Au nom de la Nature – Enquête sur les pratiques néocolonialistes de l’ONG African Parks, d’Olivier van Beemen – Éditions Rue de l’échiquier, 21 février 2025 – 328 pages
L’ONG African Parks est l’une des plus importantes ONG de conservation de la nature : basée en Afrique du Sud, cette multinationale administre vingt-deux parcs dans douze pays du continent, employant plus de cinq mille personnes sur vingt millions d’hectares. African Parks reçoit des aides de plusieurs gouvernements occidentaux (dont la France), de milliardaires philanthropes et même de stars. Parmi ses soutiens les plus célèbres, on compte Taylor Swift, Leonardo DiCaprio, ou encore le prince Harry, duc de Sussex, qui a présidé l’association pendant six ans et reste aujourd’hui membre du conseil d’administration.
Le modèle d’African Parks est souvent présenté comme la meilleure solution pour protéger les écosystèmes fragiles et sauver de l’extinction la faune et la flore africaines, tout en bénéficiant aux populations locales. Devenu une inspiration pour tout le continent, le modèle d’African Parks est souvent présenté comme la meilleure solution pour protéger les écosystèmes fragiles et sauver de l’extinction la faune et la flore africaines, tout en bénéficiant aux populations locales.
Mais quels sont les vrais objectifs de l’ONG ? Au terme d’une enquête de quatre années d’enquête, le journaliste Olivier van Beemen porte un regard critique sur ses pratiques. Il démontre comment la gestion de l’organisation, menée par des cadres supérieurs majoritairement blancs, est source d’une forte résistance, voire de conflits, avec les populations locales qui voient leurs droits et leurs coutumes bafoués. Car African Parks est un cas d’école de néocolonialisme vert : sous couvert de préserver la faune et la flore, des décideurs et des milliardaires blancs entretiennent le mythe occidental de la « nature africaine vierge et sauvage » pour mieux la vendre aux touristes, tout en privatisant des fonctions de l’État et en déterminant l’avenir de vastes territoires africains.
Le néocolonialisme vert est une forme insidieuse de domination économique et politique qui, sous couvert de protection environnementale, perpétue des rapports inégaux entre le nord et le sud. Ce phénomène s’illustre particulièrement à travers les politiques de conservation et les initiatives des grandes entreprises qui investissent dans des projets écologiques dans les pays en développement, tout en exploitant leurs ressources et en marginalisant leurs populations locales.
Dans son ouvrage, Olivier van Beemen met en lumière la manière dont certaines multinationales et ONG occidentales utilisent le prétexte de la protection de l’environnement pour asseoir leur contrôle sur des territoires africains. Il démontre que sous l’apparente bienveillance des projets écologiques se cache une logique d’appropriation des terres, au détriment des communautés locales qui se retrouvent souvent dépossédées de leurs moyens de subsistance. Ces initiatives, loin de constituer de réelles solutions durables, s’apparentent à une nouvelle forme de colonialisme où les populations du sud sont exclues des décisions qui les concernent directement.
L’auteur analyse notamment comment de grandes entreprises, en s’associant à des ONG ou à des États, mettent en place des projets de compensation carbone ou de conservation de la biodiversité, qui, au lieu de bénéficier aux habitants, renforcent les logiques d’exclusion. L’argument écologique devient ainsi un outil de légitimation pour l’accaparement des terres, l’exploitation des ressources et la marginalisation des populations locales. Cette dynamique, qui s’inscrit dans la continuité de l’histoire coloniale, permet aux puissances occidentales de maintenir leur emprise sur les richesses naturelles du Sud global tout en se donnant une image vertueuse.
Le néocolonialisme vert pose ainsi la question cruciale de la justice environnementale : qui bénéficie réellement des politiques écologiques mises en place dans ces pays ? Loin d’être une simple question de protection de la nature, il s’agit d’un enjeu profondément politique et économique, où se jouent des rapports de force entre les acteurs internationaux et les populations locales. En dénonçant ces pratiques, Olivier van Beemen invite à une réflexion plus large sur la nécessité d’un véritable respect des droits des peuples concernés et sur l’importance d’une approche écologique qui ne serve pas uniquement les intérêts des grandes puissances économiques.
Au fil des pages, le journaliste partage aussi les coulisses de sa longue investigation, et notamment les nombreuses difficultés qu’il a affrontées en raison de l’attitude très défensive, voire hostile, de l’ONG.
Olivier van Beemen est un journaliste d’investigation néerlandais spécialisé sur l’Afrique. Lauréat du prix De Tegel en 2019, la récompense journalistique la plus prestigieuse aux Pays-Bas. Il a été pendant dix ans correspondant en France et travaille régulièrement pour Le Monde et Mediapart. Suite à la parution de Heineken en Afrique – Une multinationale décomplexée, il a été invité à donner des conférences lors de réunions internationales en Afrique et en Europe, et dans plusieurs universités. Le livre est même devenu le sujet d’un cours d’histoire à l’université d’Amsterdam.