Le domaine des neurosciences a connu une véritable révolution au cours de ces trente dernières années grâce à l’arrivée de nouveaux outils d’imagerie et d’investigation qui ont permis à la fois d’explorer très finement les structures cérébrales et de révéler dans le détail le fonctionnement électrique et biochimique des différentes aires cérébrales.
Parallèlement, les incroyables progrès des outils de séquençage et de cartographie du génome sont également venus éclairer d’une lumière nouvelle la prodigieuse complexité de notre cerveau et ont amené médecins et scientifiques à reconsidérer les origines et les causes des multiples troubles et pathologies qui peuvent venir altérer le fonctionnement de notre cerveau.
C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, une équipe de recherche en psychiatrie au CEA-Neurospin, avec l’Institut Mondor de Recherches Biomédicales (INSERM) et les hôpitaux universitaires Henri-Mondor AP-HP, a montré qu’un variant génétique du gène SNAP25 perturbe un réseau préfronto-limbique, ce qui augmenterait le risque de développer plusieurs pathologies, parmi lesquelles la schizophrénie, le trouble bipolaire ou encore le trouble de l’attention (Voir Journal of Neuroscience).
Travaillant à la fois sur des tissus cérébraux de personnes décédées et sur l’analyse des gènes de deux groupes de patients (la première comprenant 71 sujets dont 25 patients bipolaires, la seconde comprenant 121 sujets sains), ces scientifiques ont pu montrer que la variation du gène SNAP25 modifiait l’expression d’une protéine associée, impliquée dans le traitement de l’information entre les régions cérébrales à l’origine de la régulation des émotions. Corrélativement à cette approche, l’analyse des données provenant des outils d’imagerie montre que dans ces deux groupes, la mutation à risque correspond, d’une part, à un plus grand volume de l’amygdale et, d’autre part, à une altération de la connectivité de l’aire préfronto-limbique.
Cette étude est très intéressante car elle confirme que cette variation du gène SNAP25 constitue bien un facteur de risque commun à la schizophrénie et au trouble bipolaire. Or ces maladies qui affectent environ 1 % de la population adulte sont handicapantes et difficiles à prendre en charge car elles résultent d’une intrication de causes biologiques, génétiques et environnementales. Cette étude, en montrant qu’un seul et même gène semble fortement impliqué dans l’apparition de maladies du cerveau distinctes ouvre donc de nouvelles voies de recherche fondamentale sur l’ensemble des mécanismes sous-jacents et communs qui est à l’œuvre dans ces pathologies.
En août 2013, une autre étude réalisée par Mark Weiser, chef du service de psychiatrie du Centre médical Sheba en Israël, avait, pour sa part, mis en évidence un lien génétique entre l’autisme et la schizophrénie. Grâce à l’étude de vastes bases de données en Israël et en Suède, l’équipe du docteur Weiser a constaté que les personnes ayant un frère ou une sœur schizophrène ont 12 fois plus de risques de développer des troubles du spectre autistique (TSA) que ceux n’étant pas dans cette situation particulière.
Pour parvenir à ces conclusions éclairantes, les chercheurs ont volontairement utilisé trois bases de données distinctes, l’une en Israël et deux en Suède, afin de déterminer le lien de parenté entre la schizophrénie et l’autisme. La base de données israélienne contenait des informations anonymes sur plus d’un million de soldats. Fait remarquable : ce lien entre risques de schizophrénie et autisme a été retrouvé dans les trois bases de données, ce qui rend les résultats de cette étude très solides.
En septembre dernier, s’appuyant sur une vaste analyse des données des génomes de 4.890 patients atteints de troubles du spectre autistique (TSA), des scientifiques de l’Université de Californie du sud (USC), dirigés par le neurobiologiste Bruce Herring, ont découvert huit nouvelles mutations, concentrées sur une même région du même gène, le gène TRIO, qui augmente sensiblement le risque de troubles du spectre autistique (TSA) (Voir Nature). Cette découverte importante, qui vient d’être publiée dans la prestigieuse revue Nature, confirme le rôle-clé de ce gène TRIO, qui commande la synthèse d’une protéine jouant un rôle-clé dans la stabilité des connexions entre les cellules du cerveau.
Selon ces travaux, les altérations observées dans la production de cette protéine au début du développement du cerveau de l’enfant seraient susceptibles de déclencher une réaction en chaîne qui va finir par perturber les connexions du cerveau, son « plan de câblage » et, par voie de conséquence, sa capacité à traiter et stocker correctement les informations. L’étude souligne par ailleurs que la probabilité que ces mutations se produisent par hasard est infime : environ de 1 sur 1,8 milliard de milliards…
Fait remarquable, les huit mutations découvertes se situent toutes dans « GEF1 / DH1 », une petite région du gène TRIO, qui code une zone spécifique de la protéine Trio, qui elle-même vient activer, en cascade, une autre protéine, Rac1. Or cette dernière joue également un rôle-clé dans l’établissement des réseaux de connexions du cerveau.
Ces travaux ont clairement montré qu’en l’absence de ces mutations, la protéine Rac1 est correctement activée, ce qui entraîne la croissance de filaments d’actine qui permettent les connexions cérébrales. En revanche, la présence de ces mutations bloque l’activation de la protéine Rac1, ce qui perturbe la stabilité des connexions entre les différentes aires du cerveau.
Mais ces chercheurs ont fait une autre observation très intéressante : le gêne TRIO possède un homologue très proche, le gène KALRN. Or ces deux gènes appartiennent à une même voie de signalisation dans les cellules du cerveau. Et il s’avère que certaines mutations de KALRN sont présentes chez des patients souffrant de schizophrénie.
Autre indication, des mutations du gène KALRN perturbent cette voie pendant l’adolescence, ce qui pourrait expliquer pourquoi les symptômes de la schizophrénie apparaissent à ce moment de la vie. Cette découverte semble donc conforter l’hypothèse d’une base génétique commune à l’autisme et la schizophrénie.
Mais s’il apparaît de plus en plus clairement qu’il existe certaines bases génétiques sous-jacentes communes reliant les principales pathologies psychiatriques (Autisme, Schizophrénie et troubles bipolaires notamment), il semble bien qu’il existe également certains mécanismes génétiques communs à l’œuvre dans plusieurs maladies neurodégénératives graves, comme Alzheimer, Parkinson ou encore la sclérose en plaques.
Dès 2002, une étude réalisée par des chercheurs américains de génétique des populations et dirigée par la Professeure Margaret Pericak-Vance, avait montré, en analysant et en comparant les génomes de plus de 500 familles de patients atteints d’Alzheimer ou de Parkinson, qu’il existait une même région précise sur le chromosome 10 qui semblait impliquée dans le risque d’apparition de ces deux pathologies pourtant distinctes.
On sait également que, sur le plan clinique, beaucoup de patients atteints de la maladie d’Alzheimer développent des troubles du mouvement observés dans la maladie de Parkinson ; symétriquement, les malades de Parkinson présentent parfois des signes de démence caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. D’autres travaux ont par ailleurs montré qu’un déficit enzymatique au niveau d’un même groupe de cellules nerveuses ((le noyau basal de Meynert) est impliqué dans les deux pathologies et on retrouve dans le cerveau de certains malades d’Alzheimer des amas protéiques appelés corps de Lewy, caractéristiques de la maladie de Parkinson. Il faut enfin souligner qu’un processus inflammatoire comparable concernant le métabolisme oxydatif est à l’œuvre dans les deux pathologies.
En 2010, une équipe regroupant des chercheurs français du Centre de recherche biochimie macromoléculaire (CNRS/Universités Montpellier 1 et 2), et du National Institute of Health (Etats-Unis) a montré que certaines protéines jouant un rôle-clé dans plusieurs maladies neurodégénératives, telles que Parkinson, Alzheimer et le syndrome d’Huntington, présentent de fortes similitudes.
En 2013, des chercheurs de l’Université américaine de Stanford, dirigés par Alexander Stephan, ont montré, pour leur part, à partir de l’analyse des tissus cérébraux de malades décédés, qu’un excès de concentration de la protéine C1q au niveau des synapses entraînait la destruction des cellules immunitaires du cerveau. Selon ces chercheurs, le développement de molécules ciblant et bloquant la protéine C1q pourrait permettre des avancées thérapeutiques majeures dans de nombreuses maladies neurodégénératives, telles que la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson ou encore la maladie d’Alzheimer.
En septembre 2016, une autre étude très intéressante réalisée par des chercheurs de l’Institut Salk, en Californie, a montré qu’en augmentant les niveaux de la protéine Neuréguline-1 dans le cerveau, il serait possible de réduire les symptômes de la maladie d’Alzheimer et d’améliorer la mémoire. Ces recherches ont permis de montrer que la neuréguline-1 favorise l’apparition des plaques amyloïdes caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.
Plus largement, il semble que cette protéine neuréguline-1 joue un rôle majeur dans le bon déroulement de nombreuses fonctions cérébrales. Des chercheurs de la Georgia Regents University ont par exemple montré que certains patients atteints de schizophrénie présentaient des niveaux élevés de cette protéine. Une mutation du gène neuregulin-1 a par ailleurs été identifiée à la fois chez les familles fréquemment touchées par la schizophrénie et certains formes de maladie d’Alzheimer. Il est donc possible que cette protéine soit fortement impliquée dans plusieurs maladies neurodégénératives.
Ces récentes recherches montrent de manière cohérente et convergente qu’il existe très probablement certains mécanismes biologiques et génétiques communs favorisant l’apparition, en synergie avec d’autres facteurs environnementaux, de nombreuses maladies neurodégénératives mais également de troubles psychiatriques graves.
On comprend mieux l’importance de ces recherches quand on sait que le nombre de personnes souffrant de pathologies psychiatriques en France a été évalué en 2012 à 12 millions, soit presque un Français sur 5 (Voir Elsevier). Quant aux principales maladies neurologiques et neurodégénératives (Alzheimer, Epilepsie, Parkinson et Sclérose en plaques), elles touchent environ 1,7 million de personnes en France).
L’arrivée prochaine d’outils informatiques puissants d’intelligence artificielle et de techniques de séquençage encore plus rapides du génome devrait permettre de confirmer cette hypothèse de bases biologiques et génétiques communes à l’ensemble de ces pathologies du cerveau et devrait également accélérer la mise en œuvre de stratégies de prévention personnalisée et de nouvelles solutions thérapeutiques porteuses d’espoir.
René TRÉGOUËT, Sénateur honoraire – Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Edito publié dans RT Flash 17/11/2017
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