Découvrir un nouveau système de communication chez les animaux est peu commun pour le monde scientifique. Mais il est aussi très rare de démontrer qu’un système de communication entre mâles et femelles dérive de circuits sensoriels initialement utilisés par l’espèce dans un contexte d’évitement des prédateurs… C’est pourtant ce que vient de démontrer une équipe internationale constituée de chercheurs de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (Muséum national d’Histoire naturelle/ CNRS/UPMC/EPHE), du Dartmouth College et de l’Université de Cambridge dans la revue Current Biology.
On l’entend chanter tout l’été. Il est partout dans les champs, dans les forêts, et parfois même dans nos habitations. Mal connu, le grillon est pourtant un insecte extraordinaire aux talents multiples. Avec sa petite tête ronde, ses grands yeux et ses antennes frémissantes, cet orthoptère est un véritable personnage qui entretien un lien fort avec l’homme.
Certaines espèces de grillons ont leur mâle qui stridule, le chant étant entendu grâce au tympan placé sur le tibia de la première paire de pattes. Trois types de chants ont été clairement interprétés : « chant d’appel » sexuel (le plus fréquent) qui a pour fonction d’attirer et d’orienter la femelle vers le territoire du mâle (phénomène de phonotaxie), « chant de cour » prélude à l’accouplement, « stridulation d’agressivité » afin d’intimider un autre mâle, d’accompagner un combat entre rivaux ou d’exprimer la victoire.
Or les recherches du MNHN viennent de mettre un jour un autre « chant », de simple communication.
Le grillon est à lui seul un instrument musical comme le révélait, déjà en 1821 des professeurs du Muséum d’Hitoire naturelle dans un recueil intitulé « De quelques appendices particuliers du thorax de divers insectes » par M. Latreille de l’Académie royale des Sciences.
A ce jour, de nouvelles recherches viennent de montrer que chez les grillons ordinaires, le chant du mâle, émis à basses fréquences (2-8 kHz), attire les femelles, tandis que des sons à hautes fréquences (>10 kHz), assimilés à des signaux de chauves-souris prédatrices, provoquent chez les femelles un réflexe de fuite. Mais les mâles de certaines espèces de grillons (Eneopterinae, Lebinthini) ont néanmoins développé des chants aux fréquences exceptionnellement élevées (12-30 kHz) qui ne provoquent ni la fuite, ni l’approche des femelles ; celles-ci, devenues sourdes aux sons basses fréquences, répondent aux chants hautes fréquences en émettant des vibrations permettant aux mâles de les localiser.
Un exemple extraordinaire de plus dans l’histoire de l’évolution des organismes : « faire du neuf avec du vieux » en récupérant des circuits neuronaux pour une nouvelle fonction. (Référence : ter Hofstede, H., Schöneich, S., Robillard, T., Hedwig, B. (2015). Evolution of a communication system by sensory exploitation of startle behavior. Current Biology, in press.)
Déjà en 2013, des chercheurs du MNHN et du CNRS, associés à des collègues britanniques avaient révélé la manière dont certains grillons ont évolué pour produire des chants d’appel dont les fréquences sont beaucoup plus hautes que celles des autres grillons. En utilisant les capacités sonores non exploitées de leurs ancêtres, les grillons en question ont vu leur chant doubler ou tripler leur valeur de fréquence, passant de 4-8 KHz à 14-26 KHz, soit des signaux à hautes fréquences, bien au-delà du seuil audible par l’oreille humaine (20 kHz). En parallèle, l’étude du spectre sonore a révélé des fréquences dites fantômes à basses fréquences, ne jouant plus de rôle dans la communication actuelle de ces espèces, mais constituant un témoignage de l’évolution par à-coup des signaux de communication.
Le chant des grillons est en effet produit par un appareil spécialisé porté par les élytres, soit la première paire d’ailes rigidifiées. Cet appareil comprend notamment une nervure munie de petites dents sur sa face ventrale. Ces petites dents frottent l’autre élytre à la manière des dents d’un peigne sur lesquelles on passe le doigt. Le son produit possède alors une fréquence dépendant de l’espacement des dents et de la vitesse à laquelle elles sont frottées.
Pour cette étude, l’équipe de recherche a mesuré à la fois les mouvements fins des élytres durant la stridulation à l’aide de vidéos à haute vitesse et de diodes ultrasensibles, mais aussi leurs propriétés vibratoires en utilisant des techniques de vibrométrie laser. (Référence : Robillard T.*, Montealegre-Z F.*, Desutter-Grandcolas, L. Grandcolas, P. & Robert, D. 2013 (*Joint first author). Mechanisms of high frequency song generation in brachypterous crickets and the role of ghost frequencies. Journal of Experimental Biology 216, 2001-2011.)
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