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Transplantation cardiaque du porc à l'homme : prouesse, espoir et prudence

Transplantation cardiaque du porc à l’homme : prouesse, espoir et prudence

Tout est bon dans le cochon

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La première transplantation au monde d’un cœur de porc génétiquement modifié dans un être humain malade est un événement marquant pour la science médicale, ouvre un champ considérable d’espoirs et suscite l’admiration devant la prouesse technique. Mais l’opération, et plus largement l’approche, soulèvent d’importants problèmes de sécurité et d’éthique.

Ce vendredi soir du 7 janvier, des chirurgiens du centre médical de l’université du Maryland ont réalisé une première médicale qui restera dans les annales : ils ont passé huit heures à transplanter le cœur d’un porc à David Bennett, 57 ans, hospitalisé depuis plus d’un mois pour une insuffisance cardiaque terminale. Il s’agissait d’une procédure exceptionnelle, les médecins considérant que leur patient était confronté à une mort quasi certaine et qu’il était trop malade pour bénéficier d’une transplantation cardiaque humaine de routine. En dernier recours, l’équipe médicale a demandé l’autorisation d’urgence à la Food and Drug Administration (FDA) de transplanter un cœur provenant d’un porc génétiquement modifié. « C’est assez hasardeux, mais c’était ma dernière option », aurait résumé le patient à la veille de son opération.

Espoir

Lundi, les médecins de l’hôpital ont déclaré que David Bennett était réveillé et respirait par lui-même, mais qu’il était trop tôt pour considérer l’opération comme un succès. Les médecins attendent de voir comment leur patient se comportera dans les jours, les semaines et, espèrent-ils, les mois prochains. Cette prouesse médicale n’a pas encore donné lieu à une publication scientifique. Mais sur le site de l’université, le chercheur Muhammad M. Mohiuddin, codirecteur du programme, a célébré « l’aboutissement d’années de recherches très compliquées pour perfectionner cette technique chez les animaux, avec des temps de survie qui ont dépassé neuf mois ».

La perspective de prélever des organes sur des animaux pour sauver des vies humaines a une histoire longue et mouvementée. Les partisans de cette approche y voient un moyen de réduire les listes d’attente pour les patients désespérément malades, tandis que les défenseurs des droits des animaux la considèrent comme dangereuse et éthiquement odieuse. Dans les années 1960, des médecins américains ont greffé des reins de chimpanzés à plus d’une douzaine de patients, qui sont tous morts en quelques semaines, sauf un. En 1984, en Californie, le nourrisson « Baby Fae » avait bénéficié d’une transplantation de cœur de primate, avant de mourir le mois suivant. Au fil du temps, la recherche s’est orientée vers les organes de porcs, pour des raisons éthiques et pour limiter les risques de transmission virale. En 2016, une équipe sud-coréenne a notamment transplanté un cœur de porc sur un singe, qui avait survécu une cinquantaine de jours. Deux ans plus tard, le temps de survie d’un babouin avait atteint six mois après une intervention similaire, selon des travaux publiés dans Nature.

Prouesse médicale

Cette grande première est, avant tout, une prouesse d’immunologie. Certes, les porcs sont des donneurs d’organes idéaux en raison de leur taille, de leur croissance rapide et de leurs portées, qui comptent beaucoup de petits. Mais afin d’éviter les rejets, dont le risque est accru entre deux espèces différentes, il a fallu opérer de nombreuses modifications génétiques.

Le cœur provenait d’un porc créé par Revivicor, une entreprise dérivée de PPL Therapeutics, la société britannique qui a créé le mouton Dolly en 1996. Désormais sous contrôle américain, les porcs de Revivicor sont modifiés pour éviter les rejets immunitaires. Parmi les altérations génétiques effectuées, on trouve des modifications qui éliminent des tissus une molécule de sucre qui provoque le rejet des organes. « Trois gènes, responsables du rejet rapide des organes de porc par les anticorps de l’homme, ont été désactivés chez le porc donneur », précise l’université du Maryland. Par ailleurs, « six gènes humains responsables de l’acceptation immunitaire du cœur de porc ont été insérés dans le génome ».

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La FDA a approuvé l’opération, ainsi que la proposition de l’équipe d’utiliser un médicament expérimental pour empêcher le corps de Bennett de rejeter l’organe.

Les médecins ont eu à régler un dernier détail d’importance : pour que la taille du cœur corresponde au thorax humain, il faut généralement prélever l’organe sur un jeune porc, encore en pleine croissance. Mais ce cœur risque de continuer à grandir, présentant le risque de se retrouver à l’étroit et de ne plus fonctionner. Pour surmonter ce problème, les médecins ont eu recours aux ciseaux moléculaires Crispr.  Comme dans un traitement de texte, ils ont coupé un gène responsable de la croissance du tissu cardiaque du porc.

Photo prise lors de la transplantation d’un cœur de porc sur David Bennett, le 7 janvier 2022, à Baltimore (Etats-Unis). (École de médecine de l’université du Maryland)

Au total, c’est une dizaine de modifications génétiques qui ont été apportées pour créer une sorte de nouvelle génération d’animal hautement sophistiqué et parfaitement calibré pour remplir sa fonction. Ce cœur de porc a en outre subi un autre traitement avant sa transplantation : il a séjourné dans une machine et été soumis à un nouveau médicament expérimental de l’entreprise Kiniksa Pharmaceuticals, en plus des médicaments anti-rejet habituels, pour inhiber le système immunitaire et empêcher que le corps humain, très fortement armé pour rejeter tout ce qui est animal, ne refuse l’organe. Sans cette opération, le cœur porcin aurait pu être violemment rejeté dès les premières seconde de la transplantation par l’organisme humain. En soi, cette étape est déjà une prouesse médicale. Pour la suite, les médecins devront surveiller le système immunitaire de leur patient et veiller à bloquer la réponse immunitaire du patient sans la mettre à zéro pour que celui-ci puisse continuer à se défendre contre les virus de son environnement naturel.

Les médecins devront enfin s’assurer qu’aucun pathogène porcin n’a été transmis à David Bennett. Dans les années 1990, les scientifiques ont pratiquement abandonné leurs travaux sur les porcs donneurs lorsqu’ils ont réalisé que les rétrovirus présents dans l’ADN des animaux pouvaient potentiellement infecter les cellules humaines. La perspective de voir les organes transplantés transmettre l’infection aux patients vulnérables qui les recevaient était alors inquiétante.

Des recherches sont en cours pour surmonter ce problème, en portant l’édition du génome à un autre niveau. Après avoir modifié l’ADN de porc pour en retirer les molécules qui déclenchent le rejet immunitaire, les scientifiques ont ainsi effectué des modifications de précision qui éliminent des dizaines de rétrovirus des tissus porcins, dans l’espoir que les organes soient plus sûrs lorsqu’ils seront transplantés.

Prudence

C’est aux essais cliniques qu’il appartiendra de décider de l’efficacité des organes animaux, plutôt qu’à des opérations ponctuelles. De nombreuses sociétés de biotechnologie avancent prudemment, en mettant en place des essais pour vérifier si les organes sont sûrs et efficaces, d’abord sur d’autres animaux, puis sur des humains. Pour les personnes dont les organes sont défaillants, l’espoir réside pour l’instant dans la générosité des donneurs humains. Toutefois les pénuries d’organes représentent aujourd’hui un problème à l’échelle mondiale.

Outre l’aspect extraordinaire de cette prouesse médicale, il convient de rappeler que cette transplantation d’un cœur de porc sur un malade ne peut être généralisée à court terme. Le cas de David Bennett était désespéré et ce type d’interventions « s’adressera d’abord à quelques dizaines de personnes », estime sur franceinfo Gilles Blancho, directeur de l’Institut de transplantation urologie-néphrologie (ITUN) au CHU de Nantes et président de la Société francophone de transplantation . « Il faudra avoir des survies prolongées, de plusieurs années, pour considérer qu’il s’agit d’un succès. »

Il n’en demeure pas moins que cette intervention couronne des années de travaux. La France a été un des premiers pays à greffer, en 1995 à Nantes, des reins de porcs transgéniques sur des primates. Mais, crise de la vache folle oblige, les financements se sont arrêtés et ne sont jamais revenus, obligeant notre pays à jouer depuis le rôle de spectateur. Le cœur de la recherche dans ce domaine des xénotransplantations bat aujourd’hui du côté des Etats-Unis, de l’Australie et bien sûr de Chine.

Les transplantations interespèces vont se situer au cœur d’une compétition internationale acharnée. Elles ne pourront néanmoins se dispenser de questionnements éthiques et sociétaux. L’élevage intensif d’animaux destinés à fournir des organes aux humains est-il éthiquement acceptable ? Quel est l’impact psychologique d’un patient vivant avec un organe d’animal ? « La question de l’acceptabilité de ces greffes, qui renvoient à la symbolique des organes, est au moins aussi importante que le volet scientifique », estime le professeur Patrick Nataf (hôpital Bichat).

Ce dernier travaille à un projet d’institut hospitalo-universitaire (IHU), consacré aux transplantations multi-organes. « Si ce projet est accepté par les tutelles, la xénotransplantation sera l’un de nos objectifs primordiaux, souligne le spécialiste. En ce qui concerne le cœur, on fait aujourd’hui environ quatre cents transplantations par an en France, et il y a un greffon pour deux candidats. Le recours à des organes animaux est l’une des voies, avec les cœurs artificiels, pour pallier le manque de greffons humains. »

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