Technopouvoir – Dépolitiser pour mieux régner, de Diana Filippova – Edition Les Liens qui libèrent (LLL), novembre 2019 – 224 Pages
C’est une autopsie de l’enfermement technique. Diana Filippova n’est pas née de la dernière pluie. « Tout est politique. Tout est propagande » insiste la diplomée d’HEC et de Sciences Po sur le site de son agence Stroïka. Son livre est un long cheminement dans le palais des illusions numériques pour chercher l’endroit où nos sociétés humaines peuvent encore résonner avec la vie.
L’originalité du livre réside dans la manière de voir les innovations comme des milieux de vie. « Les techniques naissent dans une configuration historiquement donnée, elles sont comme infusées de l’ordre qui les engendre. Elles sont la traduction, jamais exacte, jamais achevée de certaines fins ». En l’occurrence, Diana Filippova emboîte le pas au philosophe Langton Winner – mais surtout à Jacques Ellul et son « Système technicien ». Elle explique comment l’asservissement des corps à la production, l’alignement des sociétés au profit économique nourrissent la matrice numérique dans laquelle nous vivons.
La conséquence est que tout se dépolitise au sens où les prises sur le monde n’existent plus. La subjectivité même passe aux oubliettes : les individus ne sont plus que les nœuds d’un réseau. Dans cette architecte artificielle toxique, l’humain est rétréci, au point de devenir un « homme sans qualité ».
L’auteure qui se réfère aux meilleurs critiques de la technique (Foucault, Illich, Castoriadis, Anders, Fressoz) signale avec perspicacité les moments historiques qui ont permis l’égarement où nous sommes : la pensée cybernétique – née après le désastre de 1945 – et l’influence libertarienne d’Ayn Rand, notamment en Californie.
Il nous faut sortir de cet imaginaire d’objectivation des vivants et réapprendre à faire de la politique. Comment ? En colonisant les interstices, les espaces publics locaux pour générer une économie alternative collaborative, non plus pour le pouvoir mais pour… la survie !
Diana Filippova est auteur et chef d’entreprise. Spécialiste des questions politiques et technologiques, elle a baigné plusieurs années durant dans le milieu du numérique. Impliquée en politique, elle a cofondé le mouvement citoyen Place publique. A la ville, elle dirige l’agence éditoriale Stroïka.
Dorothée Browaeys, présidente de TEK4life