comme l’a expliqué Chris Levesque, PDG de TerraPower, au Guardian, réduira les risques de fusion et permettra un arrêt d’urgence rapide. L’approche au sodium présente toutefois aussi des inconvénients potentiels : La capacité du sodium à conserver sa forme liquide à haute température plutôt que de se transformer en gaz signifie qu’il peut brûler au contact de l’air et potentiellement exploser lorsqu’il est immergé dans l’eau, note Scientific American.
Une somme considérable
Bien que M. Gates ait investi une quantité importante de ressources dans TerraPower depuis qu’il l’a cofondée en 2006, environ la moitié du projet Natrium dans le Wyoming sera essentiellement subventionnée par les contribuables américains. Selon le site Earther, la société recevra 1,9 milliard de dollars du gouvernement, dont 1,5 milliard proviendra des fonds consacrés aux réacteurs nucléaires avancés dans le récent projet de loi bipartisan sur les infrastructures. Le coût total de la centrale devrait s’élever à environ 4 milliards de dollars. TerraPower est également l’une des deux entreprises américaines qui ont reçu 160 millions de dollars du ministère de l’énergie l’année dernière pour développer les nouveaux réacteurs.
Le coût de la construction du réacteur Natrium représente une somme considérable, mais il est bien inférieur à celui de la centrale Vogtle, la seule centrale nucléaire actuellement en construction aux États-Unis, dont la construction pourrait coûter 28,5 milliards de dollars. Elle s’appuie sur la technologie nucléaire traditionnelle, mais a également connu des dépassements de coûts et des retards.
TerraPower avait déjà tenté de construire une centrale expérimentale près de Pékin, mais ce projet a été interrompu en raison de restrictions réglementaires accrues pendant la présidence de Trump. Bien que des pays, dont les États-Unis, aient expérimenté des réacteurs rapides refroidis au sodium dès les années 1950, le Natrium de TerraPower marquerait le premier réacteur fonctionnant à grande échelle en dehors de la Russie. La France a consacré des années et des millions d’euros au développement de son propre prototype de réacteur nucléaire refroidi au sodium, mais a abandonné ces projets en 2019. D’autres entreprises s’intéressent également à d’autres concepts de centrales nucléaires, notamment un petit réacteur nucléaire Rolls-Royce.
Le marché des mini réacteurs
Le 8 novembre dernier, le motoriste britannique Rolls-Royce a annoncé qu’il allait construire de petits réacteurs nucléaires « à bas coûts » au Royaume-Uni « à la suite d’une levée de fonds réussie » auprès d’un consortium d’investisseurs. Rolls-Royce, BNF Resources et le groupe de nucléaire américain Exelon Generation Limited vont investir conjointement 195 millions de livres (228 millions d’euros) sur trois ans, et le gouvernement britannique va injecter 210 millions de livres (245 millions d’euros) par l’intermédiaire de l’agence gouvernementale UK Research and Innovation.
Le ministre de l’Energie et des Entreprises, Kwasi Kwarteng, a ajouté que « les réacteurs modulaires de petite taille (SMR) offrent des opportunités enthousiasmantes de couper les coûts dans notre utilisation déjà en repli des carburants fossiles » afin de générer « de l’électricité propre ». Le Royaume-Uni s’est engagé à décarboner son électricité d’ici 2035 et le gouvernement compte largement sur l’éolien, en particulier offshore, mais aussi sur le nucléaire.
Le parc britannique est aujourd’hui en fin de vie. Le projet d’une grosse centrale mené par EDF, Sizewell C, a été plombé par les retards à cause de difficultés de financements et de complications politiques. Le gouvernement souhaite notamment écarter le chinois CGN, minoritaire, même s’il n’a pas annoncé de décision pour l’instant. Une seule centrale nucléaire est actuellement en cours de construction au Royaume-Uni : Hinkley Point, projet porté lui aussi par EDF et le chinois CGN.
Le groupe Rolls-Royce vise une entrée en fonction « au début des années 2030 », poursuit le communiqué. « Une seule centrale fonctionnant à partir d’un SMR occupera la taille de deux terrains de football et pourra alimenter en électricité environ un million de logements ». Ces centrales seront construites et assemblées aux neufs dixièmes en usines, principalement dans le nord du pays, avec une chaîne d’approvisionnement « britannique à 80% », affirme Rolls-Royce.
Des SMR en France ?
Le président Macron avait annoncé le 12 octobre dernier un milliard d’euros d’investissements pour développer des « technologies de rupture » dans le domaine du nucléaire. Il souhaite faire émerger des réacteurs de petite taille, dits SMR, « Small modular reactors ». Ceux-ci sont des réacteurs compacts, dont la puissance est généralement comprise entre 50 et 500 mégawatts (MW), explique le CEA, « en comparaison des 900 à 1 450 MW des réacteurs du parc nucléaire français actuel ». Ils présentent également l’intérêt d’être fabriqués en usine, à la manière d’un kit, afin d’être acheminés et assemblés sur le site final. Ils pourraient ainsi permettre de remplacer les énergies fossiles dans un certain nombre de cas, et donc de participer à la lutte contre les émissions de CO2.
Le SMR français à eau pressurisé (REP) fonctionne sur le modèle des réacteurs du parc civil. « Le cœur est composé de matière fissile [de l’uranium faiblement enrichi] qui dégage de l’énergie sous forme de chaleur », explique à franceinfo Benoit Desforges, directeur du développement et de la stratégie de TechnicAtome. Un premier circuit d’eau monte en température et se transforme en vapeur dans un second circuit, « ce qui fait tourner une turbine et alimente un moteur électromagnétique » qui génère le courant.
Plusieurs autres pays sont dans la course aux SMR, parfois avec d’autres technologies (à sel fondu, refroidis au plomb…). En tout, 70 projets sont en cours. Mi-juillet, Pékin a annoncé la mise en chantier d’un SMR sur l’île de Hainan, dont l’objectif est, à terme, d’alimenter 526 000 foyers. Mais la seule centrale à SMR aujourd’hui en exploitation, l’Akademik Lomonosov, est flottante et a été mise en service en mai 2020 par l’agence nucléaire russe Rosatom. Cette barge est équipée de deux réacteurs de 35 MW qui alimentent Pevek, une ville isolée de Sibérie orientale.
Cette technologie intéresse des États très dépendants des énergies fossiles. En septembre dernier, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a étendu sa coopération avec la compagnie tchèque CEZ, afin d’évoquer les SMR. La République tchèque, troisième consommateur de charbon après l’Allemagne et la Pologne en Europe, souhaite en effet réduire son empreinte carbone et dispose déjà de six réacteurs nucléaires.
Historiquement, le nucléaire français a d’abord été conçu pour fournir du courant à la France, avant d’être exporté. Avec les SMR, c’est l’inverse. « Cette technologie est tournée d’abord vers l’international, afin de permettre à un maximum de nos clients de décarboner », explique Renaud Crassous, directeur du projet SMR chez EDF.
Trop cher, trop tard
Les ONG écologistes dénoncent la présentation des petits réacteurs comme un projet « vert » et les jugent « plus chers que les technologies renouvelables », déplore Doug Parr, directeur scientifique de Greenpeace. A leurs débuts, ces SMR risquent de produire une électricité plus chère que leurs sœurs aînées. « Selon le promoteur de l’ACP100 chinois, le coût par kilowatt serait deux fois supérieur à celui d’un grand réacteur », souligne le World nuclear industry status report, un bilan annuel critique du nucléaire. Le SMART sud-coréen a reçu un feu vert en 2012 mais rien n’a été construit depuis, faute d’être compétitif « sur les coûts ». L’Akademik-Limonosov a coûté 740 millions de dollars, selon l’ONG Bellona, contre 232 millions de dollars prévus initialement : 25 000 dollars par kilowatt, « deux fois plus que le coût des réacteurs les plus chers de troisième génération ».
« Pire encore, il n’y a pas de prototype en vue à courte échéance. Le délai immédiat est une coupe drastique des émissions [polluantes] d’ici 2030 et les petits réacteurs ne vont jouer aucun rôle là-dedans. » Les opposants au nucléaire, de leur côté, réclament que les investissements publics soient immédiatement redirigés vers les énergies renouvelables. « L’an passé, 256 GW ont été ajoutés dans le monde, notamment dans le photovoltaïque et l’éolien, contre 0,4 GW pour le nucléaire », fait ainsi valoir Yves Marignac, chef du pôle Energies nucléaire et fossiles de l’Institut NégaWatt. Ces projets de SMR, selon lui, traduisent une tentative désespérée de répondre à cet « écart croissant d’adaptation ».
Avec Franceinfo, Reuters