Dans le cadre des séminaires organisés par le LIMICS (Laboratoire Informatique Médicale et Ingénierie des Connaissances en e-Santé – Inserm U1142), une conférence s’est tenue le 29 septembre dernier portant sur le thème Intelligence artificielle et Santé.
En santé, l’intelligence artificielle (IA) a longtemps été cantonnée dans des projets d’aide au diagnostic, avec plus ou moins de succès. Aujourd’hui, l’avènement de la réalité augmentée, de l’internet des objets et du Quantified Self avec ses multiples capteurs et ses flux de données tend à étendre les champs d’application de l’IA dans ce domaine.
Ainsi, Chris Drancy, l’homme le plus connecté au monde, dit avoir en permanence entre 300 et 700 systèmes de mesures de données qui lui permettent de mieux comprendre son corps et sa manière de vivre. Atteint de surpoids, il aurait pu perdre près de 45 kilos grâce à cette nouvelle forme de connaissance de soi. Des ontologies pour assurer l’interopérabilité des systèmes d’informations hospitaliers aux prothèses intelligentes, en passant par les serious games utilisant la réalité augmentée, l’IA investit progressivement tous les champs du domaine médical.
Nombre de dispositifs dits « intelligents » apparaissent pour remplacer des organes ou des membres déficients. De la cochlée à la rétine en passant par les prothèses orthopédiques, les chercheurs arrivent à reproduire in silico le comportement et les fonctionnalités de ces organes ou de ces membres. A ce stade, il ne s’agit pas véritablement d’intelligence artificielle, mais que dire des prothèses cognitives développées par le Professeur Berger (1) de l’université de Californie du Sud. Encore au stade de la recherche de pointe, elles visent autant un objectif de réparation que d’augmentation qualitative et quantitative de la cognition.
Au-delà même de ce que peut apporter l’IA dans le domaine de la santé, la frontière entre réparation et augmentation est très mince. Oscar Pistorius, athlète sud-africain, amputé des deux pieds alors qu’il n’avait que 11 mois, réalise des temps assez similaires à ceux des athlètes valides dans les courses de sprint grâce à deux lames en carbone en guise de tibias. Aimee Mullins, athlète handisport, actrice et mannequin américaine, amputée des jambes à l’âge de un an, fait de ses prothèses une normalité et joue véritablement de son esthétique augmentée.
Dans un récent éditorial du journal The Independant, le physicien Stephen Hawking écrit au sujet de l’IA que «Les avantages potentiels sont énormes ; tout ce que la civilisation a à offrir est un produit de l’intelligence humaine ; nous ne pouvons pas prédire ce que nous pourrions réaliser lorsque cette intelligence sera amplifiée par les outils que l’IA peut fournir, mais l’éradication de la guerre, de la maladie et de la pauvreté seraient la priorité de tous. Réussir à créer l’IA serait le plus grand événement dans l’histoire humaine. Malheureusement, il pourrait aussi être le dernier, à moins que nous n’apprenions à éviter les risques. »
Dans notre cas, si dans un premier temps ces nouveaux dispositifs visent à pallier des fonctions déficientes de l’humain malade, n’est-il pas possible d’y voir également l’occasion de pouvoir augmenter cet humain tant dans ses fonctionnalités que dans sa durée de vie – comme le suggèrent les transhumanistes ? Ne serions-nous pas en train de ré-inventer l’homme comme le souligne Jean-Marie Besnier (2) ? Ne serions-nous pas tout bonnement en train de jouer avec le feu ?
Vidéo d’introduction à la conférence :
(1) Berger, T. W.; Song, D.; Chan, R. H.; Marmarelis, V. Z.; LaCoss, J.; Wills, J.; Hampson, R. E.; Deadwyler, S. A. & Granacki, J. J. A hippocampal cognitive prosthesis: multi-input, multi-output nonlinear modeling and VLSI implementation Neural Systems and Rehabilitation Engineering, IEEE Transactions on, IEEE, 2012, 20, 198-211
(2) Jean-Michel Besnier, « Les nouvelles technologies vont-elles réinventer l’homme ? », Études, 2011/6 Tome 414, p. 763-772.