Ce mercredi 23 octobre 2024, le Sénat a adopté un projet de loi destiné à alléger les démarches administratives des entreprises. Toutefois, ce qui apparaît comme une initiative bénéfique pour le secteur économique pourrait se révéler désastreux pour l’environnement. Les ONG, et notamment La Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), tirent la sonnette d’alarme, dénonçant des modifications qui pourraient gravement nuire à la biodiversité.
Ce texte législatif, initialement conçu pour faciliter le quotidien des entreprises, vise à alléger leurs obligations en matière de compensation des atteintes à la biodiversité lorsqu’elles veulent lancer un projet industriel. Il comprend des clauses qui affaiblissent significativement le principe de “zéro perte nette de biodiversité”, notamment les modifications des compensations aux atteintes à la biodiversité prévues par l’article 18 du texte ainsi que de la réduction des délais pour déposer un recours. Les modifications apportées aux règles de compensation écologique autorisent désormais les projets impactant l’environnement à différer la compensation, substituant l’obligation de résultats immédiats par un délai « raisonnable ». Cela signifie qu’au lieu de prévoir des compensations en amont de toute destruction environnementale — une mesure essentielle pour la préservation des écosystèmes et des espèces —, les entreprises pourront retarder ces efforts.
Thomas Uthayakumar, Directeur des programmes et du plaidoyer chez FNH, critique cette approche : « Affaiblir les outils de protection de la nature au nom de la simplification administrative est une grave erreur qui mettra en péril les services écosystémiques dont nous dépendons tous. » Il souligne également que ce projet de loi n’est pas isolé dans son potentiel impact négatif sur l’environnement, faisant référence à la réduction significative du Fonds Vert de 2,5 à 1 milliard d’euros dans le cadre du projet de loi de finances de 2025, ce qui pourrait ralentir la lutte contre l’artificialisation des sols.
Une volonté de simplification des normes…
Le projet de loi contient 26 mesures de simplification très diverses à destination des entreprises. Il poursuit trois objectifs : réduire radicalement la charge engendrée par les démarches administratives, revoir la relation entre l’administration et les entreprises et rationaliser la norme.
Il s’inspire d’un rapport parlementaire de février 2024 et est présenté avec un plan d’actions qui comprend 26 autres mesures réglementaires.
Le projet de loi prévoit ainsi une exemption pour les projets industriels des obligations du zéro artificialisation nette (ZAN), un objectif qui vise à réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers entre 2021 et 2031. En excluant les projets industriels de ces exigences, le législateur encourage implicitement un usage non durable des terrains, négligeant des alternatives comme le recyclage de friches industrielles ou la densification urbaine.
…Malgré une biodiversité en déclin
Depuis 2019, l’Office français de la biodiversité (OFB), mais aussi la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dressaient le constat d’un déclin, sans précédent dans l’histoire humaine, de la biodiversité. Avec notamment les menaces croissantes d’artificialisation du territoire. Un rapport de France Stratégie de janvier 2020 pointait la relation entre les trajectoires de développement économique et leurs impacts sur la nature appelant en particulier les acteurs économiques à prendre en considération leur empreinte sur la biodiversité et à (re)penser leurs modèles d’affaires à l‘aune de leurs impacts.
Le rapport expliquait que, si la prise de conscience des enjeux liés à la biodiversité s’accroît, l’enjeu reste inégalement appréhendé par les entreprises et dépend grandement du secteur d’activité de l’entreprise et de la réglementation spécifique liée à ce dernier. De manière générale, la biodiversité est rarement identifiée comme un risque significatif et n’est pas intégrée dans la stratégie d’affaires de l’entreprise.
Modifications préoccupantes du texte de loi
Ce texte législatif contient des dispositions susceptibles de compromettre sérieusement les efforts de préservation de la biodiversité en France.
Compensation écologique différée
Le projet de loi introduit un assouplissement des règles de compensation écologique, qui permet désormais aux entreprises de différer la mise en œuvre de mesures compensatoires pour les dommages environnementaux causés par leurs activités. Auparavant, les entreprises devaient fournir des compensations environnementales avant toute destruction d’écosystèmes. L’adoption d’un délai « raisonnable » pour cette compensation pourrait entraîner des pertes irréparables de biodiversité avant que des actions correctives ne soient mises en place.
Exemption du zéro artificialisation nette (ZAN)
Une autre modification significative concerne l’exemption des projets industriels de l’obligation du zéro artificialisation nette (ZAN). Cette mesure vise à limiter l’expansion des surfaces imperméabilisées afin de préserver les terrains naturels et agricoles. En exemptant les projets industriels, le projet de loi ouvre la voie à une augmentation potentielle de l’artificialisation des sols, ce qui peut avoir des effets dévastateurs sur les habitats naturels et la biodiversité locale.
Implications plus larges
Ces modifications s’insèrent dans un contexte où la biodiversité mondiale est déjà sous pression en raison de l’urbanisation croissante et des activités industrielles. La simplification des processus administratifs ne devrait pas se faire au détriment de l’environnement. Les experts environnementaux et les défenseurs de la biodiversité soulignent que des mesures de compensation efficaces et opportunes sont cruciales pour maintenir l’équilibre écologique et prévenir la perte de biodiversité.
Appels à la vigilance
La Fondation pour la Nature et l’Homme, ainsi que d’autres ONG environnementales, appellent le gouvernement et les parlementaires à réviser ces dispositions qui menacent la biodiversité. Ils plaident pour une intégration plus rigoureuse des considérations environnementales dans tous les aspects de la législation économique et pour le renforcement des mécanismes de surveillance et de mise en œuvre des mesures de compensation écologique.
Cette adoption soulève donc de profondes inquiétudes parmi les défenseurs de l’environnement, qui voient dans ces mesures un pas en arrière pour la préservation de notre planète. Pour le FNH, les décideurs sont instamment appelés à reconsidérer les aspects de ce projet de loi susceptibles de compromettre la durabilité environnementale, au risque de sacrifier la richesse écologique au profit de la simplification administrative.