L’Espace de l’Art Concret – Centre d’art contemporain d’intérêt national de Mouans-Sartoux propose « Highway Hypnosis« , une exposition d’Annika Boll qui explore le parallèle entre la conduite automatique et les logiques de répétition et de contrôle appliquées à la nature (champs, serres, plantations). L’artiste transforme des éléments naturels en données numériques via la photogrammétrie, la 3D ou l’animation, créant des « coquilles » artificielles qui oscillent entre réalisme et fantomatique. Ses installations et sculptures jouent sur l’ambiguïté entre vivant et artificiel, séduisent tout en générant un malaise et interrogent notre perception du vivant devenu donnée, décor ou produit.
L’exposition met en lumière les effets diffus de la technologie sur nos émotions et nos perceptions, sans les condamner, mais en appelant à une vigilance consciente. Ce projet s’inscrit dans le cadre du Prix “L’Écho des cimes”, qui accompagne les jeunes artistes diplômés de la Villa Arson. Le prix s’ancre dans le territoire du Pays de Grasse, riche de sa diversité géographique et offre deux lieux de création et de visibilité : Le massif de l’Audibergue, où un parcours d’art contemporain est en cours de création. Et l’Espace de l’Art Concret à Mouans-Sartoux, centre d’art majeur, qui accueillera la restitution de résidence du lauréat.
Le terme Highway Hypnosis désigne un état mental particulier pendant lequel un conducteur peut parcourir de longues distances, réagir aux événements extérieurs, mais ne se souvient pas d’avoir conduit consciemment. Le corps agit automatiquement, l’esprit est ailleurs.
L’exposition compare ce rythme répétitif de la route aux lignes droites des champs agricoles, aux rangées de légumes plantés, aux serres où les plantes sont cultivées et multipliées à l’infini. On y retrouve cette même logique de répétition, de défilement continu, d’alignement contrôlé.
Dans l’exposition, on est confronté à la manière dont la nature est traitée, jusqu’au point où elle devient artificielle, fragmentée, analysée, numérisée. La pratique d’Annika Boll s’inscrit dans ce croisement entre technologie et vivant. Elle utilise des procédés de numérisation —la photogrammétrie, la modélisation 3D, l’animation algorithmique pour convertir des formes naturelles analogiques en données numériques. Ce qu’elle décrit avec une certaine ironie comme du « jardinage digital ». Elle
scanne minutieusement des éléments du réel pour en produire des coquilles géométriques essentiellement vides, recouvertes de textures photographiées. Ces doublons, à la fois hyperréalistes et fantomatiques, sont ensuite soit intégrés dans des environnements numériques, soit réactivés physiquement par l’installation ou la sculpture.
Les matériaux employés sont choisis pour leur potentiel d’ambiguïté : des impressions 3D en plastique de vraies plantes scannées, des représentations de nature articielle sur des écrans sursaturés, ou encore des objets produits en masse détournés de l’univers publicitaire.
Annika utilise des codes visuels séduisants pour piéger le regard, des couleurs artificielles ou brillantes pour attirer l’attention, des systèmes de rotation ou de boucle infinie pour créer une tension entre fascination et inconfort. Elle cherche cette complicité entre plaisir esthétique et malaise, entre désir de voir et doute sur ce que l’on regarde.
Cette mise en scène du vivant transformé souligne nos tentatives mécanistes de comprendre et de classifier le vivant en une série d’actions et de réactions, davantage comme une suite de petites machines interconnectées que comme des organismes entiers.
L’exposition cherche à mettre en lumière les zones de flou écologiques et perceptuelles qui émergent lorsque la vie devient donnée, image, décor ou produit. Ces œuvres rejouent les logiques de catalogage, de duplication, d’archivage du vivant, comme si numériser ou stocker pouvait signier protéger.
Mais il ne s’agit pas de condamner la technologie. Il s’agit plutôt de révéler sa présence diffuse dans notre quotidien, et d’en interroger les effets sur nos perceptions inconscientes, nos émotions artificielles, nos désirs fabriqués.
Pour citer James Bridle, « L’attention consciente est une condition indispensable pour agir correctement et avec justice dans le monde ». C’est cette attention envers notre condition moderne de percevoir le monde extérieur que l’exposition cherche à activer.

Projet Pine Essentials – Note d’intention de l’artiste
Série d’impressions 3D réalisées à l’aide de la macro-photogrammétrie sur des pins locaux. Ces impressions mettent en lumière des parties minuscules, négligées ou cachées de ces arbres, en élevant ces détails minuscules sous forme de sculptures imprimées agrandies, afin de révéler la complexité de l’existence de l’arbre. Les impressions sont lentement tournées, automatisées sur une plateforme intégrée dans un objet industriel réutilisé et bien connu : Un poteau de barbier (a barber’s pole). Ces poteaux, utilisés comme publicités pour attirer des clients, servent de manière humoristique, à exposer l’œuvre : l’arbre « se fait maintenant de la publicité », invitant les passants à s’arrêter et à les reconnaître comme des êtres vivants à l’existence complexe.
Fascinée par la numérisation de la nature et la création d’une nature articielle, l’artiste Annika Katja Boll explore et tente de comprendre pourquoi nous trouvons quelque chose de numérisé – quelque chose d’articiel – attirant. Son objectif est de mettre en évidence l’artificialité de la préservation numérique : nous créons d’énormes ensembles de données et bibliothèques d’êtres naturels scannés, comme si ces scans pouvaient être téléchargés à nouveau dans les formes de vie qu’ils étaient autrefois, lorsque toute la nature a été détruite. L’artiste utilise ces images numériques comme un rappel de l’importance de la nature et de la nécessité urgente de la préserver, à l’instar de son projet sur la préservation de la santé de la mer Méditerranée ou la série sur les moulins à vent, qui remet en question l’image sociale des énergies renouvelables.
Le titre provisoire, Pine Essentials, fait référence à un ensemble de données provenant de Unreal Engine 5, qu’Annika utilise fréquemment pour créer des scènes forestières dans son travail. Cependant, ces coquilles géométriques enveloppées de textures n’ont plus de lien véritable avec les vrais pins, elles sont plus anonymes qu’essentielles. L’objectif est de les remplacer par des éléments individuels provenant d’arbres spécifiques.
Le projet proposé commence par la réalisation de scans 3D, utilisant la macro-photogrammétrie afin de capturer les détails de l’arbre, tels que les bourgeons, les graines, les textures de l’écorce, les cicatrices ou les cônes de pin à différents stades de croissance. Le processus d’impression est réalisé grâce à une technique, développée par ecodecat3D, qui recycle les bouteilles en plastique en filament pour l’impression 3D. Ce filament recyclé crée des textures transparentes bleues, vertes et blanches.
Les impressions 3D sont presentées à l’intérieur du poteau de barbier. Cela permet non seulement de les protéger de la pluie et du vent, mais aussi de les faire tourner lentement à 360 degrés. La rotation du poteau et sa forme familière imitent l’attraction visuelle des enseignes néon dans les zones urbaines. L’idée est de transposer de manière humoristique cet appareil urbain attirant l’attention dans la nature, comme si l’arbre lui-même demandait de l’attention, invitant les gens à reconnaître et comprendre sa complexité.
Le poteau de barbier est un symbole ancien et traditionnel datant du Moyen Âge, utilisé dans le monde entier comme enseigne pour les barbiers, étant également responsables de tâches comme l’extraction de dents, la saignée, et même les petites chirurgies. Les couleurs du poteau —rouge, bleu et blanc— symbolisent les os, le sang et les veines. Réutiliser cet objet industriel et traditionnel, qui représente les fluides corporels humains et sa matérialité, pour mettre en valeur l’essence d’un arbre, donne du sens ; il s’agît aussi de montrer les aspects essentiels du pin dans un objet qui ressemble à un tube à essai, rendant sa nature cachée visible à travers la technologie.
Pour compléter le projet, chaque impression est connectée à un panneau solaire, créant un système alimenté par l’énergie solaire. Les panneaux sont fixés sur les branches des arbres, et fournissent juste assez d’énergie pour faire fonctionner le mécanisme de rotation. Sans batterie, ce système cesse de fonctionner lors de journées nuageuses, pluvieuses ou la nuit. L’intégration de l’énergie solaire dans cette installation multimédia, assujettit l’œuvre à un système à petite échelle qui remplace l’idée de disponibilité permanente par le concept de degrowth, ajoutant une qualité dépendante de la situation. Le système d’attache par des sangles, garantit qu’aucun trou ne soit fait et que l’arbre ne soit pas endommagé. Ces sangles pourront être ajustées au fil du temps et à mesure de sa croissance.
Pine essentials est adapté à la région, entre sa partie sud densément urbanisée et sa partie plus rurale au nord. Annika Katja Boll a souhaité utiliser cette diversité géographique comme source d’inspiration pour transposer une caractéristique urbaine dans la nature. De plus, la forêt recouvre une grande partie du Pays de Grasse, il est donc essentiel de se reconnecter avec ce patrimoine naturel, et de susciter une réflexion sur notre relation à la nature, l’impact de la technologie sur notre perception du monde naturel et notre responsabilité à protéger et à préserver l’environnement.
Annika Boll
Née en 1992, Hachenburg (Allemagne) – Vit et travaille entre Nice (France) et Bruxelles (Belgique).
« Ma pratique artistique applique les technologies numériques à la nature pour transformer les informations organiques en formes numériques et inversement, un processus que j’appelle, avec humour, le « jardinage numérique. À l’aide de logiciels 3D, de l’animation et de la conception de jeux, j’ai développé des méthodes d’archivage de matériaux réels grâce à une numérisation 3D minutieuse. Il en résulte des coquilles géométriques vides, enveloppées d’images. Représentations hyperréalistes mais fantomatiques des originaux, elles doivent être réanimées dans une nature irréelle ou réactivées dans l’espace réel pour redevenir végétales. Cela donne naissance à des œuvres sculpturales telles que Please don’t water me, I’m articial, dont les impressions 3D automatisées simulent le mouvement d’une matière essentiellement morte, formant un carrousel de plantes inertes. Les œuvres numériques,
incarnées à l’écran, franchissent la frontière entre réalité et virtualité par des illusions visuelles, telles que la répétition d’éléments identiques pour simuler la complexité dans Walking Simulator.
En appliquant le concept de « Walking as a Research Method » au monde numérique, je pratique et propose une forme de « cyber-ânerie » qui utilise le rythme de la marche comme méthode de contemplation. J’invite à porter une réflexion, depuis l’intérieur du média numérique, à sa production de contenu, de la sauvegarde de la réalité aux conséquences écologiques de la technologisation.
Dans mes œuvres sculpturales et numériques, je combine les thèmes du mouvement continu, de la circulation répétitive et des boucles sans n avec une esthétique plaisante, an de captiver le spectateur, à l’instar des modes modernes de présentation des produits. Je vise à susciter la complicité du plaisir et du dégoût, où le plaisir esthétique se manifeste même si ce avec quoi nous interagissons n’est ni réel ni vivant, pour finalement rééchir à notre relation à la nature à travers la technologie, et inversement.»
Prix de l’écho des cîmes
Le prix « L’Écho des cimes » a pour objectif d’accompagner les alumni, jeunes artistes récemment sortis de la Villa Arson, dans leur insertion professionnelle. Le Pays de Grasse est engagé auprès des jeunes artistes en leur donnant l’opportunité de rencontrer les habitant.es des communes du territoire.
Composé de 23 communes, le territoire du Pays de Grasse est défini en 4 secteurs passant du sud, d’un secteur urbain dense au nord avec un Haut-Pays grassois plus rural. Cette diversité géographique est une richesse permettant au Pays de Grasse de devenir source d’inspiration à la création.
Ainsi, l’objectif du prix « L’Écho des cimes » est de soutenir les alumni de la Villa Arson et de les accompagner en tant que jeunes acteurs et jeunes actrices de l’art contemporain sur l’ensemble d’un territoire en y intégrant 2 lieux emblématiques:
1/ Le massif d’art contemporain – L’Audibergue
Le massif de l’Audibergue est une station de ski de moyenne montagne gérée par le Syndicat Mixte des stations de Gréolière-L’audibergue (SMGA). Conscient de l’impact climatique sur le devenir des stations, le SMGA travaille à une nouvelle dynamique de vie locale et touristique. Ainsi, un parcours d’art contemporain est actuellement en train de se créer sur le massif de l’Audibergue.
De ce fait, en préguration de ce nouveau lieu de création, le lauréat crée une œuvre telle un vecteur de compréhension et/ou de lecture du paysage.
2/ L’Espace de l’Art Concret – Centre d’art contemporain d’intérêt national, Mouans-Sartoux
Créé en 1990 et doté d’une collection d’art abstrait, la Donation Albers-Honegger, l’eac. est un centre d’art incontournable des Alpes-Maritimes. Le lauréat se voit offrir l’opportunité de présenter ses travaux lors d’une restitution de résidence au sein du centre d’art. Cette restitution de résidence permet de présenter l’univers de l’artiste.
La Donation Albers-Honegger

La Donation Albers-Honegger est une collection unique en France, classée Trésor National. Elle offre au public un ensemble de plus de 800 œuvres représentatif des multiples tendances de l’abstraction géométrique. Cette richesse favorise un dialogue permanent entre des œuvres venues d’horizons différents, entre des propositions théoriques et des contextes sociologiques et politiques spéciques.
La Donation Albers-Honegger rassemble les œuvres données à l’État français par Gottfried Honegger et Sybil Albers, auxquelles se sont ajoutées les donations d’Aurelie Nemours, de Gilbert Brownstone et les dons de plusieurs autres artistes. L’ensemble est inscrit sur l’inventaire du Centre national des arts plastiques et déposé à l’Espace de l’Art Concret.
Si le cœur de la collection s’est construit autour des grands noms de l’art concret suisse (Max Bill, Richard Paul Lohse, Camille Graeser, Gottfried Honegger) et français
(Bernard Aubertin, Jean-François Dubreuil, François Morellet, Aurelie Nemours), les collectionneurs ont su resituer cet ensemble dans la longue histoire de l’art abstrait européen depuis 1900.
Ainsi l’art concret se trouve en germe dès les premières années du XXe siècle comme l’illustrent les œuvres de Augusto Giacometti, Georges Vantongerloo ou encore celles de Sonia Delaunay et František Kupka.
Fidèles à l’esprit d’universalisme de l’art concret, les collectionneurs n’ont pas circonscrit leur collection à une déclinaison d’œuvres purement géométriques. Ils en ont ouvert la portée par une réflexion sur les prolongements les plus marquants, parfois surprenants, que le XXe siècle a produits, faisant de leur collection une œuvre à part entière.
S’il semble aujourd’hui évident que les principaux acteurs du minimalisme et de l’art conceptuel soient représentés dans le fonds permanent (avec Joseph Beuys, Daniel Buren, Alan Charlton, Richard Long, Helmut Federle, Imi Knoebel, Olivier Mosset, Bernar Venet, Franz Erhald Walther pour l’Europe, ou encore Carl Andre, Robert Barry, Dan Flavin, Donald Judd, Joseph Kosuth, Richard Serra pour les États-Unis), la présence d’artistes liés à l’arte povera (Manzoni), au mouvement support-surface
(Claude Viallat) ou encore au Nouveau Réalisme (Tinguely) apparaît moins évidente. Elle témoigne pourtant de l’esprit visionnaire des deux collectionneurs qui ont choisi
d’explorer les principes rigoureux de l’art concret à l’aune des pratiques picturales les plus radicales de la deuxième moitié du XXe siècle.
Ce regard libre, presque impertinent, est le fondement même de cette collection, amplifiant sa portée historique par la découverte de territoires inattendus. Cette collection est aussi le fruit d’une histoire, celle de Gottfried Honegger, artiste suisse parti lui-même à la conquête du langage géométrique au début des années 1950 et de Sybil Albers, sa compagne. Zurich, Paris, New-York sont les premières étapes de ce long parcours. Les rencontres, les amitiés se dévoilent subtilement à la lecture de la collection.
La boîte de Soup Campbell dédicacée par Andy Warhol, les œuvres de Sam Francis et Kimber Smith rappellent les liens indéfectibles de Gottfried Honegger avec les États-Unis. Les œuvres de César ou d’Yves Klein témoignent, elles, des relations privilégiées avec la France.
Sybil Albers et Gottfried Honegger sont restés sensibles à la création contemporaine ouvrant leur collection aux jeunes générations et à des pratiques moins traditionnelles. Les œuvres de Raphaël Julliard, Dominique Dehais font écho à l’aspect sériel de l’art concret comme à l’implication sociale de l’artiste.
Les peintures-peaux de Cédric Teisseire comme les tableaux chewing-gum de Dominique Figarella poursuivent la réflexion sur le principe de matérialité de l’œuvre et la remise en cause du geste pictural lui-même. Quant aux œuvres de Laurent Saksik, elles ouvrent la collection à des formats moins intimes, interrogeant l’art dans sa fonction d’installation, hors du cadre domestique.
Enfin, Sybil Albers et Gottfried Honegger ont réuni un ensemble exceptionnel de design, et notamment de sièges (fauteuil Paimo de Alvar Aalto, fauteuil Wassily de Marcel Breuer, chaise Wiggle side de Frank O.Gehry, chaise Panton de Verner Panton…) témoignage éclatant de la conception démocratique de l’art voulue par les initiateurs de ce mouvement et de ses implications collectives et sociales.
www.cnap.fr
Commissariat d’exposition : Fabienne Grasser-Fulchéri , directrice de l’eac.
==> Vernissage samedi 20 septembre à 11h
Exposition « Highway Hypnosis« , une exposition d’Annika Boll, du 20 septembre au 19 octobre 2025 – Espace de l’Art Concret – Centre d’art contemporain d’intérêt national, Mouans-Sartoux (06370)
Photo d’en-tête : Annika Katja BOLL « Pine Essentials« , 2025 Prix Echo des cimes 2025 © courtesy de l’artiste







