Une équipe de scientifiques du Laboratoire de recherche en sciences végétales de Toulouse vient de lever le voile sur un mécanisme insoupçonné de l’évolution des plantes. Une espèce de plantes jusque-là très peu étudiée, Marchantia polymorpha, contient dans son patrimoine génétique les traces d’un échange avec des champignons, qui se serait produit il y a un demi-milliard d’années. L’étude, publiée le 17 février dans Nature Genetics, souligne que ce transfert de gène est à l’origine de la colonisation des terres émergées par le monde végétal.
Les écosystèmes terrestres dans lesquels nous vivons aujourd’hui résultent d’une transition majeure qui s’est produite il y a 500 millions d’années : des algues sont sorties des eaux pour rejoindre les terres émergées. Depuis ce moment clé, elles ont progressivement évolué en une immense diversité de plantes terrestres, dont une partie a été domestiquée par l’humain pour son alimentation. L’étude approfondie des végétaux d’intérêt agronomique a conduit à se concentrer quasi exclusivement sur les plantes à fleurs. Seulement, si l’essentiel de la recherche en sciences végétales porte sur ce groupe, celui-ci ne représente qu’une petite portion de la diversité des plantes terrestres.
Il existe un autre groupe de plantes, les bryophytes, « dont l’ancêtre commun avec les plantes à fleurs vivait sur terre il y a 500 millions d’années » explique Maxime Bonhomme, maître de conférences à l’Université de Toulouse, (Laboratoire de recherche en sciences végétales – LRSV – CNRS/Toulouse INP) co-auteur de l’étude. « Nous avons entrepris d’analyser le bagage génétique d’une centaine d’individus d’une espèce spécifique de bryophytes, Marchantia polymorpha – l’hépatique des fontaines – provenant à la fois d’Europe et des États-Unis. »
Parmi les différentes familles de gènes identifiées par les scientifiques, il y en a une qui ressort particulièrement puisqu’elle résulte d’un transfert depuis un champignon à l’ancêtre commun des plantes terrestres. Transmis au moment où les algues sortaient des eaux, ce gène a pu avoir un impact majeur. « Nos travaux montrent que ce gène est associé à l’adaptation au milieu terrestre, et nous pouvons spéculer que sans lui les algues n’auraient pas pu rester longtemps sur la terre ferme. Ce gène leur a peut-être permis de s’adapter aux nouvelles contraintes de leur habitat à l’air libre : manque d’eau, rencontres avec de nouveau microorganismes… », approfondit Pierre-Marc Delaux, directeur de recherche CNRS, également co-auteur de l’article.

Dans leurs analyses, les scientifiques ont également retrouvé des récepteurs importants pour l’immunité des plantes qui leur permet de résister aux maladies, ainsi que des protéines responsables de l’équilibre oxydatif dans les cellules, une réponse essentielle pour résister aux contraintes imposées par l’environnement. Ces fonctions sont déjà bien connues dans la réponse au stress chez certaines plantes à fleurs, « mais ce qui est remarquable, c’est qu’elles étaient déjà présentes chez leur ancêtre commun, et qu’elles ont été maintenues durant les centaines de millions d’années d’évolution et de diversification du monde végétal », selon Pierre-Marc Delaux.
Cette étude révèle que le transfert horizontal de gènes – l’intégration de matériel génétique d’un organisme par un autre dont il n’est pas le descendant – a joué un rôle plus important qu’on ne le pensait dans l’adaptation des plantes à la vie terrestre. Pour Chloé Beaulieu, doctorante à l’Université de Toulouse et première autrice de l’étude, « cette découverte n’aurait jamais été possible si nous nous étions limités aux plantes traditionnellement étudiées. »
Marchantia polymorpha, une espèce – comme beaucoup d’autres – souvent négligée dans la littérature scientifique, démontre l’importance d’étendre les connaissances au-delà des végétaux de prédilection de l’agronomie, afin d’obtenir une vision globale de l’évolution du vivant et de ses capacités d’adaptation.
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Cette découverte révolutionne notre compréhension de l’évolution des plantes et de leur capacité d’adaptation aux environnements terrestres. En identifiant un transfert de gène clé entre champignons et plantes ancestrales, les chercheurs ont mis en lumière un processus évolutif fondamental qui aurait pu être un déclencheur majeur de la colonisation des terres émergées.
Quelles implications ? Elles sont multiples. D’un point de vue scientifique, cette étude remet en question le modèle classique de l’évolution des plantes en insistant sur l’importance des échanges génétiques horizontaux. Elle ouvre ainsi de nouvelles perspectives pour l’étude des relations symbiotiques entre espèces, notamment entre plantes et microorganismes, et pourrait permettre d’expliquer d’autres transitions évolutives majeures.
Sur le plan agronomique, la compréhension des mécanismes qui ont permis aux plantes primitives de s’adapter aux conditions terrestres extrêmes pourrait être précieuse pour améliorer la résistance des cultures modernes face au changement climatique. En identifiant des gènes liés à l’immunité et à la tolérance aux stress environnementaux, cette recherche pourrait contribuer au développement de plantes plus résilientes aux sécheresses, aux maladies ou aux pollutions.
Enfin, cette étude souligne l’importance d’élargir le champ de la recherche en sciences végétales au-delà des plantes à fleurs. En explorant la diversité végétale sous toutes ses formes, les scientifiques pourraient découvrir d’autres adaptations méconnues, ouvrant la voie à des innovations en biotechnologie, en agriculture et en écologie. Cette avancée illustre combien la diversité du vivant recèle encore de nombreux mystères, dont la compréhension pourrait être essentielle pour répondre aux défis écologiques et alimentaires du futur.
Photo d’en-tête : Marchantia polymorpha ou « Hépatique des fontaines »