Dans un mois, le Jamboree iGEM 2014 accueillera à Boston 2 500 étudiants et chercheurs issus de 245 universités et venus de 32 pays. Alors que ce concours met en compétition des équipes étudiantes qui viennent présenter leurs fabrications vivantes modifiées, dopées, les rendez-vous des « bidouilleurs de gènes » ou BioGeeks se multiplient…
Certains vantent les mérites des arbres luminescents et lancent des levées de fond pour financer leurs expériences. D’autres se réunissent à Grenoble ce 11 octobre pour décrire les possibles de la biologie de synthèse.
A Bures sur Yvette, ce 9 octobre à 18h, ce sont des artistes qui échangeront avec des étudiants des trois équipes parisiennes impliquées dans le concours iGEM. C’est le Proto204, lieu expérimental situé sur le campus de l’Université de Paris-Saclay, qui accueille cette rencontre « Le BioArt à la lumière de l’éthique » dans le cadre du festival Curiositas.
L’objet d’étude du BioArt ? L’être humain, l’animal, l’ensemble du monde vivant ! Ce courant récent d’art contemporain travaille sous l’angle de la modification – par la science – des corps par un agent extérieur (gènes, éléments, robotiques…).
Culture de tissus vivants, modifications génétiques, constructions biomécaniques ont été exploitées par des artistes qui s’approprient des techniques et des thèmes de réflexions très controversés aujourd’hui. Ces expérimentations mettent à nu les peurs traditionnellement inspirées par la technologie.
Ce même lieu accueillera en décembre une séance catalyse d’interaction entre artistes, designers, vidéastes, écrivains et chercheurs dans le cadre du programme européen Synenergene. Cette mobilisation pour faire connaître la biologie de synthèse (un des volets de la convergence Nano-bio-info-cognisciences) et la mettre en débat est portée par l’Université Paris-1 Sorbonne.
Le projet fait partie des plans de mobilisation et d’apprentissage mutuel (MMLAP) pour la recherche et l’innovation responsable (RRI) soutenu par l’Union européenne dans le cadre du 7eme programme-cadre. Il est organisé en quatre plateformes thématiques : « Futurs de la biologie de synthèse » ; « Participation du public » ; « Art, culture et société » ; « Recherche et politique ».
Au plan institutionnel, la biologie de synthèse et des systèmes fait l’objet aussi d’ initiatives structurantes. Le contexte est favorable… Le président François Hollande a annoncé un financement à hauteur de 100 millions d’euros sur cinq ans de ce domaine. De son côté, le CNRS est en train de monter un groupement d’une centaine d’équipes de recherche appelé GDR BioSynSys.
Au plan international les congrès témoignent de l’implication forte du monde industriel qui voit dans les bio-ressources des opportunités pour substituer des matières premières qui s’épuisent ou proposer des co-produits dans le cadre de l’économie circulaire. Ce 20-21 octobre se tiendra à Londres le Synthetic Biology Congress qui abordera à la fois les innovations dans le champ médical, agronomique et les questions économiques et éthiques qu’elles engendrent.
De leur côté, les ONG et chercheurs académiques soulignent depuis dune dizaine d’années les risques que comportent ces démarches de manipulations du vivant. Un rapport récent du MIT et du Wilson Center et financé par la US Science Foundation pointe les questions non résolues sur le plan des risques environnementaux. L’Observatoire Corporate Europe a aussi souligné récemment que « la biologie de synthèse, ça n’est pas naturel » mettant en garde le public vis-à-vis des appellations « produits naturels » que les industriels utilisent dès lors qu’ils recourent à des organismes vivants même remaniés.
Une coalition d’ONGs menée par le groupe canadien ETC alerte actuellement sur l’intégration de substances issues d’algues génétiquement modifiées dans l’alimentation et la cosmétique, proposée par les firmes Ecover et Method.
On le voit, la fabrique de vivants synthétiques produit déjà de vives controverses, dans la continuité des débats sur les OGM. L’ouverture des processus d’innovation aux parties prenantes, pour discriminer les situations et permettre des choix judicieux et validés largement, sera donc stratégique. Une manière de prévoir la robustesse de ces projets et de les insérer culturellement dans la société.
– Livre « Bioart, transformations du vivant » sous la direction d’Ernestine Daubner et Louis Poissant