Le combat contre la biopiraterie — qui vole les ressources génétiques et pille les savoirs traditionnels — pourrait bientôt s’appuyer sur un traité international, si les négociations de plus de 20 ans aboutissent enfin. Le projet de traité discuté à l’ONU stipule que les déposants de demandes de brevet seront tenus de divulguer le pays d’origine des ressources génétiques de l’invention et le peuple autochtone ayant fourni les savoirs traditionnels associés.
Les savoirs traditionnels des Peuples autochtones sur leurs environnements – plantes, pratiques de soin – ont grandement contribué à l’avancement de la science, en particulier en biologie et en médecine. Le développement de nouveaux médicaments constitue un domaine dans lequel ces connaissances sont largement mobilisées, jouant un rôle crucial pour l’identification de plantes et de préparations d’intérêt thérapeutiques. De la découverte de la quinine pour traiter le paludisme jusqu’aux récentes découvertes pour lutter contre le cancer, la contribution des savoirs traditionnels n’est plus à démontrer.
Toutefois, les scientifiques, les instituts de recherche et les laboratoires ont souvent tendance à minimiser la contribution des savoirs autochtones. Ils sont considérés comme de simples indices et non comme une partie intégrante du développement scientifique de nouveaux produits. Certains chercheurs considèrent qu’ils peuvent en disposer à leur guise sans devoir quoi que ce soit aux personnes qui sont à l’origine de ces savoirs. En témoignent les nombreux brevets demandés par des entreprises européennes sur des plantes connues grâce aux savoirs traditionnels, comme le Sacha Inchi, espèce d’amande amazonienne riche en acides gras, le Pelargonium Sidoides, géranium sud-africain utilisé pour soigner la bronchite, ou encore le Neem (Aazadirachta Indica), arbre d’Asie du Sud-Est utilisé en Inde par ses propriétés insecticides. Ces brevets ont été révoqués par manque de nouveauté alors que les entreprises se voulaient faire reconnaître « inventrices » des propriétés de ces plantes.
Il s’agit de l’essence même de la biopiraterie, c’est-à-dire l’accès et l’utilisation des savoirs traditionnels sans le consentement libre et éclairé de leurs détenteurs, et sans la mise en place d’un partage juste et équitable des bénéfices découlant de l’exploitation des savoirs.
« Permettez-moi d’être franc : les négociations ne seront pas faciles », a averti Daren Tang, directeur général de l’agence de l’ONU pour la propriété intellectuelle (Ompi), dont les plus de 190 Etats membres sont réunis à Genève jusqu’au 24 mai pour tenter de trouver un accord par consensus.
Mais « nous pouvons montrer qu’il n’y a pas de contradiction entre un régime de propriété intellectuelle solide et prévisible – qui encourage l’innovation, attire les investissements et stimule la recherche – et un régime qui répond aux besoins de tous les pays et de toutes les communautés, y compris ceux des peuples autochtones et des communautés locales », a-t-il ajouté.
Le projet de traité stipule que les déposants de demandes de brevet seront tenus de divulguer le pays d’origine des ressources génétiques de l’invention et le peuple autochtone ayant fourni les savoirs traditionnels associés. « Il s’agit de lutter contre la biopiraterie, c’est-à-dire l’utilisation de savoirs traditionnels ou de ressources génétiques sans l’accord de ceux qui les détenaient et sans qu’ils puissent en bénéficier », a expliqué le chef de la délégation française, Christophe Bigot.
Ces ressources — comme les plantes médicinales, les variétés végétales et les espèces animales — sont de plus en plus utilisées dans de nombreuses inventions par la recherche et l’industrie (cosmétiques, semences, médicaments, biotechnologie, compléments alimentaires…). Si elles ne sont pas brevetables en tant que telles, les inventions qui reposent dessus peuvent l’être, donnant lieu parfois à de longues batailles juridiques.
Comme il n’est pas obligatoire pour l’instant de publier l’origine des innovations, de nombreux pays en développement sont inquiets quant au fait que des brevets sont accordés sans que les peuples autochtones en soient informés ou pour des inventions qui n’en sont pas réellement.
Entraves à l’innovation ?
Les opposants au traité craignent que cela n’entrave l’innovation. Pour ses partisans, « cela contribuera à garantir que ces savoirs et ces ressources sont utilisés avec l’autorisation des pays ou des communautés dont ils proviennent, ce qui leur permettra de bénéficier d’une manière ou d’une autre des inventions qui en résulteront », selon Wend Wendland, directeur de la Division des savoirs traditionnels de l’Ompi. « Bien que le nouvel instrument ne crée pas de nouveaux droits, son adoption conclurait plus de deux décennies de négociations sur une question d’une grande importance pour de nombreux pays », a-t-il indiqué.
Des désaccords sur le projet de texte persistent, notamment sur l’établissement de sanctions et les conditions pour révoquer les brevets. « Le texte a été considérablement réduit afin de parvenir à un possible compromis », a affirmé à l’AFP Viviana Munoz Tellez, experte au South Centre, un centre de réflexion intergouvernemental représentant les intérêts de 55 pays en développement. Le projet d’accord a une « valeur symbolique car ce serait la première fois qu’un instrument (juridique) sur la propriété intellectuelle ferait référence aux savoirs traditionnels », explique Mme Munoz Tellez. « Mais il aura aussi un effet direct en apportant plus de transparence », même s’il ne résout pas tous les problèmes, a-t-elle observé.
Dépasser les affrontements Nord/Sud
Plus d’une trentaine de pays disposent d’exigences de divulgation, pour la plupart des pays en développement, dont la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, mais également des pays européens, parmi lesquels la France, l’Allemagne et la Suisse. Mais ces procédures varient et ne sont pas toujours obligatoires. « Il est important de dépasser des affrontements trop stériles » entre le Nord et le Sud, a relevé une source diplomatique.
Plusieurs pays développés « ont des ressources génétiques, comme l’Australie ou la France, et plusieurs pays du Sud ont de très grands laboratoires et entreprises qui utilisent des ressources génétiques, comme l’Inde ou le Brésil », a-t-elle ajouté.
Il y a deux ans, les pays ont, contre toute attente, décidé de convoquer une conférence afin de conclure un accord au plus tard en 2024. Seuls les Etats-Unis et le Japon s’étaient « officiellement désolidarisés de la décision », sans toutefois s’opposer au consensus. « Nous espérons que les résultats de la conférence diplomatique seront clairs, raisonnables et pratiques à appliquer », a indiqué à l’AFP la représentation du Japon à Genève.
Avec AFP