Qu’appelle-t-on panser ? 2. La leçon de Greta Thunberg, de Bernard Stiegler – Edition Les liens qui libèrent (LLL), 16 janvier 2020
Panser constitue la tâche par excellence du XXIe siècle : c’est ce que Greta Thunberg, telle Antigone, enseigne comme personne avant elle à des adultes devenus irresponsables. Voici un ouvrage important du philosophe Bernard Stiegler, pour comprendre les grandes mutations à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines.
La leçon de Greta Thunberg tente à la fois d’entendre ce qu’elle nous dit et de lui répondre – de « prendre ses responsabilités », sur les plans à la fois théorique et pratique, et en référence à une recherche actuellement expérimentée en Seine Saint‐Denis dans le cadre d’un Territoire apprenant contributif.
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Cet ouvrage qui est donc une réponse aux appels de Greta Thunberg et des représentants français de Youth for climate, ainsi qu’à ceux d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, revient sur le débat en cours à propos de la collapsologie (« science de l’effondrement »), sur la définition de l’ère Anthropocène, et sur la notion alternative de Capitalocène proposée par Jason Moore.
L’ère Anthropocène, c’est d’abord l’augmentation des taux d’entropie dans les domaines thermodynamique, biologique et informationnel. Dans le premier tome de Qu’appelle‐t‐ on panser?, sorti en novembre 2018, on avait soutenu que Nietzsche fut accablé par la thèse de l’entropie – et par celle, corrélative, de la mort thermique de l’univers.
Dans La leçon de Greta Thunberg, il s’agit de panser au‐delà d’un blocage théorique qui s’est installé au cours du XXe siècle autour des notions d’entropie et de néguentropie. Si les pouvoirs publics aussi bien que privés ne font rien, malgré les coups de semonce du GIEC quant au changement climatique et de l’IBPS quant à la destruction de la biodiversité, c’est d’abord parce qu’ils ne savent pas comment faire.
Il en va ainsi parce que le travail théorique préalable à ce comment faire – et pour répondre à la question que faire ? – n’a toujours pas été engagé.
Contrairement à ce que prétendait Martin Heidegger, la science pense. On a cependant l’impression qu’elle ne panse plus, ou presque plus. Pour en comprendre les raisons, on proposera une interprétation du dernier ouvrage de Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932), afin de montrer, d’une part, qu’il semble annoncer les immenses défis qui constituent l’enjeu du XXIe siècle (« L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits », écrit‐il), et d’autre part que c’est en le lisant que l’on peut à la fois entendre Greta Thunberg et lui répondre : tout se passe comme s’il la voyait venir.
Bernard Stiegler est philosophe. Il a fondé le groupe de réflexion philosophique Ars industrialis et dirige également l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) qu’il a créé au sein du centre Georges‐Pompidou. Auteur de nombreux ouvrages, dont Dans la disruption (éditions LLL), le cœur de sa recherche porte sur les enjeux des mutations actuelles – sociales, politiques, économiques, psychologiques – portées par le développement technologique et les évolutions de la société.