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Les animaux, ça vous parle ? Symptômes du vivant #3

L’exposition Les animaux, ça vous parle ? interroge le règne animal et ses modes spécifiques de communication et d’existence face aux autres à travers le regard de 9 artistes contemporains. Dans un monde qui a perdu le fil du dialogue et provoque la disparition des espèces, l’animal a visiblement beaucoup à nous dire pour peu qu’on lui prête attention. L’exposition constitue le dernier volet de la trilogie « Symptômes du vivant » dont l’objectif est d’explorer le thème du vivant à travers le regard sensible des artistes, à un moment crucial où l’érosion de la biodiversité pousse notre société à sortir du « grand partage » entre l’Homme et le reste du monde du vivant.

Après un premier volet consacré au monde végétal en 2023 (Ce que dire les plantes) et un deuxième volet en 2024 dédié à l’homme et ses relations avec la machine (Le futur est déjà là), cette nouvelle exposition interrogera le règne animal et ses modes spécifiques de communication et d’existence face aux autres. L’exposition réunit une dizaine d’artistes d’horizons différents et pertinents de pratiques artistiques variées. Tous ont observé ces « maîtres silencieux et dépourvus de parole » (Jean-Christophe Bailly), qui font rayonner l’existence hors des sentiers du langage au profit d’une communication intuitive où les couleurs, les sons, les odeurs et les mouvements sont convoqués.

Ponctué d’œuvres où l’animal est tour à tour observé, étudié, ausculté, mais aussi fantasmé, rêvé et investi de nos peurs et fascinations par ces créateurs, le parcours fait la part belle à l’existence animale, montrant sa singularité offerte comme les jeux de reflets à l’œuvre entre les humains et les animaux. Le temps d’une expérience esthétique, peut-être incitera-t-il le sujet humain à ajuster son regard sur l’animal et à envisager une autre forme de rencontre où les bêtes ne prennent plus le rôle de figurantes dans notre histoire.

Pour qui sait entendre, de toute chose part une voix » Saint-Augustin

La question de savoir si les animaux communiquent ou possèdent un langage ne date pas d’hier. Pendant des siècles, la notion même de langage a été dotée du trait humain, ce qui interdisait l’accès à d’autres types de langage, notamment celui propre à l’animal. Seule la fable pouvait leur donner la parole et l’homme, ce beau parleur, oubliait vite que le monde extérieur est un monde de signes et de sons qui l’interpellent et avec lequel il peut interagir.
Plus récemment, à la faveur de multiples avancées scientifiques et d’un changement de point de vue sur le vivant, nous en avons appris un peu plus sur la complexité des modes de communication animale. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si les animaux parlent ou communiquent, mais comment ils le font. Ainsi, nous pourrions nous interroger sur l’impressionnante densité d’un monde sans mots et comment ce monde émerge et nous parvient ?

Dans cette quête, les artistes, quelles que soient leurs pratiques, ont un rôle important à jouer : celui d’éclaireur, de transmetteur ou encore de « reconnecteur », eux qui savent si bien tisser des relations avec le vivant et faire de ce dernier un véritable partenaire de création.

Travaillant avec des outils numériques pour la plupart, qu’ils répondent à la culture d’Internet, à l’IA et à l’interactivité, à la robotique, à l’art sonore, à l’animation dessinée, ou aux techniques plus classiques comme le film, la vidéo et l’installation, ils s’intéressent, chacun à leur manière, aux mystères du monde animal, à ses gestes, à ses émotions.
Trois thématiques se dégagent et s’entrecroisent au fil d’un parcours qui procède par associations poétiques entre des œuvres où l’animal est tour à tour observé, écouté, ausculté mais aussi fantasmé, rêvé et investi de nos peurs et fascinations. De l’éloquence animale à la communication interespèce en passant par les voix que nous leur prêtons, ce parcours fait la part belle à l’existence animale, montrant sa singularité intrinsèque comme les jeux de reflets à l’œuvre entre les humains et les animaux. Le temps d’une expérience esthétique, peut-être incitera-t-il le sujet
humain à ajuster son regard sur l’animal et à envisager une autre forme de rencontre où les bêtes ne tiennent plus le rôle de figurantes dans notre histoire.

#1 – Au-delà des mots

Le règne animal est un monde silencieux et bruyant à la fois. Il peut « conjuguer les verbes en silence » ou rugir, aboyer, crier, grogner, chevroter, barrir dans un enchevêtrement de langages impénétrables où chaque espèce y joue sa propre partition. Cette « musique » de la nature, faite de sons et de gestes, a toujours tenu une place particulière dans notre culture inspirant les artistes à travers les siècles.
Parmi ceux qui ont observé et se sont attachés en premier à la spécificité de la « langue animale », figure Knud Viktor dont l’œuvre pionnière a largement contribué à l’essor de la bioacoustique. Conscient de la disparition progressive de la biodiversité, il enregistre les palabres des fourmis, les mélodies des vers à bois, les vibrations du lapin qui rêve pour en faire une symphonie des voix de la terre et du vivant. Capturer les sons de la nature pour donner forme à un projet artistique est également la démarche du collectif Lab212 qui révèle, au moyen de la lumière, un paysage sonore fait de vocalises d’oiseaux ou de stridulations d’insectes recueillies puis mises en musique. Le langage, c’est aussi le corps comme dans ce grand classique du cinéma scientifique – « La Pieuvre » – où son auteur, Jean Painlevé, révèle, à l’aube du siècle dernier, l’exceptionnelle singularité des modes de communication du céphalopode.

Béatrice Lartigue et Nicolas Guichard – Collectif LAB212
Fondé en 2008 par d’anciens diplômés de l’École des Gobelins, le collectif Lab212 réalise des installations qui explorent nos perceptions de l’espace et du son. Ces dispositifs au sein desquels le visiteur devient acteur, proposent une interprétation sensible de phénomènes impalpables en leur conférant une matérialité au moyen de faisceaux lumineux et sonores dans l’espace, du souffle du vent sur le paysage, ou encore de l’apesanteur du corps dans l’atmosphère. Lab212 a été récompensé par plusieurs prix internationaux (Sundance Film Festival, Ars Electronica, Lumen
Prize) et ses œuvres sont présentées régulièrement dans les grands centres d’art contemporain (Barbican Center, Victor & Albert Museum, Londres / Miraikan Museum, Tokyo / Museum of Digital
Art, Zurich / DMuseum, Séoul / Centre Georges Pompidou, Gaîté Lyrique, Paris).

« Aurae » Béatrice Lartigue et Nicolas Guichard – Collectif LAB212

==> « Aurae » : Poursuivant un travail commissionné par Hermès en 2020, Aurae est une installation monumentale spécialement conçue pour l’exposition. De façon très organique, elle déploie un ensemble de faisceaux lumineux qui, l’un après l’autre, s’ouvrent et libèrent des chants d’oiseaux juste au-dessus du visiteur. À mesure que le temps s’écoule et au gré des déplacements dans l’espace, une faune étrange se révèle progressivement, dessinant un paysage sonore aussi mystérieux qu’exubérant. Cette ambiance sonore enveloppante est composée de centaines de sons naturels capturés en différents points du globe. Mis en musique par le compositeur Chapelier Fou, la partition ainsi créée parvient à matérialiser au sein de l’espace vide une nature recomposée,
harmonieuse et en constante évolution.

Knud Viktor (1924 COPENHAGEN – 2013 CHEVAL-BLANC)
D’origine danoise, Knud Viktor a vécu en Provence, dans le Luberon, où il a puisé toute son inspiration jusqu’à sa mort. Précurseur de l’art sonore, il se distingue dès les années 70 par une pratique inédite et particulièrement attentive au vivant. À partir d’instruments très simples comme des magnétophones ou des micros, il enregistre les sons produits par la vie de ceux dont on compromet la survie. Ses collectes et captations sensibles servent ensuite à créer des compositions numérotées et des « images sonores » selon les mots de celui qui se définissait avant tout comme peintre sonore et compositeur. Des palabres des fourmis aux mélodies des vers à bois, du lapin qui rêve au dialogue des cigales, Knud Viktor fixe l’éphémère et fait résonner une diversité de voix animales avec une persévérance hors norme, ouvrant un large champ à la rêverie et à l’imaginaire poétique.
L’exposition présentera un ensemble d’enregistrements sonores issus du fonds d’atelier de l’artiste qui est aujourd’hui conservé au Sound Art Lab, Struer (Danemark).

Knud Viktor

Jean Painlevé (1902, PARIS – 1989, NEUILLY SUR SEINE)
Biologiste de formation, cinéaste et photographe, Jean Painlevé est considéré comme un pionnier du cinéma documentaire, notamment animalier. Dès le début des années 1920, il se sert du médium cinématographique comme outil d’observation du vivant et se passionne pour la faune marine, à laquelle il consacre de nombreux films. Hippocampes, pieuvres et pluies d’étoiles de mer, personne n’aura filmé les animaux marins avec une telle virtuosité, à la frontière entre la science et la poésie. Proche des milieux surréalistes, d’écrivains et d’artistes comme Georges Bataille ou Eisenstein, il renouvelle le genre du documentaire scientifique mobilisant les moyens du cinéma pour mettre en fiction la science.

==> « La Pieuvre« , 1927 – Film 35 mm, n&b teinté / muet – Duré : 12 ‘:  La Pieuvre est le premier documentaire animalier de vulgarisation scientifique de Jean Painlevé. Dès sa première projection, le film fascine le public et enthousiasme la presse. Il s’agit d’une étude de la pieuvre dans son habitat, un sujet qui s’est imposé comme une évidence à son auteur : « J’avais neuf ans et ma famille
m’amena en Bretagne. J’ai été tellement séduit que c’est ce qui m’a fait choisir la zoologie comme certificat et m’amena en 1922 comme étudiant à mieux connaître cet animal ». Alternant plans en extérieur et en aquarium, le film est découpé en différentes séquences à vocation didactique.
Sont ainsi observées les principales singularités de l’animal : son déplacement, ses méthodes de prédation, sa façon de communiquer et de leurrer, la spécificité de ses yeux à paupières qui lui permettent de doser son regard et sa mort. Entre expérience scientifique et dérive onirique du côté des surréalistes, ce film fondateur fait surgir sur la pellicule un monde d’une magie encore inconnue à son époque.

#2 – La fabrique des fables

Par leur façon d’être au monde et de communiquer, souvent mystérieuse et impénétrable, les animaux stimulent notre imaginaire. Nous leur attribuons aisément et ce, depuis des temps immémoriaux, des sentiments propres à l’espèce humaine, comme nous projetons nos idées, émotions ou désirs sur leur langage, souvent en le chargeant de significations qui n’existent que dans notre esprit.
La fable animalière qui consiste à donner la parole à l’animal est un des exemples les plus éloquents. Qui peut oublier les lapins, tortues, corbeaux, fourmis, renards, agneaux, et autres animaux de La Fontaine qui se parlent entre eux avec tant de naturel malgré l’aspect improbable de ces conversations ? Les bêtes sont ici les prête-noms de la comédie humaine, ou est-ce notre désir de jouer aux animaux pour mieux les comprendre ? Dans son installation Les Fabulations de la Fontaine, Filipe Vilas-Boas déplace le débat sur le terrain de la technologie et, avec ironie, repense
l’expérience du fabuliste en confiant à une Intelligence artificielle le soin de prêter aux animaux les mots des hommes. Dominique Castell invite deux lièvres à esquisser des pas de danses au rythme d’un tango argentin (El jardin del amor) tandis que le bestiaire utopique Anima (Ex) Musica génère une musique et nous questionne sur la préservation du vivant. Enfin, semblant émerger d’un roman de science-fiction, les sculptures animales de Nicolas Darrot entament des danses mécaniques ou interprètent des dialogues. Dans notre monde radicalement artificialisé, seuls les
animaux, en nous rappelant ce qu’a été la nature, nous permettront peut-être de nous souvenir de notre propre humanité.

Nicolas Darrot – Né en 1972, vit et travaille à Pantin 
Passionné par les relations du vivant et de la machine, Nicolas Darrot déploie autour de ce thème une pratique artistique plurielle, entre sculptures, installations, objets hybrides et automatisés. Ses œuvres interrogent souvent la nature du langage, notre relation à l’espèce animale et l’avancée des nouvelles technologies. Elles sont imprégnées de multiples références, aux croisements de la science, de l’histoire, des mythes et de la littérature. Une ribambelle de créatures hybrides, d’insectes-machines, d’animaux anthropomorphes et animés ou encore de pantins malicieux dotés de parole peuplent ainsi un univers à la dramaturgie intense qui semble tout droit sorti d’un roman d’anticipation.
https://nicolasdarrot.com

==> « Apollo », 2017 Matériaux divers, servomorteurs, dispositif sonore 30 x 70 x 45 cm – Collection de l’artiste
Production Le voyage à Nantes 2017
Photo © Nicolas Darrot
Apollo appartient à la série des « Fuzzy logic » qui regroupe un ensemble de situations et de personnages automatisés opérant selon une logique floue. Sous la forme d’une marionnette retenue par quelques fils, un félin en tenue d’astronaute, mi-homme mi-bête, attire notre regard vers une fable utopique où se jouerait une danse mécanique.
À l’approche du visiteur, la créature virevolte et entonne la chanson de Nico « Le petit chevalier », tel un chevalier de l’espace perdu dans le vide stellaire, et produisant son propre langage.

==> « Prince Vaillant« , 2025 – Matériaux divers, servomoteurs, dispositif sonore
Production EDIS – Le Grenier à sel, Avignon
« Prince Vaillant » a été spécialement créé pour l’exposition. L’œuvre évoque le rôle crucial joué par les volatiles lors de la Grande Guerre à travers la figure du plus célèbre pigeon messager, devenu un véritable héros de Verdun en ayant porté le dernier message écrit du commandant Raynal en juin 1916. Sous la forme d’un automate sonore, qui place cet agent communicant hors pair aux commandes d’un étrange engin, l’œuvre décline en miniature tout un arsenal guerrier avec notamment, en guise de cockpit, un casque russe récupéré sur le front Ukrainien. L’image serait totalement glaçante si ce petit théâtre animé et traversé de références historiques, cinématographiques et naturalistes, n’affi chait pas une joyeuse fantaisie.

« La nuit et le moment » de Nicolas Darrot

==> « La nuit et le moment », 2018 – Matériaux divers – Dimensions variables
Collection de l’artiste
Photos © Nicolas Darrot
Créée pour l’exposition L’Invention de Morel à la Maison de l’Amérique Latine, La nuit et le moment regroupe un ensemble de dessins, de photographies et de prototypes, autour du projet de l’élevage éternel d’une colonie d’Heteropterix Dilatata, une espèce tropicale de phasmes. Cette colonie, embarquée dans un module de dérive spatiale spécialement conçu pour assurer un cycle de reproduction, pourrait ainsi vivre et se renouveler indéfi niment, dans une symbiose avec la machine. L’engin dispose par ailleurs d’une paire de prothèses vidéo pouvant s’adapter sur le dos des animaux, afi n qu’ils deviennent les acteurs d’une série infi nie de dialogues stockés dans sa mémoire. L’interprétation de ces dialogues par les corps vivants des animaux réactive pour l’éternité l’ensemble des paroles échangées et disparues, dans une unité de temps et de lieu renouvelée à l’infini.

Dominique Castell – Née en 1969. Vit et travaille à Marseille
Dominique Castell poursuit depuis plusieurs années une recherche artistique centrée sur le dessin et ses relations étroites avec les sentiments et la géographie. Férue d’histoire et de mythes, elle développe à travers ce médium une approche sensible des sites et des situations, nous conviant à dériver de Cythère à Stromboli, de trajectoires sentimentales à de libres et fulgurants tracés sur le papier. Souvent elle travaille avec le soufre de l’allumette qui colore son trait de pigment rose mais aussi avec la mine de plomb et le stylo bille qui sillonnent l’espace de la feuille et se met parfois en mouvement dans des vidéographies où le dessin s’anime le temps d’une narration.

==> « El jardin del amor », 2011 : 
Rouleau de papier dessiné au crayon de couleur et soufre d’allumette 500 x 150 cm Collection départementale Bouches-du-Rhône, Marseille
Photo © JC Lett

==> « El jardin del amor », 2012 Vidéo numérique (fi lm d’animation)
Durée : 4mn
Photo © Dominique Castell
L’installation « El jardin del amor », à la fois dessinée sur papier et vidéographiée, est le théâtre d’une étrange parade animale. Dans la vidéo, un lièvre effrayé par la terreur du monde se met à danser un inattendu tango chanté par la voix suave de l’icône argentine, Ada Falcon. Au fil des images, l’animal oublie la menace, sa crainte, ses peurs et communique sa joie en dansant librement seul, puis se dédouble dans une ronde de la séduction qui le consume de plaisir. Juste à côté, un immense dessin déploie les feuillages pourpres du jardin amoureux comme autant de broussailles incandescentes tracées au soufre rose de l’allumette, hautement infl ammable mais aussi métaphore de l’embrasement de la passion.

Collectif Tout/Reste/A/Faire : Mathieu Desailly, Vincent Gadras, David Chalmin
Depuis 2016, date de sa formation, le collectif « Tout reste à faire » donne forme à un projet fascinant – anima(ex)musica – dont l’objet est de redonner vie à des instruments de musique sous la forme d’arthropodes géants. Le collectif invente à partir de pièces uniques des créatures animées et sonores sans jamais dénaturer l’instrument. Mathieu Desailly dessine et conçoit,
Vincent Gadras structure et anime et David Chalmin fait battre le cœur de ces créations grâce à ses compositions musicales qui se déclenchent à l’approche du visiteur. Entre musique, entomologie et sculpture, anima(ex) musica invite à découvrir un étonnant bestiaire utopique qui communique en musique et nous questionne sur la notion d’écologie, depuis la préservation
du vivant jusqu’au recyclage.

« Phasme Carapace« 

==> « Phasme Carapace » (Issu du bestiaire utopique Anima ex Musica), 2025 – Bois – 270 x 959 x 150 cm
Collection des artistes
Photo © Tout reste à faire
Pour l’exposition, les membres du collectif ont choisi de présenter une de leur dernière création, un phasme géant composé d’instruments d’Afrique de l’ouest lesquels, entre leurs mains, sont devenus carapace, exosquelette ou pattes de l’insecte. Enrichie d’un dispositif sonore et de textes choisis, l’œuvre nous ouvre à la poésie des mondes microscopiques ou invisibles, celui de l’entomologie comme celui de l’intérieur des instruments de musique.

Filipe Vilas-Boas – Né Een 1981 Aau Portugal. Vit et travaille à Paris
Filipe Vilas-Boas est un fin observateur de notre hypermodernité numérique dont il explore les excès et tente d’en matérialiser les implications éthiques et esthétiques. Sous la forme d’installations, de vidéos et de performances, ses œuvres développent une critique de la notion de progrès technologique tout en cultivant une certaine poésie analogique et numérique. Non sans humour, elles mêlent IA et DIY, robotique et philosophie, sociologie et littérature, astronomie et musique.

==> « Les fabulations de La Fontaine » (ou La Fontaine à fables) 2020-23
Conception : Filipe Vilas-Boas
Production: The Fairy
Partenaire : BNF / Gallica
Collection de l’artiste
Photos © Clément Mauduit
« Je me sers des animaux pour instruire les hommes » disait Jean de La Fontaine. Sur la base de cette maxime et des Fables imaginées par son auteur, Filipe Vilas-Boas a façonné une machine qui exploite l’Intelligence Artificielle pour générer de nouvelles fables. Invités à saisir deux noms d’animaux, les visiteurs déclenchent la rédaction automatique et à la plume de fables accompagnées de morales originales, fusionnant tradition et technologie.

#3 – Dialogues partagés

Dans l’immense éventail des possibilités de rencontres entre l’homme et l’animal, l’échange de paroles et de sons entre ces deux espèces est sans doute le mode d’interactivité le plus incertain et le moins productif. Certes, la communication avec nos animaux domestiques est bien réelle : nous savons leur donner des ordres, leur confi er des missions ou leur faire répéter des phrases entières dans le cas des perroquets. Les scientifiques vont souvent plus loin comme l’éthologue Penny Patterson qui enseigna la langue des signes au Gorille Koko, Jane Goodall, la célèbre primatologue, qui se présenta à une tribune de l’Unesco en 2024 en « vocalises chimpanzé » ou encore la compositrice Aline Pénitot qui instaura un dialogue musical étonnant avec les baleines à bosse, celles-ci répondant au son du basson et adaptant la structure de leur chant à ce son. Mais au-delà de ces interactions spectaculaires, notre compréhension de ce qu’ils nous disent reste très limitée.
Alors que faire de tous ces signaux qui restent hors de notre portée ? Les artistes en ont fait un sujet d’étude foisonnant et leurs œuvres explorent de manière poétique cette porte ouverte sur l’inconnu des paroles animales. Celle du pigeon Vaillant par exemple, pigeon messager et héro de la grande guerre qui a inspiré la sculpture automate de Nicolas Darrot (Prince Vaillant) ; celle de Koko le Gorille qui nous alerte en langue des signes sur la catastrophe environnementale (Erik Bünger, « Nature see you ») ou encore celle des animaux robotisés de France Cadet qui interpellent
le visiteur à son approche pour dénoncer les manipulations dont ils sont l’objet. Face à eux, l’homme s’interroge sur sa propre humanité mais aussi sur le pouvoir du progrès technologique qui pourrait un jour décoder le langage animal grâce à l’Intelligence artificielle alliée à la bioacoustique. Un domaine de recherche très actif qui ouvre un champ d’exploration prometteur mais pas sans risque pour le fragile équilibre des relations homme-animal.

France Cadet – Née en 1971. Vit à Marseille et travaille à Aix-en-Provence
Scientifique de formation, France Cadet est une artiste de l’hybridation art-science. À travers la sculpture, la photographie, la sérigraphie et les technologies innovantes impliquant le public, elle questionne le rapport que nous entretenons avec les machines autonomes, s’intéressant aux mutations technologiques de notre monde, à notre devenir cyborg comme à celui des espèces animales progressivement remplacées par de troublants spécimens robotiques. Ces nouvelles créatures lui permettent d’incarner les interrogations et les peurs actuelles à propos des biotechnologies, du droit des animaux ou encore du danger du clonage.

==> « Trophées de chasse » (Huntong Trophies), 2008
Robots-chien piratés, résine, bois 33 x 24 x 21 cm
Collection de l’artiste
Photo © France Cadet ADAGP, Paris 2025
Ces trophées de chasse, semblables à ceux que les chasseurs peuvent arborer dans leur salon, sont des répliques robotiques d’espèces disparues ou menacées : zèbre de Burchell, rhinocéros blanc, antilope… autant d’animaux autrefois traqués et exhibés avec fierté aux côtés de cervidés et de félins. Mais ici, ces créatures artificielles ne se contentent pas d’être de simples objets décoratifs. Elles interagissent avec les visiteurs, manifestant leur mécontentement d’avoir été chassées, tuées et transformées en pièces décoratives. Plus on s’approche, plus elles deviennent menaçantes, comme si elles prenaient enfin leur revanche grâce à la parole que leur redonne l’artiste.

France Cadet, Trophée de chasse, 2008 © France Cadet, ADAGP 2025

==> « Botched Dollies », 2013
Robots-chien piratés, résine, plâtre, aluminium 20 x 28 x 30 cm
Installation robotique avec 4 robots chiens piratés
Collection de l’artiste
Photo © France Cadet ADAGP, Paris 2025
Botched Dollies est une installation robotique mettant en scène quatre robots hybrides chien-vache-brebis, affublés de plâtres, de prothèses et de diverses malformations plus ou moins invalidantes. S’inspirant du nom de la première brebis clonée, ces «Dolly ratées» incarnent les pathologies et les effets délétères les plus emblématiques du clonage et des manipulations génétiques couramment pratiquées dans l’élevage industriel. Presque figées dans une immobilité contrainte, ces êtres imparfaits laissent échapper de plaintifs gémissements, interpellant le spectateur et l’invitant à une réfl exion troublante sur notre utilisation de l’animal et la fragilité du vivant.

==> « Spina Family », 2008
Moteur, électronique, bois 28 x 84 x 14 cm
Collection de l’artiste
Photo © France Cadet ADAGP, Paris 2025
Autre trophée de chasse détourné, Spina Family est composée de formes organiques diffi cilement identifiables mais pouvant évoquer tour à tour des doigts, des queues, des langues ou même une colonne vertébrale fragmentée, tous probablement issus d’une espèce animale. Au passage du spectateur, ces organismes s’animent en déclenchant des séquences collectives préprogrammées. Tantôt engagés dans un dialogue, tantôt adoptant un comportement de groupe rappelant les dynamiques des colonies animales, ces petits fragments biologiques et robotiques à la fois nous interpellent avec légèreté sur la relation que l’Homme entretient avec l’animal, devenu malgré lui l’instrument de toutes les manipulations.

==> « Hommage au Dodo« , 2025
Cadre en bois, animation 3D en réalité augmentée 30 x 40 cm
Production EDIS – Le Grenier à sel, Avignon
Photo © France Cadet ADAGP, Paris 2025
Après Walt Disney dans « Alice au pays des merveilles », France Cadet tente de ressusciter le dodo… Pour mémoire, cet oiseau mystérieux de près d’un mètre de long, au plumage gris et jaune et au bec crochu s’est éteint moins d’un siècle après sa découverte sur l’île Maurice, à la fi n du XVII e siècle avec l’arrivée des Européens qui ont causé sa perte. Grâce à un smartphone le public peut entendre ce que serait son cri et assister à ses derniers instants en réalité augmentée.

Erik Bunger – Né en 1976 en Suède. Vit et travaille à Berlin
Erik Bünger est un artiste, écrivain et compositeur suédois dont les recherches portent principalement sur le langage dans une réflexion très large qui associe la voix, le corps et l’animal. Ses
œuvres existent toujours sous deux formes : un fi lm autonome, assemblé à partir de matériel d’archives, et une projection- performance au cours de laquelle l’artiste monte sur scène pour ajouter des commentaires « en direct » et interagir avec les images projetées. Dans ses fi lms comme dans ses conférences, l’artiste décortique ce que nous entendons conventionnellement par « langage », creusant ce qui est à l’intérieur et à l’extérieur de ce concept et faisant émerger les vides autour desquels notre réalité linguistique se construit. Son travail associe souvent le monde animal et le cinéma hollywoodien à l’histoire des sciences, établissant des liens inédits et produisant un savoir artistique libéré des contraintes académiques.

==> « Nature see you », 2022 – Film, 18’
Photo © Erik Bunger
En novembre 2015, à la veille de la conférence des Nations Unies sur le climat à Paris, une vidéo a été mise en ligne. On y voit Koko, une femelle gorille entraînée à la langue des signes américaine, s’adresser directement aux dirigeants mondiaux. Elle critique l’humanité et appelle à une action immédiate pour se sauver et préserver la nature dont elle fait partie. Erik Bünger en tire un film Nature See You dans lequel il invite un avatar en langue des signes à commenter les mots utilisés par Koko. L’avatar tente sans cesse de reformuler la position impossible dans laquelle se trouve l’animal porte-parole de la nature : pour nous communiquer son message, elle doit utiliser des mots. Mais pour que ce message reste fi dèle à la nature, elle doit rester muette.

==> « The mime and the ape », 2023 – Film, 32’
Photo © Erik Bunger
Commande de l’Audiorama de Stockholm, avec le soutien du Conseil suédois des arts et du Fonds autrichien pour la science.
The Mime and the Ape est une installation vidéo qui déroule un subtil parallèle entre deux scènes extraites des fi lms « Silent Movie » (1976) et « Le Réveil de la planète des singes » (2011). Chacune renvoie à une histoire d’origine, d’un côté les origines du fi lm sonore et de l’autre, l’origine du langage. Dans le premier fi lm, un réalisateur téléphone au Mime Marceau pour lui demander de jouer dans un film muet. Le célèbre mime décroche le téléphone et crie « Non ! ». Trente cinq ans plus tard, César, le chimpanzé protagoniste du second fi lm répète exactement la même réplique. À l’aide de ces deux scènes, le narrateur tisse un récit sinueux et inspiré sur l’incapacité du langage, qu’il soit animal ou humain, à articuler sa propre origine.

Commissariat d’exposition : Véronique Baton

Exposition jusqu’au 31 décembre 2025 au Grenier à sel, 2 rue du Rempart Saint-Lazare – 84000 Avignon

Image d’en-tête : « Apollo », 2017 de Nicolas Darrot

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