En matière d’urgence climatique sommes-nous définitivement en train de marcher sur la tête ? Les organisateurs de la prochaine Coupe du monde de football ont choisi le Qatar alors que l’on sait que les températures y seront insoutenables. Même pas peur : des stades complètement climatisés seront construits. Une gabegie énergétique. Les JO d’hiver vont ouvrir ce 4 février à Pékin, dans une zone dont on sait qu’elle est une des plus arides du pays et qu’il n’y a pas le moindre soupçon de manteau neigeux. Pas de souci, les canons à neige feront l’affaire et engloutiront des quantités astronomiques d’eau. Durabilité vous avez dit ?
Oubliez les images de paysages montagneux enneigés et de pistes blanches avalées par les champions des Jeux. C’est fini. Les paysages que vous aurez à Pékin seront ceux de tours de refroidissement destinés à alimenter les canons à neige. Les XXIVe Jeux de Pékin se déroulent dans la région du Zhangjiakou, dans le nord-est du pays, une zone réputée pour son aridité. Il a plu ces quarante dernières années pas plus de 7.9 millimètres, ce qui est neuf fois moins qu’une station dans les Alpes suisses par exemple.
C’est pourtant là qu’un complexe olympique a surgi, quasiment ex-nihilo, le Centre national de ski alpin de Yanqing, situé à environ 80 km au nord-ouest de Pékin. Les montagnes qui accueilleront les épreuves alpines offrent des paysages spectaculaires et des pistes à couper le souffle, mais il n’y a pas la moindre neige sur ces pentes arides, peuplées de rares mélèzes. Entre janvier et mars de cette année, le complexe olympique n’a reçu que 2 cm de neige. Londres, Paris et Madrid ont toutes enregistré des chutes de neige plus importantes. Ce n’est pas ce détail qui va arrêter les Chinois. Ils ont une tradition ancestrale de la copie, alors, copier la neige est un jeu d’enfant pour eux.
Les canons à neige se sont donc multipliés pour projeter des millions de litres d’eau en aérosol au-dessus des pistes. Les ingénieurs chinois y rajoutent un petit ingrédient bien à eux : un produit chimique qui cristallise la neige projetée. Et pour corser le tout, ils congèlent les sols pour éviter toute déperdition : les ingénieurs doivent pomper de l’eau dans le sol sec pour geler celui-ci avant de pouvoir ajouter de la fausse neige par-dessus. L’addition en eau est considérable au regard de l’aridité de la région : le journal anglais The Guardian a calculé que quelque 185 millions de litres d’eau, soit plus de soixante-dix piscines olympiques, sont nécessaires – une quantité dépassant l’imagination – pour permettre aux machines assoiffées de faire leur travail. Sans compter le coût énergétique considérable pour faire tourner ces machines et l’empreinte carbone qu’elles représentent.
Pékin 2022 ne sera certainement pas les premiers Jeux à se dérouler sans que la neige ne tombe du ciel. Mais Pékin sera le premier hôte à dépendre entièrement, à 100 %, de la poudreuse artificielle. Depuis 1980 (Jeux de Lake Placid aux États-Unis), les canons à neige sont utilisés car, réchauffement climatique aidant, la nature s’avère parfois indisciplinée. Les Jeux de Sotchi, en Russie (2014), et de Pyeongchang, en Corée du Sud (2018), auraient également été difficiles sans l’appoint en neige des machines à poudre blanche.
Toutefois, la référence aux éditions précédentes de l’événement sportif ne rend pas moins absurde la neige des pistes à Pékin. Quand cette destination a été choisie en 2015 pour accueillir les Jeux d’hiver 2022, tout le monde savait que le climat est froid mais extrêmement sec dans la région choisie. Il suffit de regarder le paysage : seules les pentes, flanquées de plusieurs centaines de canons à neige au total, sont blanches, les versants de la montagne montrent des rochers, du gravier et quelques (jeunes) épicéas.
C’est pourtant là que les Jeux olympiques d’hiver se tiendront, aboutissement de six années d’efforts pour faire de Zhangjiakou la version chinoise des Alpes, en créant une destination de vacances d’hiver haut de gamme dans l’espoir de sortir une région agricole de la pauvreté. Les experts craignent que la transformation de Zhangjiakou n’aggrave l’importante pénurie d’eau de la région, qui est l’une des pires du pays. Plus de la moitié de Zhangjiakou subit un « stress hydrique élevé », selon China Water Risk, une ONG environnementale basée à Hong Kong, et les ressources locales en eau par habitant représentent moins d’un cinquième de la moyenne nationale chinoise.
Coût environnemental
Le Comité international olympique (CIO) doit maintenant faire face à des questions de plus en plus nombreuses sur le coût environnemental des Jeux, notamment les allégations selon lesquelles les pistes alpines ont été construites dans une réserve naturelle protégée. « Il pourrait s’agir des Jeux olympiques d’hiver les plus insoutenables jamais organisés », a confié au Guardian la professeure Carmen de Jong, géographe à l’Université de Strasbourg. « Ces montagnes n’ont pratiquement pas de neige naturelle ». La scientifique a tenu à préciser que la neige artificielle était gourmande en eau mais aussi en énergie, qu’elle nuisait à la santé des sols et provoquait l’érosion.
Le CIO justifie son choix de Pékin et se veut rassurant sur les dégâts écologiques : « Une série de concepts de conservation et de recyclage de l’eau ont été mis en place afin d’optimiser l’utilisation de l’eau pour la fabrication de la neige, la consommation humaine et d’autres usages. Yanqing est riche en ressources en eau par rapport aux régions voisines ».
Bien sûr, face à ces critiques, Pékin reste droit dans ses bottes. Le Comité olympique chinois a publié l’année dernière son rapport de durabilité pour les Jeux, s’engageant à atteindre les objectifs fixés dans le programme de développement durable 2030 des Nations unies. Pékin a déclaré qu’elle utiliserait des énergies renouvelables pour les sites et recyclerait les ressources en eau. « Nous donnerons la priorité à la conservation de l’écologie et des ressources, au respect de l’environnement et nous contribuerons à la création d’un bel environnement », peut-on lire dans ce rapport.
Cette question de l’enneigement artificiel n’est pas propre à la Chine. Le changement climatique signifie en effet que les stations de ski dépendent de plus en plus de la neige artificielle. Selon une étude réalisée par l’OCDE en 2007, le réchauffement climatique pourrait mettre en péril jusqu’à deux tiers des domaines skiables des Alpes. Elle mettait en garde contre l’impact sur l’approvisionnement en eau et l’écologie locale de l’utilisation de canons à neige. Malgré ces réserves, l’argent, le pouvoir, l’influence et la politique se sont conjugués pour attribuer les Jeux à une région qui ne dispose pas d’un enneigement suffisant.
Jusqu’au début du mois de février, les services météorologiques prévoient des précipitations négligeables de 0,3 mm à Pékin, et des températures qui augmentent lentement, passant d’un gel modéré aujourd’hui à un léger dégel au début du mois prochain. Mais cela n’a strictement aucune importance pour les Chinois.