Avec des si, on pourrait mettre Paris en bouteille. Tout le monde connaît l’adage. En l’occurrence Paris ne serait pas mis en bouteille mais ressemblerait au parc de Serengeti en Tanzanie, éléphants, girafes et rhinocéros se baladant sur l’emplacement des actuels Champs Elysées. Un délire de fin de soirée un peu trop alcoolisée ? Pas du tout. Il s’agit des résultats d’une étude des plus sérieuses menée par des chercheurs de l’Université d’Aarhus au Danemark. Afin de mesurer l’impact d l’homme sur la biodiversité, ils ont joué au jeu du « et si… ».
Vu du côté de la biodiversité, les humains n’ont décidément pas la cote d’amour chez les scientifiques. Deux études démontrent ce que l’on savait déjà plus ou moins : sans l’homme la biodiversité serait plus grande qu’elle ne n’est aujourd’hui. Une étude publiée par Science allant jusqu’à asséner : « l’homme est le superprédateur le plus dangereux de tout le règne animal ». On se doutait bien que notre présence de plus en plus massive sur cette planète ne pouvait s’être déroulée sans quelques dégâts pour les autres espèces. Mais les deux études qui viennent d’être publiées démontrent de façon incontestable jusqu’à quel point nous sommes allés.
Les scientifiques de l’Université d’Aarus, Søren Faurby et Jens-Christian Svenning, sont des spécialistes de la biodiversité et de l’extinction des espèces. Dans un article publié l’année dernière dans Science and Technology, ils avaient pu établir que les extinctions massives des gros mammifères, qui se sont déroulées pendant la dernière période glaciaire et les millénaires qui l’ont suivie, n’étaient pas dues uniquement au changement climatique mais qu’elles étaient aussi et peut-être surtout explicables par l’expansion de l’homme moderne à travers le monde. Selon eux, dans les endroits où la faune et la flore étaient confrontées à l’homme, au moins un tiers des grandes espèces disparaissait. Leur dernière étude publiée par la revue spécialisée Diversity and Distributions s’attache à démontrer quel serait l’état de la biodiversité aujourd’hui si homo sapiens n’avait pas existé. Ils ont ainsi dressé deux cartes comparatives de la diversité des grands mammifères (plus de 45 kg) aujourd’hui et dans un monde sans hommes. Selon ces cartes, si nous n’existions pas, le paysage de nos latitudes ressemblerait à celui du parc national de Serengeti en Tanzanie avec des mammifères géants comme des rhinocéros ou des éléphants gambadant dans nos contrées…
Les chercheurs ont construit la nouvelle carte du monde en prédisant la distribution des animaux aujourd’hui disparus en fonction de leur écologie, de la biogéographie et des conditions naturelles de l’environnement actuel. Ce travail n’avait jamais été fait auparavant.
La répartition actuelle de la diversité des mammifères. On observe que seule l’Afrique conserve un grand nombre d’espèces. Crédit: Soren Faurby / Université d’Aarhus
Carte de la biodiversité si les hommes modernes n’avaient pas existé
Interrogé par la revue IFL Science, le professeur Jens-Christian Svenning, co-auteur de l’étude, précise : « L’Europe est loin d’être le seul endroit où la présence humaine a réduit la diversité des mammifères. Il s’agit d’un phénomène mondial ». Il poursuit : « Dans la plupart des cas, il y a un très fort déclin de cette diversité par rapport à ce qu’elle aurait dû être naturellement ».
Les cartes montrent que la biodiversité est accrue dans les zones de faible intensité démographique. « La plupart des safaris se passent aujourd’hui en Afrique », explique Søren Faurby, co-auteur de l’étude. « Mais dans des circonstances naturelles, on trouverait autant de gros animaux, voire plus, ailleurs dans le monde. Notamment au Texas, ou en Argentine et au Brésil ». Pour le chercheur, l’explication tiendrait à la très faible urbanisation du continent africain. « C’est l’un des seuls endroits au monde où l’activité humaine n’a pas encore complètement éliminé tous les gros animaux ».
La biodiversité d’une zone géographique serait donc directement liée à sa démographie humaine. Ainsi les régions montagneuses demeurent-elles, dans une certaine mesure, préservées. « En Europe, l’ours brun ne vit plus que dans les montagnes, car il a été chassé des plaines par l’être humain », indique encore Søren Faurby dans IFL Science. Notre environnement étant désormais densément urbanisé, les espèces autres que la nôtre ont moins de chances de survivre si ce n’est se développer. L’étude porte sur les mammifères de plus de 45 kg mais les autres organismes plus petits sont logés à la même enseigne. En témoigne le sort tragique des abeilles que nous relations dans nos pages encore récemment. Il en est de même pour la flore, incessamment soumise aux assauts de l’homme depuis qu’il existe.
Ce travail fait partie d’un domaine d’étude chaudement débattu dans la communauté scientifique avec des arguments valables aussi bien pour les partisans de l’extinction des espèces qui serait causée par le climat ou par l’homme. Les deux parties sont certainement dans le vrai. Il n’en demeure pas moins que ces recherches qui essaient de comprendre le passé sont utiles, car au fond, elles peuvent nous permettre de construire un futur moins sombre que celui vers lequel nous nous dirigeons.
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