Homo sapiens, une espèce invasive, leçon inaugurale de Jean-Jacques Hublin, titulaire de la chaire Paléoanthropologie au Collège de France – Editions Collège de France / Fayard, septembre 2022 – 60 pages
Partie de sa niche éco-géographique africaine, l’espèce Homo sapiens a étendu son emprise sur l’ensemble de la planète au cours de son expansion, entraînant une perte de la biodiversité et la disparition d’autres espèces humaines, comme les Néandertaliens, avec lesquelles elle a parfois coexisté. Comment notre espèce s’est-elle ainsi imposée ? Était-elle réellement plus avancée que les autres formes d’humanité qui ont évolué parallèlement à elle ? Cette leçon inaugurale tente de définir Homo sapiens, de l’évolution de ses traits morphologiques et physiques à ses capacités cognitives, en passant par la maîtrise de certaines technologies.
« Homo sapiens est la seule espèce humaine actuelle. Une espèce unique qui, malgré sa diversité, est relativement homogène et facilement identifiable quand on la compare à des formes fossiles. Ayant colonisé tous les milieux habitables de la planète en les modifiant profondément, elle s’aventure désormais dans l’espace extraplanétaire. Cette espèce a surtout connu un succès reproductif sans précédent dans l’histoire des vertébrés. La biomasse des 7,9 milliards d’êtres humains actuels et celle de leurs nombreux animaux domestiques représentent aujourd’hui plus de vingt fois celle de l’ensemble des mammifères sauvages présents dans la nature, et on estime que, au cours des derniers 50 000 ans, la biomasse de ces mammifères sauvages a été divisée par sept du fait de la prédation humaine, du développement de l’agriculture et de la destruction des milieux naturels. »
Jean-Jacques Hublin est paléoanthropologue, auteur de nombreux travaux sur l’évolution des Néandertaliens et sur les origines africaines des hommes modernes. Ses travaux, largement diffusés, ont par deux fois été reconnus en couverture du magazine Nature, notamment en 2017 à l’occasion de la découverte au Maroc, par une équipe internationale co-dirigée avec Abdelouahed Ben-Ncer, du plus ancien fossile d’Homo Sapiens connu (300 000 ans), repoussant la date conventionnellement admise de plus de 100 000 ans.
Il a joué un rôle pionnier dans le développement de la paléoanthropologie virtuelle, qui fait largement appel aux techniques de l’imagerie médicale et industrielle, et à l’informatique pour reconstituer et analyser les restes fossiles. Il s’est aussi intéressé à l’évolution des rythmes de croissance et au développement cérébral chez les hominidés ainsi qu’à l’histoire de sa discipline.
Ancien directeur du département d’évolution humaine de l’Institut Max Planck pour l’anthropologie évolutionnaire, professeur invité au Collège de France sur une chaire internationale depuis 2014, il devient en 2021-2022 professeur titulaire de la chaire Paléoanthropologie.
Jean-Jacques Hublin a prononcé sa leçon inaugurale intitulée Homo sapiens, une espèce invasive le 13 janvier 2022. Le premier cours d’un nouveau professeur au Collège de France est sa leçon inaugurale. Solennellement prononcée en présence de ses collègues et d’un large public, elle est pour lui l’occasion de situer ses travaux et son enseignement par rapport à ceux de ses prédécesseurs et aux développements les plus récents de la recherche. Non seulement les leçons inaugurales dressent un tableau de l’état de nos connaissances et contribuent ainsi à l’histoire de chaque discipline, mais elles nous introduisent, en outre, dans l’atelier du savant et du chercheur.
Ces leçons inaugurales sont éditées depuis 1949 par le Collège de France et depuis 2003 en partenariat avec Fayard. Depuis 2010, les nouvelles leçons sont publiées simultanément sous forme numérique, enrichies d’une préface. Les leçons anciennes ont été numérisées et sont publiées progressivement sur le portail OpenEdition Books. Depuis 2012, certaines leçons inaugurales sont par ailleurs traduites et éditées en anglais ou en d’autres langues sur OpenEdition Books.
L’événement le plus important de l’évolution humaine au cours du dernier million d’années est bien ce ‟grand remplacement” qui, il y a environ 50 000 ans, a mis un terme à la diversification des Hominines et abouti à la prépondérance d’une espèce sur toutes les autres. »
« Le problème de la définition de l’espèce ne se limite pas aux hommes fossiles, il touche aujourd’hui tout le règne du vivant. Depuis les travaux d’Ernst Mayr en 1942, l’idée que les espèces sont séparées par une barrière de non-interfécondité s’est imposée. Pourtant, si on se référait strictement à ce principe, près d’un quart des espèces reconnues au sein des Mammifères devraient être supprimées. Le fait est que certaines espèces de primates séparées depuis plus de 5 millions d’années et assignées à des genres différents (Papio et Theropithecus) sont encore capables de se reproduire entre elles, et elles produisent des hybrides féconds ! Il faut bien comprendre que la spéciation n’est pas un événement ponctuel : on ne se réveille pas un matin en étant une nouvelle espèce. C’est un long processus, et la noninterfécondité totale est une sorte de résultat final de ce processus, qui se manifeste généralement après plusieurs millions d’années de séparation. Pourtant, le long de cette route, au-delà d’un certain point, il n’y a pas de retour en arrière possible. Il faut donc revoir notre définition de l’espèce. » Jean-Jacques Hublin
Cette citation provient de son entretien exclusif L’évolution est avant tout une grande histoire d’extinctions, à découvrir sur le site web du Collège de France avec le programme de ses enseignements, ainsi que sa biographie.
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