Manifeste du Museum – Justice environnementale – Collectif, sous la direction de Guillaume Lecointre, zoologiste, systématicien et professeur du Muséum, et de Frédérique Chlous, anthropologue et professeur du Muséum – Coédition Muséum national d’Histoire naturelle / Reliefs Éditions, novembre 2023 – 96 pages
Certaines populations sont plus exposées que d’autres aux menaces environnementales, et ces inégalités sont liées aux contextes historiques, sociaux et culturels. Et que dire des espèces autres qu’humaines, qui payent un lourd tribut aux changements actuels ?
Face aux changements environnementaux, devenus rapides et brutaux, certaines populations sont plus vulnérables que d’autres. Elles sont davantage exposées à la pollution ou à des événements graves — inondations, sécheresses, incendies… — entraînant maladies, surmortalité, déplacements forcés… Ce qui est d’autant plus injuste qu’elles ne sont pas responsables de ces bouleversements.
Crise environnementale et inégalités sociales se renforcent l’une l’autre, et l’on ne peut lutter contre l’une sans lutter contre l’autre. Ce Manifeste du Muséum replace l’histoire naturelle au cœur de la notion de justice environnementale, un sujet qui prend de plus en plus d’ampleur.
Dette écologique
En 2022, 10 % des individus les plus riches de la planète ont émis près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre, contre 12 % pour la moitié des plus pauvres… Cette dette écologique fait naître, voire exacerbe, un sentiment d’injustice chez les populations les plus touchées. Dans le cadre de ses Manifestes, le Muséum s’empare de cette thématique pour apporter un éclairage scientifique.
La question de la justice environnementale monte dans les milieux intellectuels et politiques. En témoigne la forte croissance du nombre de procès à l’encontre d’entreprises polluantes et de structures d’État, condamnées pour leur inaction climatique ou la dégradation de l’environnement. D’après un rapport des Nations unies, en 2021, 1 550 affaires ont été répertoriées dans 38 pays.
Pour ce travail, un comité de dix experts pluridisciplinaires s’est réuni à plusieurs reprises pour remettre l’Histoire naturelle au cœur du sujet. Anthropologue, sociologue, économiste, démographe, climatologue, philosophe, géographe ou encore écologue ont élaboré un plan permettant d’aborder les différentes facettes de la question et d’apporter leur expertise. Riche d’enseignements, ce Manifeste pose donc les jalons du problème pour mieux comprendre sa complexité.
Inégalités environnementales
Les auteurs rappellent notamment que la distribution contrastée des ressources et des milieux sur la planète, à laquelle l’humain s’est toujours adapté, n’explique pas les inégalités environnementales. Elles dépendent des modes de production et de consommation, mais aussi de rapports sociaux. Ainsi, les agriculteurs du Bangladesh, comme ceux de nombreux deltas, ont toujours fait face aux submersions marines mineures et transitoires, mais pourront difficilement résister à l’élévation du niveau de la mer provoquée par le réchauffement climatique lié aux activités humaines.
L’ouvrage montre aussi que les inégalités environnementales sont multiples en termes d’accès aux ressources (eau potable, santé…) et à un environnement sain, ou d’exposition aux nuisances (pollutions sonore et chimique, milieux dégradés )… Et les facteurs sociaux peuvent encore amplifier ces différences. Un faible niveau de revenu et de patrimoine, le genre, l’origine ethnique, la génération sont autant de caractéristiques qui rendent compte des inégalités… Lors des tsunamis survenus en 2011 dans le Sud-Est asiatique, la mortalité a été plus forte chez les femmes, qui avaient la charge du foyer, attendaient les consignes des hommes et n’étaient culturellement pas armées pour faire face à ce type de risque. Par conséquent, beaucoup n’ont pu survivre à l’immersion. Enfin, une inégalité majeure réside dans le fait que certaines populations ne sont pas associées aux prises de décision relatives à la gestion des ressources naturelles, aux implantations polluantes, à la protection de l’environnement et des individus.
Effondrement de la diversité du vivant
Mais l’humain n’est pas la seule victime. Il abîme et accapare les ressources utilisées par d’autres espèces, avec pour conséquence un effondrement de la biomasse sauvage, de la diversité et du devenir du monde vivant. Pour les auteurs, parler de justice écologique, c’est prendre en compte l’autre au sens large, dans le respect de la nature, condition de sa pérennité et de son potentiel évolutif. Ainsi, la justice environnementale est composée d’une justice entre humains (justice sociale-environnementale) et d’une justice pour d’autres qu’humains (justice écologique).
Des pistes de solutions sont évoquées : une saine redistribution des bénéfices directs et indirects tirés des ressources naturelles, la participation de tous les acteurs et populations aux processus décisionnels locaux et internationaux, la reconnaissance des savoirs autochtones en matière de gestion de l’environnement… Des changements ambitieux auxquels le Muséum contribue déjà grâce à son expertise scientifique.