On peut s’en étonner mais le pass vaccinal n’est pas une mesure sanitaire. Deux raisons à cela : la première est qu’il n’apparait historiquement dans aucun livre de santé publique ni de médecine. La seconde repose sur l’un des fondements de la médecine contemporaine : toute intervention thérapeutique nouvelle doit d’abord faire la preuve de son efficacité. Or aucun essai prospectif contrôlé n’a été publié, ni même proposé, visant à démontrer l’efficience d’une telle méthode. Seules des études observationnelles en retracent l’évolution. On en connait hélas les biais, rendant toute conclusion incertaine : ici les indicateurs montent, là ils descendent, sans qu’on puisse en démêler aucun lien de causalité.
Qu’on ne s’y trompe pas : la vaccination est recommandable à juste titre mais l’obligation, par le pass vaccinal, est une mesure sociétale et politique d’un tout autre registre.
En ce qui concerne les mesures dites non pharmacologiques, nous assistons depuis deux ans à une fiction scientifique (expériences non faites, méthodologies non validées, simulations sur-interprétées, estimations erronées, décisions non fondées) face à des faits têtus : un âge au décès proche de l’espérance de vie[1], une absence de surmortalité depuis des mois, des dégâts indirects phénoménaux causés par ces mesures. Et cette posture sanitaire enclenche un simulacre de démocratie.
Car les reniements successifs sur les masques, le ciblage des enfants, et désormais une obligation vaccinale qui n’assume pas son nom[2], montrent qu’après deux années de pandémie, il n’existe toujours pas de cohérence stratégique, ni à court ni à long terme. Le cap n’est pas tenu, nous voici dans l’incessante errance.
Si ce n’est sous l’effet d’une panique récurrente, comment donner des ordres successifs à ce point contradictoires ? Cette fuite en avant[3] nous en dit autant sur nos peurs ancestrales que sur notre difficulté à progresser encore. Les règles du monde d’avant déterminent toujours les comportements de nos dirigeants.
Quelques questions méritent donc d’être posées avant de substituer une quasi-obligation vaccinale à un pass sanitaire dont l’impact n’a pourtant pas encore été évalué[4] et dont « le caractère inégalitaire peut laisser place à des décisions discrétionnaires »[5].
La vaccination fonctionne – certes pas aussi bien que prévu – mais elle fonctionne. Il faut donc continuer de l’encourager pour les personnes à haut risque, y compris chez les patients immuno-déprimés[6], dont elle diminue la probabilité de forme grave et de décès. Mais il faut aussi en préciser le rapport bénéfice/risque pour la société, actuelle et future, et quantifier pour cela le coût de nos actions au regard des années de vie qu’elles permettent de gagner[7].
L’évolution de l’épidémie indique une absence de surmortalité en France (Figure 1), au Royaume-Uni, en Italie ou en Suède depuis huit mois, alors que ces quatre pays ont été durement touchés par la phase de mars 2020. Elle ne montre pas d’augmentation significative des décès Covid dans le monde depuis 20 semaines (Figure 2) tandis que le variant nouveau a créé les conditions d’un nouvel accès de panique dans les pays développés, submergés par leur puissance diagnostique – leurs gouvernants semblant redécouvrir, chaque année à la même époque, que les personnes fragiles meurent en plus grand nombre l’hiver (+50%)[8].
Dans ce contexte, une obligation vaccinale générale se justifierait si 1. la maladie était caractérisée par une morbi-mortalité élevée (ce serait le cas d’une infection à virus Ebola) et supérieure aux effets secondaires des injections dans chaque groupe de population ciblée ; 2. les vaccins limitaient complètement la transmission et 3. s’ils demeuraient très efficaces. Or, face aux 95% initialement publiés, les principales publications reprises par l’OMS ne leur attribuent plus désormais qu’une efficacité de 40 à 60%. Un taux aussi rapidement réduit et le nombre de réservoirs animaux confirmés[9] suggèrent qu’à moins d’un prodigieux hasard, les vaccins ne permettront pas d’arrêter la circulation virale à moyen terme. Le débat mondial sur les 3ème et 4ème dose dans tous les pays risque de durer encore longtemps, l’OMS demandant d’abord une couverture vaccinale simple mais effective dans les pays à faible revenu, financée par les pays riches.
Il faut donc considérer avant tout les bénéfices individuels[10]. Et, s’ils sont bien réels, ils ne s’appliquent pas à tous de la même manière. Dès lors, la primauté de la personne doit guider le choix médical, surtout quand il s’agit d’enfants[11]. Leur vaccination peut-elle être considérée comme pratique courante quand elle requiert encore des réserves et des prudences similaires à celles de toute recherche interventionnelle impliquant la personne humaine ?
La plupart des décisions durant la pandémie ont été prises pour un bénéfice mal mesuré chez les plus âgés et les plus fragiles, mais le plus souvent au détriment de la jeunesse et sans que leurs effets sur elle n’aient été pris en compte sur le long terme. La solidarité ne devrait-elle donc s’exercer qu’à sens unique ou pourrait-on considérer que, dans un monde ne progressant plus, l’avenir et la parole puissent leur être rendues ?
Questions sanitaires
Pour établir la solidité des preuves, avons-nous réalisé les essais randomisés en double aveugle contre placebo prouvant l’efficacité de trois injections d’un vaccin d’une même formulation (doses 1 à 3 dirigées contre la souche originelle) face aux variants actuels (delta, omicron) ?
Avons-nous tenu compte de l’état de santé de nos hôpitaux qui s’écroulent depuis longtemps en raison des coups qui lui sont trop régulièrement portés ?
La Chambre des Lords a dans un premier temps refusé que le gouvernement anglais n’impose la vaccination à l’ensemble du personnel du système de santé national (NHS) en raison du manque de preuves apportées par le ministère. Les autorités sanitaires, responsables devant le parlement, auraient dû fournir un argumentaire clair pour justifier ces lois ; ce ne fut pas le cas.
Dérives bioéthiques
Le respect de la personne et son consentement éclairé, légalement requis, sont essentiels à la réussite de toute démarche thérapeutique innovante[12]. La situation actuelle ne justifie pas de s’affranchir de ces principes : il faut d’abord s’astreindre à certifier les données pour établir le bénéfice[13]. Avec un tel changement de paradigme, notre société n’en viendrait-elle pas à interdire à un fumeur toute chimiothérapie pour traiter son cancer du poumon ?[14]
Le contexte d’incertitude est martelé dans le dernier avis du conseil consultatif national d’éthique[15]. Or depuis la contamination des personnes hémophiles par le virus du Sida et le démantèlement du centre national de transfusion sanguine, l’incertitude ne peut plus être juridiquement invoquée après de telles erreurs. Lorsqu’un risque existe pour un groupe donné, sa réduction doit être envisagée : si les effets graves d’une thérapeutique sont possibles, mais qu’on ne peut en prouver la causalité, il faut pourtant montrer que des actions ont été engagées. L’évolution actuelle de cette obstination déraisonnable ne respecte pas cette jurisprudence[16].
Risques démocratiques
La volonté politique assumée de dégrader les conditions de vie d’une très grande partie de la population[17] ne s’est plus vue à ce niveau de l’Etat depuis longtemps[18] et cette atteinte extraordinaire aux libertés publiques fondamentales commence à être régulièrement et publiquement discutée[19].
L’acceptabilité de mesures exceptionnelles est conditionnée par la capacité à s’en approprier les règles. Il est donc essentiel d’encourager la responsabilisation de chacun pour qu’il contribue au choix collectif. Mais elle est également chevillée à la conviction que l’on puisse revenir aux critères préalables en conditionnant notamment l’abandon d’éventuelles mesures restrictives aux reflux épidémiques, sur des critères établis de morbi-mortalité et non sur l’incapacité de gestionnaires à administrer des situations institutionnelles critiques[20].
L’intérêt général doit vaincre le repli sur soi car, avec la disparition de nos principaux garde-fous[21] et la fragilité de notre démocratie[22], il faut aussi faire sortir l’État de son enfermement, en aérer les cellules et les geôles.
Tant que ces questions n’auront pas obtenu de réponses rassurantes, il serait prématuré de conditionner notre quotidien à une obligation vaccinale, dont l’argumentation reste extrêmement précaire.
L’immunité collective permettant de protéger les personnes non-vaccinables par une couverture suffisante de la population n’étant plus qu’un lointain souvenir, il faut continuer de porter toute notre attention à protéger spécifiquement les plus vulnérables et à réduire leur risque avant que leur résilience ne s’effondre.
Au lieu d’une stratégie de vaccination générale obligatoire, il serait donc plus pertinent de recourir à une vaccination ciblée sur les risques (cardio-vasculaires, métaboliques, cancers, âge …) avec un vaccin adapté aux variants récents. Nous savions le faire pour les infections respiratoires hivernales avec syndrome grippal. Il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions y parvenir à nouveau.
Jean-François Toussaint, Professeur de physiologie de l’Université de Paris, Ancien Président des États Généraux de la Prévention
Notes
[1] Les personnes en fin de vie ou en phase terminale de cancer, de maladie cardio-vasculaire ou métabolique sévère, sont celles pour lesquelles la connaissance et les moyens d’agir ont atteint leurs limites. En cardiologie par exemple, les progrès de la médecine ont sauvé un très grand nombre de vies dans les années 90-2000 grâce à l’angioplastie, aux stents coronaires et aux traitements anti-ischémiques. Mais vingt ans plus tard ces patients forment l’essentiel des urgences cardiologiques et des hospitalisations et nous ne disposons plus d’un arsenal équivalent. De fait nous avons seulement prolongé la vie, jusqu’à un certain point. Les biotechnologies n’arrivent plus à franchir cette barrière et ces patients terminaux ont aujourd’hui la plus forte probabilité de décéder du Covid car leur résilience est insuffisante et leur résistance épuisée.
[2] « Je l’ai dit, je le répète : le vaccin ne sera pas obligatoire ». Emmanuel Macron, 27 décembre 2020
[3] Cf la discussion actuelle d’un 2G+, similaire à la conception allemande, avant même de prendre le temps de prouver l’efficience des actions en cours.
[4] « La CNIL attire l’attention du gouvernement sur la nécessité de produire des éléments permettant d’évaluer pleinement l’efficacité des dispositifs mis en œuvre ». https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-publie-son-quatrieme-avis-adresse-au-parlement-covid-19
[5] La défenseure des droits s’inquiète des risques d’atteintes aux droits et libertés liés au pass sanitaire. https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2021/05/la-defenseure-des-droits-sinquiete-des-risques-datteintes-aux-droits-et
[6] Sun J, et al. Association Between Immune Dysfunction and COVID-19 Breakthrough Infection After SARS-CoV-2 Vaccination in the US. JAMA Intern Med. December 28, 2021. doi:10.1001/jamainternmed.2021.7024
[7] Coût des années & qualité de vie. 23/12/21. https://lucperino.com/774/cout-des-annees-qualite-de-vie.html
[8] Avec le vieillissement de la population (Pison G, Toulemon L. Ined Population & Sociétés, n°531, mars 2016. https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/25103/population.societes.2016.531.deces.conjoncture.france.fr.pdf), la mortalité moyenne tend vers 1400 à 1600 décès quotidiens en été (hors canicule) et 2000 à 2400 décès les jours d’hiver.
[9] La maladie s’est diffusée partout dans le monde et le SARS-CoV-2 semble franchir toutes les barrières d’espèce : vison, tigre, lion, léopard, cerfs, chiens et chats (les récepteurs ACE2 étant présents dans toute la physiologie animale). Il existe tant de réservoirs humains et animaux que l’éradication est hautement improbable et la stratégie zéro Covid condamnée à court terme, malgré des centaines de jours de confinement dans certains pays… A ce stade, il n’y a ni vainqueur ni vaincu, juste des phases adaptatives réciproques.
[10] « La ligne directrice a été dictée par le bénéfice individuel de l’enfant et, secondairement, le bénéfice collectif, à condition qu’il conduise à un bénéfice pour l’enfant. » Avis du CCNE concernant la vaccination des 5-11 ans, 16 décembre 2021
[11] Les parents découvriront peut-être l’intérêt d’une décision partagée avec leur enfant dans un contexte de controverses scientifiques qui donnent prise à des positions publiques contradictoires. https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/covid-19-pourquoi-la-vaccination-des-enfants-pose-des-enjeux-ethiques-inedits-4075852
[12] « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. » Article L1111-4 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.
[13] Dans le groupe contrôle, seuls 7% des participants (1600 environ) sont restés au moins 6 mois dans l’essai, d’où notre incapacité à prévoir les conséquences de long terme dans le monde puisque le suivi ne repose que sur moins de 2000 personnes.
[14] Voulons-nous vivre à vie sous un régime de restrictions de libertés ?
[15] Proposer la vaccination contre la Covid-19 aux enfants de 5-11 ans est-il éthiquement acceptable ? https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/ccne_-_vaccination_des_enfants_-_15.12.pdf
[16] « L’euthanasie de notre vie démocratique » https://up-magazine.info/decryptages/analyses/73176-73176/ & « Un débat démocratique sur les objectifs de la vaccination généralisée ? » http://jean-francois-toussaint.eu/textes-et-interventions
[17] https://www.liberation.fr/politique/variant-delta-vous-reprendrez-une-dose-de-restrictions-20210721_HDFM75LBY5AVFBSC435PRHUZTM/?redirected=1 & https://www.leparisien.fr/politique/europe-vaccination-presidentielle-emmanuel-macron-se-livre-a-nos-lecteurs-04-01-2022-2KVQ3ESNSREABMTDWR25OMGWEA.php
[18] « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1793, art. 35
[19] L’effondrement des libertés publiques en période de crise sanitaire. https://www.lexbase.fr/encyclopedie-juridique/66997065-etude-focus-l-effondrement-des-libertes-publiques-en-periode-de-crise-sanitaire-redigee-le-29-04-202
[20] Le « métaver sanitaire » ou la recette d’une épidémie sans fin. https://messagerie.aphp.fr/owa/?bO=1#path=/mail/inbox Arnaud Plagnol
[21] Brengarth V, Hourdeaux J. Revendiquons le droit à la désobéissance. Fayard, 2021
[22] La crise de la Covid révèle-t-elle les failles de la démocratie française ? Aurélie Haroche. JIM 6/2/21 ? & https://www.jim.fr/medecin/jimplus/e-docs/covid_et_si_nous_etions_les_seuls_a_pouvoir_en_finir_avec_ce_jour_sans_fin__190432/document_jim_plus.phtml
Il existe un principe scientifique à propos des vaccins soit ils marchent ou pas.
Or ces vaccins arnm ne marchent pas et l’excuse des formes graves est un leurre.
Tout fabricant honnête de vaccin vous diront la même chose un vaccin est efficace ou pas.
C’est tout. Le reste n’est que de la contorsion sémantique pour ne pas reconnaître cette évidence.
211 personnes en soins critiques par million de personnes non vaccinées.
5 personnes en soins critiques par million de personnes totalement vaccinées.
=> 206 personnes par million de personnes non vaccinées auraient pu éviter d’aller en soins critiques… Cela ne justifie pas tout, mais cela existe.
Je ne rentrerais pas dans une bataille de chiffres. Il suffit de regarder ce qui se passe en Israël qui au jour d’aujourd’hui dépasse les chiffres de contaminations et d’hospitalisations des cas graves à la même époque de l’année dernière. Curieusement Times of Israël ne signale plus s’il s’agit de gens vaccinés ou pas alors qu’elle ne s’en privait pas au début de la reprise omicron. Je ne sais pas d’où vous tenez ces chiffres, mais ils sont contredit par des médecins hospitaliers et surtout où sont considérés maintenant comme non vacciné les gens qui n’ont pas leur 3 ème… Lire la suite »
je lis vos articles avec attention et grand intérêt. Votre analyse documentée et intelligente de la situation me font un réel bien. Les mesures gouvernementales de santé publique sont avant tout politiques et non sanitaires comme vous le décrivez. Les courbes comparatives de la mortalité sur 3 ans le montrent bien. En dépit de la fermeture de lits, du manque de personnel hospitalier, le nombre de morts est égal à celui d’avant la pandémie … Nous ne mesurons plus l’effet covid ! Pourquoi « emmerder » les Français ? Pour finir, j’ajoute que jamais je n’ai été contre la vaccination.