Du droit de déambuler, de Sarah Venuxem – Photographies de Geoffroy Mathieu – Éditions Wildproject, 11 avril 2025 – 232 pages
Du droit de déambuler s’inscrit dans une réflexion profonde sur la place de l’errance et de la libre circulation dans nos sociétés contemporaines. Ce livre interroge la manière dont l’espace s’est progressivement refermé sous l’effet de l’aménagement physique et des lois, restreignant ainsi la possibilité pour les humains – et les autres êtres vivants – de se mouvoir librement.
L’auteure s’appuie sur une analyse historique et juridique pour montrer que cette tendance ne date pas d’hier. Depuis l’aube de la modernité, un processus d’exclusion et de cloisonnement a transformé le territoire en un espace de plus en plus réglementé, limitant la possibilité de subsister librement. Sarah Vanuxem convoque différentes références philosophiques et historiques, notamment la notion grecque du nomos, qui renvoyait à un pâturage commun, mais qui a été progressivement interprétée comme un enclos. Ce glissement sémantique et pratique illustre une dérive plus large du droit occidental, qui s’est éloigné d’une conception de l’espace partagé et poreux pour favoriser une vision privative et cloisonnée du territoire.
À travers un récit qui emprunte aussi bien à la philosophie qu’à l’expérience du terrain, Du droit de déambuler nous emmène dans divers espaces marqués par cette problématique : des bourgs et des campagnes médiévaux aux itinéraires modernes comme le GR2013 à Marseille, en passant par la villa Borghèse à Rome. En résonance avec un essai photographique de Geoffroy Mathieu, le livre se veut aussi une invitation poétique et politique à repenser notre rapport au déplacement et à la spatialité.
Mais l’ouvrage de Sarah Vanuxem s’inscrit dans une critique plus large du contrôle croissant exercé sur les déplacements humains et non humains. L’un des points centraux du livre est la mise en lumière du processus historique d’exclusion des vagabonds, des nomades et, plus largement, de toutes formes de vie qui ne s’inscrivent pas dans une logique de propriété et de sédentarité. En montrant que cette évolution s’est faite de manière progressive, mais constante, l’auteure met en évidence l’ancrage profond de ces restrictions dans la construction juridique et politique du monde occidental.
D’un point de vue écologique et éthique, Vanuxem plaide pour une redéfinition du droit à partir de la notion de porosité. Si les frontières et les clôtures sont devenues la norme, il est pourtant essentiel de retrouver un monde traversable, où la cohabitation et le partage des espaces redeviennent possibles. Cette réflexion s’aligne sur des courants de pensée qui défendent un droit plus ouvert et inclusif, intégrant les besoins non seulement des humains, mais aussi de l’ensemble du vivant.
Par ailleurs, l’auteure fait appel à la figure d’Hermès, dieu des voyageurs et des passages, pour symboliser cette vision d’un monde en mouvement, où les chemins ne sont pas uniquement des voies de transit, mais des espaces d’échange et de transformation. Ce choix témoigne d’une volonté de renouer avec des conceptions anciennes du territoire et du droit, qui faisaient place à une dimension collective et fluide, plutôt qu’exclusive et fixe.
L’ouvrage constitue un plaidoyer puissant pour une refonte du droit occidental à partir de la liberté de circuler. À travers une approche mêlant philosophie, droit et écologie, Sarah Vanuxem nous invite à repenser notre rapport aux territoires et aux normes qui les régissent, dans l’espoir de restaurer un monde plus ouvert et solidaire.
Sommaire
Dialogue introductif
Invocation à Hermès
- 1 – Les vagabonds : entre humains, chiens et loups
- 2 – Déambuler, cheminer, circuler : une ligne de partage des droits
- 3 – Le Pecq contre Bézuchet : du paysage aux servitudes de passage
- 4 – Rome contre Borghèse : la reconnaissance d’un possible droit de déambuler
- 5 – L’observatoire du GR2013 : déambuler autour de la mer de Berre et du massif de l’Étoile
- 6 – Imbroglio légal : pour un droit commun d’accès à la nature
Sarah Vanuxem est juriste et enseignante-chercheuse à l’Université de Nice Sophia-Antipolis. Son travail porte sur les transformations que le droit émergent de l’environnement fait subir à notre tradition juridique.
Geoffroy Mathieu vit et travaille à Marseille. Ses travaux interrogent la manière dont les questions écologiques et politiques se concrétisent dans le paysage.