En juillet dernier, s’est tenue une conférence à San Francisco sur l’agriculture cellulaire. L’agriculture cellulaire, selon l’organisateur de la conférence, New Harvest, consiste à produire des denrées animales en laboratoire, de manière artificielle, sans avoir recours à l’élevage, mais en faisant appel à des techniques de biologie synthétique et de génie tissulaire. Cette conférence a été l’occasion de faire le point sur les innovations dans ce domaine.
Le 13 juillet 2016 s’est tenue à San Francisco une conférence sur l’agriculture cellulaire organisée par New Harvest. New Harvest est une organisation à but non lucratif qui plaide pour davantage de recherche dans le domaine de l’agriculture cellulaire et participe à son financement. Selon New Harvest, l’agriculture cellulaire, terme encore peu utilisé au sein de la communauté scientifique, regroupe les méthodes de synthèse in vitro de produits animaux (viande, cuir, lait, œufs, etc.). Celles-ci permettraient de reproduire à l’identique, sur les plans cellulaire et moléculaire, les produits phares de l’alimentation, sans pour autant avoir recours à l’élevage. New Harvest distingue deux catégories de méthodes : la production cellulaire et la production acellulaire.
La production cellulaire permet de reconstituer des tissus animaux en mettant en culture dans un milieu adapté des cellules directement prélevées sur l’animal, selon les méthodes déjà couramment utilisées en médecine régénérative notamment. C’est la méthode qui a été employée en 2013 par le Pr. Mark Post de l’Université de Maastricht pour fabriquer du steak haché in vitro. Pour ce faire, des cellules souches adultes (myoblastes) ont été prélevées dans le muscle d’une vache, puis multipliées dans un milieu de culture contenant du sérum de veau fœtal. Ce milieu riche en facteurs de croissance et de survie pour les cellules, permet la différenciation des cellules souches en cellules musculaires, qui se développent en formants de petites bandes de fibres musculaires. Environ 20 000 bandes ont été utilisées pour réaliser le hamburger de 5 onces (environ 142 g). Ce procédé peut varier, tant en termes de types de cellules prélevées que de conditions de culture. Memphis Meats ou encore Modern Meadow, deux startups américaines, utilisent les mêmes mécanismes initiaux pour produire, réciproquement des boulettes de viande et du cuir. Une telle méthode ne permet pas de reconstituer l’ensemble des éléments qui constituent un morceau de viande (cellules adipeuses, vaisseaux, etc.), mais elle permet d’obtenir un amas de tissu cellulaire, de type musculaire, rendant ainsi plus facile l’obtention de viande hachée plutôt que d’une pièce spécifique de viande.
Les méthodes de production dites acellulaires font, elles, appel aux techniques de biologie synthétique. Le plus souvent, des microorganismes, tels que des bactéries ou des levures, sont mis à contribution pour synthétiser directement les molécules/protéines recherchées. Pour ce faire, le gène codant pour une protéine donnée est identifié et cloné dans un microorganisme qui sera ensuite en mesure de la produire.
Ces techniques sont également très utilisées dans d’autres domaines, notamment le domaine médical. Plusieurs startups déploient ces techniques aux Etats-Unis dans le domaine de l’alimentation. Une startup basée à San Francisco, Muufri, a, par exemple, mis au point un procédé utilisant ces techniques pour produire du lait in vitro. Les séquences d’ADN codant pour les protéines caséines du lait de vache, ont été clonées dans des cellules de levures qui vont produire les caséines à l’identique de celles trouvées dans le lait de vache. Après quelques jours de culture, les protéines de lait sont récupérées et mélangées à de la matière grasse, obtenues parallèlement, à partir de légumes, et modifiée au niveau moléculaires pour obtenir la structure et le goût de la matière grasse du lait. Un mélange de sucres et de minéraux est ensuite ajouté pour obtenir un lait in vitro très proche du lait de vache. Sur le même modèle, Clara Foods, autre startup basée à San Francisco, conçoit des blancs d’œuf à l’aide de levures génétiquement modifiées.
Les produits synthétisés de cette manière ont vocation à se substituer aux produits animaux issus des élevages. Du fait des inconvénients environnementaux, en termes de bien-être animal ou encore de sécurité sanitaire que peuvent engendrer certaines techniques d’élevage et de la consommation mondiale de viande qui devrait augmenter au cours des prochaines années, de nombreux chercheurs et entrepreneurs essayent de mettre au point des substituts aux produits animaux de grande consommation. Alors que certaines entreprises proposent des substituts à partir notamment de végétaux (laits végétaux, steaks produits à partir de plantes, etc.), l’agriculture cellulaire se distingue dans le sens où elle n’essaie pas de reconstituer les produits animaux à partir de produits végétaux mais au contraire d’imiter les processus de fabrication mis en œuvre par les organismes animaux.
Sur le plan environnemental, une première étude de l’Université d’Oxford en 2011 avait estimé que la production de viande in vitro permettrait d’économiser les principales ressources dévolues à l’élevage, telles que les céréales, les terres, l’eau, l’énergie, et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 78 à 96%.
Une autre étude, issue cette fois de chercheurs américains et publiée en 2015 dans le même journal, nuance ces résultats et affirme que substituer la viande “conventionnelle” à de la viande produite in vitro pourrait avoir des effets combinés néfastes sur l’environnement, notamment en termes d’énergie consommée. En effet, de l’énergie devra être consommée en laboratoire pour assurer des fonctions normalement assurées par l’organisme de l’animal (circulation/mise à disposition des nutriments, protection contre d’éventuelles contaminations, etc.). Néanmoins, aucune “usine” de fabrication de viande in vitro n’existant à ce jour, les deux études ne manquent pas de rappeler que leurs résultats reposent sur de nombreuses hypothèses, notamment sur les procédés et intrants utilisés, pouvant venir fausser les conclusions.
Ce mode de production permettrait également de diminuer l’exposition de la viande aux bactéries et aux maladies, le milieu de croissance étant parfaitement contrôlé et stérile. En outre, certains chercheurs travaillant sur ce mode de production de viande assure ne pas utiliser ni d’antibiotiques, ni d’hormones de croissance, dont certains jugent qu’ils peuvent avoir des effets néfastes.
Enfin, cela permettrait également de modifier la composition de la viande ainsi produite et d’en limiter ou éliminer les composants indésirables (composants responsables d’un potentiel risque de cancer, graisses saturées, etc.). De ce fait, la viande ainsi produite pourrait présenter une qualité sanitaire plus grande.
Aux Etats-Unis, l’écosystème des startups se montre particulièrement dynamique pour mener la recherche sur ces questions. Elle s’intéresse à une large variété de produits animaux, comme le cuir (Modern Meadow), la viande (Memphis Meat), le lait (Muufri), les oeufs (Clara foods), la gélatine (Gelzen), etc.
New Harvest, organisation créée en 2004, est également rapidement devenue un acteur majeur de l’agriculture cellulaire aux Etats-Unis. L’organisation, par le biais de dons individuels, parvient à financer un certain nombre de projets dans ce domaine. Mais c’est surtout son rôle pour faire de l’agriculture cellulaire un domaine scientifique à part entière qui est à noter. Depuis sa création, New Harvest plaide en faveur des potentialités de ce domaine et travaille activement à l’obtention de davantage de financements tant publics que privés. Cela passe par l’organisation d’événements, comme la conférence de San Francisco, et une communication importante, ayant pour objectif de donner plus de visibilité à ce domaine.
Preuve du dynamisme et de l’intérêt croissant pour l’agriculture cellulaire, de plus en plus d’investisseurs prennent part à son financement et ont permis à plusieurs startups de réaliser des levées de fonds importantes. On citera, par exemple, Modern Meadow qui a levé plus de 13 millions de dollars en 2015, notamment auprès de Peter Thiel, cofondateur de Paypal, et du Département américain de l’agriculture (USDA), et vient de lever à nouveau 40 millions de dollars.
Il est encore difficile de dire dans combien de temps ce type de produits sera disponible à la consommation. Outre les avancées de la recherche, cela dépend également d’autres facteurs essentiels comme le coût, le cadre réglementaire qui sera mis en place pour ces produits et leur acceptation par l’opinion publique.
En effet, à ce jour, ces produits ne sont pas compétitifs et nécessitent plusieurs dizaines de milliers de dollars pour être produits, notamment dans le cas des produits obtenus via des cultures cellulaires. Des efforts importants devront être réalisés tant sur les matières premières utilisées que sur le processus en lui-même pour que ces produits puissent atteindre une rentabilité commerciale.
En outre, ces produits devront s’insérer dans un cadre réglementaire mis en place par la FDA et/ou l’USDA. Si des “cultured products” font déjà l’objet de régulation, ce n’est pas le cas des aliments entiers qui pourraient être produits de cette façon. Ces nouvelles techniques de production sont telles que les produits qui en découlent sortent du cadre réglementaire actuellement mis en place tant par l’USDA que la FDA. L’actuelle révision de la législation en matière de biotechnologies pourrait être l’occasion de prendre en compte ces produits.
Enfin, au regard des débats actuels sur l’agriculture et l’alimentation (OGM, agriculture locale, etc.), les entrepreneurs devront convaincre les consommateurs des avantages de leurs produits. Un sondage réalisé en 2014 par Pew Survey sur les technologies du futur montre que 78% des Américains ne mangerait pas de viande produite dans un laboratoire.
Chloé Bordet, Attachée adjointe pour la Science et la Technologie, Chicago
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments