Drogues en France : répression ou réduction des risques ? - UP' Magazine

Regardez le monde
avec les yeux ouverts

Inscrit ou abonné ?
CONNEXION

UP', média libre
grâce à ses lecteurs
Je rejoins

rejoignez gratuitement le cercle des lecteurs de UP’

Drogues en France : répression ou réduction des risques ?

Commencez

Face à l’explosion du narcotrafic et de la consommation de drogues sur le territoire français, les pouvoirs publics actuels semblent ne vouloir privilégier que la répression, alors que celle-ci ne peut être efficace sans une action de prévention et d’accompagnement. À ce titre, il faut tirer les leçons des expérimentations menées dans le cadre des espaces de consommation supervisée (ECS) s’inscrivant dans une politique de réduction des risques qui mérite aujourd’hui d’être fortement assumée et soutenue, comme elle a pu l’être par le passé. Face à cette situation, comme le souligne Gustav Fiere, expert associé à la Fondation Jean Jaurès, dans son dernier rapport, une politique efficace ne saurait se limiter à cette seule approche. Il démontre qu’une intransigeance à l’égard du narcotrafic peut et doit cohabiter avec des mesures de réduction des risques. 

La France est aujourd’hui confrontée à une augmentation significative du narcotrafic et de la consommation de drogues. Selon le rapport « Drogues et addictions, chiffres clés 2025 » de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), publié le 15 janvier 2025, dresse un panorama préoccupant. Le cannabis demeure la substance illicite la plus consommée dans le pays, avec 21 millions de personnes âgées de 11 à 75 ans l’ayant déjà expérimenté. Parmi elles, 1,4 million sont des usagers réguliers (au moins 10 consommations par mois) et 900 000 en font un usage quotidien.

Parallèlement, la consommation de cocaïne a presque doublé depuis 2022, touchant désormais 1,1 million de Français âgés de 11 à 75 ans en 2023.  Avec ces données, la France se hisse désormais au 7ᵉ rang des pays de l’OCDE en termes de consommation de cocaïne. Cette hausse s’accompagne d’une diversification des modes d’acheminement des stupéfiants sur le territoire, incluant désormais des voies aériennes, maritimes et le fret postal.

Face à cette situation préoccupante, les pouvoirs publics ont principalement mis l’accent sur la répression. Cependant, cette approche, bien que nécessaire, ne saurait être pleinement efficace sans être complétée par des actions de prévention et d’accompagnement. Les espaces de consommation supervisée (ECS) s’inscrivent dans cette démarche de réduction des risques, offrant aux usagers un environnement sécurisé et encadré par des professionnels de santé.

Ces espaces de consommation supervisée

Depuis 2016, la France a mis en place deux espaces de consommation supervisée (ECS) pour permettre aux usagers de drogues désaffiliés de consommer dans un cadre sécurisé et d’accéder à un accompagnement médico-social. Des dispositifs dans lesquels il est possible pour des usagers de drogue de venir consommer des produits dans des conditions sanitaires propres sous la supervision de professionnels. Malgré leur efficacité prouvée, ces structures restent mal comprises et sont encore souvent désignées comme de simples « salles de shoot », alimentant des idées reçues. Pourtant, des pays comme la Suisse, qui compte quatre centres à Zurich, ont montré que ces dispositifs réduisent significativement la consommation de rue.

Ouverture de la première « salle de consommation », à Paris le 17 octobre 2016, sur le site de l’hôpital Lariboisière près de la Gare du Nord ( Paris Xème)

Les évaluations menées par l’INSERM, le Parlement et l’IGA/IGAS confirment les bénéfices des ECS : amélioration de la santé des usagers, réduction des nuisances publiques et gains économiques. Le soutien de l’opinion publique est également fort, avec 76 % des Français favorables à leur extension et 66 % prêts à en accueillir un dans leur quartier. De plus, la réduction des risques (RdR) bénéficie d’une large approbation, 75 % des Français estimant qu’il faut informer les consommateurs sur la manière la moins dangereuse d’utiliser ces substances.

Pourquoi ne pas profiter d’une lecture illimitée de UP’ ? Abonnez-vous à partir de 1.90 € par semaine.

Historiquement, la France a adopté des mesures de RdR efficaces, comme la mise en vente libre de seringues en 1987 et l’élargissement des programmes de substitution aux opioïdes en 1993. Pourtant, ces politiques sont peu mises en avant par les autorités, alors que la France reste l’un des pays européens les plus consommateurs de drogues : 18 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis et 850 000 en consomment quotidiennement.

Malgré des évaluations scientifiques et administratives positives, ces structures peinent à se généraliser, souvent entravées par des perceptions négatives et un soutien institutionnel insuffisant. Ce paradoxe reflète une législation française très répressive en matière de drogues, coexistante avec une politique de réduction des risques bien implantée mais insuffisamment valorisée. La criminalisation des usagers et la tolérance zéro prônée par le ministère de l’Intérieur occultent la nécessité d’un accompagnement. 
Il est donc crucial que les pouvoirs publics intègrent des mesures de prévention et d’accompagnement aux actions répressives. Le modèle suisse des « quatre piliers » illustre cette cohabitation entre intransigeance envers le narcotrafic et mesures de réduction des risques. Reconnaître l’utilité des ECS et assurer leur pérennisation serait le signe d’une politique à l’écoute des données scientifiques et des réalités du terrain. Fermer les ECS signifierait un retour à la consommation de rue et une rupture avec les usagers. Comme le souligne un récent rapport sénatorial, il est urgent de renforcer la politique préventive en matière de drogues. Accepter l’existence des ECS, c’est reconnaître qu’un monde sans drogues n’existe pas et qu’ignorer la consommation ne fait que renforcer les trafics et les risques sanitaires.

L’arrivée tardive des ECS en France

La France ouvre son premier ECS en 2016, soit trente ans après le premier à Berne. On compte alors environ une centaine d’espaces dans le monde – majoritairement chez nos voisins néerlandais,
suisses et allemands (1). Si la première expérimentation d’ECS remonte en 1994 avec l’établissement d’un lieu alternatif monté par le collectif local d’ASUD (Association d’auto-support pour usagers de drogues) à Montpellier, le sujet parvient véritablement à être mis sur la table en 2009 quand un autre espace « fictif » est monté à Paris afin d’alerter les pouvoirs publics (2). La ministre d’alors, Roselyne Bachelot, demande à l’INSERM un rapport qui appuie l’expérimentation de l’injection supervisée (3).
La ministre soutient le projet, mais François Fillon, alors Premier ministre, arbitre en sa défaveur, signe d’une apparition de clivage autour du projet (4). En 2012, avec l’alternance politique, l’expérimentation de l’injection supervisée est soutenue par les pouvoirs politiques nationaux, et la ville de Paris se porte candidate. En octobre 2013, alors que le projet parisien est sur le point d’être mis en œuvre par voie réglementaire, le Conseil d’État souligne la nécessité d’une intervention législative pour autoriser cette expérimentation en raison de l’interdiction pénale de
la consommation de drogues prévue par la loi de 1970 (5). L’ouverture des deux premiers espaces en France ne se fera que trois ans plus tard dans le cadre de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (6). « Cette loi a son importance, notamment pour son article 41 qui renforce la légalité de la politique de RdR en général et permet de protéger ses acteurs s’exposant à de potentielles poursuites pour incitation à la consommation (7). »

L’article 43 dispose qu’à titre expérimental, pour une durée de six ans, des CAARUD puissent ouvrir des centres nommés alors salles de consommation à moindres risques (SCMR) dans des locaux distincts avec accord préalable de l’État, en concertation avec le maire de la commune et le maire d’arrondissement et après avis du directeur général de l’ARS (8). « Ce statut a pour mérite d’établir un processus pouvant s’adapter au fur et à mesure. Les budgets des projets ont pu être augmentés tout comme la fréquence des maraudes autour de la structure ou encore les horaires d’ouverture mieux adaptés à la demande des riverains. Il établit aussi une vraie concertation aussi bien entre les ministères que localement dans les comités de pilotage nationaux réunissant les commissariats, ARS et élus locaux (9). »

Deux centres ouvrent à Paris et à Strasbourg. À Paris, les associations souhaitent organiser un maillage du territoire et ainsi pouvoir garantir plus de tranquillité aux usagers et au quartier, mais l’expérimentation se limite à un seul espace (10).

Pérenniser les espaces de consommations publiques

Dans son nouveau rapport « De la guerre contre les drogues à une politique de réduction des risques », Gustav Fiere, expert associé à la Fondation Jean Jaurès, démontre qu’une intransigeance à l’égard du narcotrafic peut et doit cohabiter avec des mesures de réduction des risques. Reconnaître l’utilité des espaces de consommation supervisée et les pérenniser serait le signe qu’une telle politique à l’écoute de la science et du terrain se met en place.

En 2025, la France est amenée à décider de la pérennisation des espaces de consommation supervisée. Loin d’être de simples « salles de shoot », les ECS s’intègrent pleinement dans la politique historique française de réduction des risques (RdR). Elles proposent une véritable ré-inclusion dans le soin médico-social à des usagers fortement désaffiliés et souvent sans domicile fixe, tout en améliorant la tranquillité publique d’un quartier en réduisant la consommation de rue et constituant un point de contact pour les riverains.

Les ECS ont toutefois subi de plein fouet une forme d’essentialisation. Malgré les évaluations scientifiques et administratives positives des centres, les pouvoirs publics n’ont pas véritablement soutenu leur diffusion ou leur pérennisation jusqu’à parfois empêcher l’ouverture de nouveaux espaces. Ce manque de clarté à l’échelle nationale met en exergue le paradoxe dans lequel se trouve la France qui compte une des législations les plus répressives sur les drogues et, en parallèle, une politique de RdR bien implantée et acceptée par les Français, mais demeurant méconnue et jamais mise en avant contrairement au bras répressif de l’État. Ce manque de reconnaissance se matérialise sur le terrain où des contestations très vives de certains riverains à l’égard de structures de RdR adviennent encore aujourd’hui.

 

Face à l’explosion du narcotrafic et de la consommation de drogues sur son territoire, la France enclenche une nouvelle étape de réflexion quant à sa gestion des drogues et soulève notamment l’absence de véritable soutien à une politique préventive quant à l’usage. Cette volonté politique doit impérativement se reposer sur la cinquantaine d’années d’expérience de la RdR, une politique qui a su trouver sa place au sein de la politique répressive française, mais qui mérite aujourd’hui d’être fortement assumée et soutenue comme elle l’a été par les figures politiques historiques que furent Michèle Barzach et Simone Veil.
Les pouvoirs publics français gagneraient à ne jamais penser leur action répressive sans une action de prévention et d’accompagnement. Le modèle des quatre piliers en Suisse forme un exemple d’une telle mise en place, preuve qu’une intransigeance à l’égard du narcotrafic peut et doit cohabiter avec des mesures de RdR. Reconnaître l’utilité des ECS et les pérenniser serait le signe qu’une telle politique à l’écoute de la science et du terrain se met en place.

Pour lutter contre la désinformation et privilégier les analyses qui décryptent l’actualité, rejoignez le cercle des lecteurs abonnés de UP’

Lire le rapport complet

(1) Marie Jauffret-Roustide et al., « Recherche sociologique sur l’impact de la SCMR sur la tranquillité publique et son acceptabilité sociale », Salles de consommation à moindre risque, Institut de santé publique de l’INSERM, 2021
(2) Ibid.
(3) Pierre-Yves Bello et al., « Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues. Expertise collective », INSERM, 2010
(4) « Le long périple du projet de salle d’injection à Paris avant son ouverture », Le Monde, 11 octobre 2016.
(5) Avis du Conseil d’État n° 387918 du 8 octobre 2013
(6) Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
(7) Entretien avec Ruth Gozlan
(8) Article 43 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (PLFSS 2022)
(9) Entretien avec Ruth Gozlan
(10) Entretien avec Élisabeth Avril

Pour aller plus loin : 

S’abonner
Notifier de


0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Article précédent

Additifs alimentaires : vers une nutrition personnalisée grâce au microbiote intestinal

Prochain article

Des microplastiques dans le cerveau : une contamination invisible et inquiétante

Derniers articles de Santé -Médecine