LIRE AUSSI DANS UP’ : Bataille des néonicotinoïdes : les abeilles devront encore attendre
Les pollinisateurs, essentiels pour assurer les ressources vivrières mondiales, sont menacés d’extinction, prévient l’IPBES dans son premier rapport, pointant les insecticides néonicotinoïdes parmi les facteurs du déclin des abeilles. « L’évaluation mondiale sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire », nom du premier rapport élaborée par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques créé en 2012, vient d’être présentée aux gouvernements réunis en février dernier à Kuala Lumpur pour la quatrième plénière de cette instance.
Dans le domaine de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes, le besoin existe de renforcer la légitimité et la crédibilité des connaissances scientifiques pertinentes en vue d’une utilisation par le monde politique. Un processus intergouvernemental a dès lors été envisagé afin de renforcer l’interface entre science et politique. L’objectif est de fournir aux décideurs politiques des conseils et des scénarios de lutte efficace contre la crise mondiale de la perte de biodiversité. La quatrième plénière de l’IPBES, souvent appelée « le GIEC de la biodiversité », vient de s’achever.
Le titre de l’IPBES est important car, au-delà de son objet, la biodiversité et les services, il rappelle que l’on est en présence d’une structure intergouvernementale où la science a pour objectif de fournir aux décideurs politiques des conseils et des scénarios de lutte efficace contre la crise mondiale de la perte de biodiversité. Ouverte à tous les gouvernements, les ONGs comme les Secrétariats des Conventions auront la possibilité d’y faire entendre leur voix en tant qu’observateurs.
Le rapport de plus de 800 pages, réalisé par 77 experts de différentes disciplines et pays, dresse un panorama aussi complet que possible des connaissances actuelles, mais aussi des incertitudes et des besoins de recherche sur ce domaine. Il est le fruit de deux années d’analyse des données disponibles, alors que les études scientifiques se succèdent sur la mortalité des colonies d’abeilles, confirmant le rôle d’agents infectieux et de pesticides qui sont susceptibles d’interagir entre eux.
Le résumé pour décideurs en tire 22 messages clés, un ensemble de fait essentiels et surtout une palette d’outils pour l’action dont les décideurs publics ou privés sont invités à se saisir.
La délégation française à laquelle participait plusieurs membres de la FRB (Fondation pour la Recherfche pour la Biodiversité) a été très active lors des discussions et s’est attachée à ce que ressortent clairement dans le résumé pour décideurs plusieurs éléments du rapport complet qui lui ont semblé particulièrement pertinents. Le rapport « alerte » et cela était tout à fait nécessaire au plan mondial sur ce sujet d’importance, et il propose des leviers d’action. On peut cependant considérer que, compte tenu des fortes contraintes politiques qui pèsent sur la rédaction d’un tel document, il n’a pas procédé à une analyse critique suffisante des politiques des Etats membres de la plateforme en matière de préservation de la biodiversité.
En premier lieu, le rapport rappelle l’importance de la pollinisation pour la sécurité alimentaire mondiale (35 % de la production agricole globale, soit un marché de 235 à 577 milliards de dollars en 2015) et donc les revenus des agriculteurs. Cette dépendance mondiale à la pollinisation s’est fortement accrue par ailleurs du fait de l’accroissement des surfaces dévolues à des cultures ainsi pollinisées (300 % en 50 ans). Au-delà de l’abeille domestique, bien connue, l’évaluation rappelle l’importance des 20 000 pollinisateurs sauvages comprenant principalement des insectes (bourdons, papillons, abeilles solitaires…) ou encore des vertébrés comme les chauves-souris ou les singes.
Bien que le rôle des pollinisateurs soit primordial, l’évaluation menée montre qu’ils sont menacés à l’échelle mondiale. La liste rouge de l’UICN indique que 16,5 % des vertébrés pollinisateurs sont menacés d’extinction tout comme 9 % des espèces d’abeilles et de papillons en Europe. 30 % de ces espèces sont par ailleurs en déclin.
Les risques et les pressions qui s’exercent sur les pollinisateurs sont analysés dans le rapport : changement d’usage des terres, dégradation des habitats naturels, agriculture intensive, recours aux pesticides, pollution, développement des espèces exotiques envahissantes, changement climatique.
S’agissant de l’incidence des insecticides, la délégation française a été attentive à ce que le résumé pour décideurs mette bien en évidence les avancées scientifiques dans ce domaine et, à plusieurs reprises, d’autres délégations ont soutenu les prises de position. En particulier, le rapport indique qu’il est maintenant bien établi que les insecticides, et notamment les néonicotinoïdes, ont des effets létaux et sublétaux démontrés en laboratoire. Le rapport souligne le manque de données concluantes en conditions réelles, tout en notant qu’une étude récente a montré des effets négatifs sur les pollinisateurs sauvages. De manière générale, le rapport invite à poursuivre les efforts pour évaluer les impacts, notamment à long-terme et sur un ensemble large d’espèces.
Au-delà des recherches portant sur l’incidence des insecticides néonicotinoïdes, la recherche française se mobilise fortement pour répondre aux défis de connaissances soulevés dans le rapport. Plusieurs équipes françaises travaillent notamment sur l’analyse des différentes autres pressions s’exerçant sur les pollinisateurs, ainsi que sur les réponses des pollinisateurs à ces pressions.
Le rapport présente enfin un ensemble de leviers d’actions possibles assorties d’une évaluation de leur faisabilité.
Le rendement des cultures « dépend tant des espèces sauvages que des espèces domestiques ». Le rapport rappelle « l’importance de la pollinisation pour la sécurité alimentaire mondiale« . 80% des cultures à travers le monde sont dépendantes de l’activité des insectes pour la pollinisation, au premier rang desquels les abeilles domestiques et sauvages.
16% des espèces de pollinisateurs vertébrés (oiseaux, chauves-souris) sont menacées d’extinction à l’échelle mondiale et jusqu’à 30% sur les îles. « Et cette tendance risque de s’accentuer », préviennent les chercheurs, en s’appuyant sur les statistiques de la liste rouge de l’UICN. En Europe par exemple, 37% des populations d’abeilles, sauvages et domestiques, et 31% des papillons sont déjà en déclin, tandis que 9% de ces espèces sont menacées d’extinction. La valeur annuelle des cultures mondiales, directement touchées par les pollinisateurs, est estimée « entre 235 et 577 milliards de dollars », précise l’IPBES.
Un résumé du rapport d’une trentaine de pages, à l’intention des décideurs, vise à les aider à impulser une politique afin d’enrayer les pressions. « Ce résumé a été validé par les représentants d’une centaine de pays. Il tire 22 messages clés, un ensemble de faits essentiels et surtout une palette d’outils pour l’action dont les décideurs publics ou privés sont invités à se saisir. La délégation française est intervenue pour faire en sorte que tout l’état de la science y soit pris en compte », a souligné Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) qui anime le Comité français pour l’IPBES.
Le déclin des pollinisateurs sauvages est principalement dû « à des changements dans l’utilisation des terres, aux pratiques de l’agriculture intensive et à l’utilisation de pesticides, aux espèces invasives (frelon asiatique), à des agents pathogènes (parasites dont le varroa) et au changement climatique », a résumé Robert Watson, le nouveau président de l’IPBES.
Sir Robert Watson
Le rapport pointe en effet les pratiques agricoles intensives, dont l’usage massif des pesticides néonicotinoïdes (imidaclopride, clothianidine et thiamethoxame). Leurs « effets létaux et sublétaux » sur les abeilles ou bourdons sont démontrés en laboratoire. Le rapport souligne toutefois le manque de données « concluantes en conditions réelles », tout en notant qu’une étude récente a montré des effets négatifs sur les pollinisateurs sauvages. Cette étude, menée sur le terrain en Suède, montre que« l’utilisation d’un insecticide à base de néonicotinoïdes (clothianidine par le biais de pollen de colza) a une incidence négative sur la reproduction des abeilles sauvages, mais n’a aucun effet sur les colonies d’abeilles à miel ».
Pour rappel, la Commission européenne a décidé en 2013 de restreindre l’usage de ces trois substances (thiaméthoxame, clothianidine, imidaclopride), au vu des risques suspectés pour les insectes pollinisateurs, et de lancer une ré-évaluation. « Les évaluations actualisées, qui se pencheront sur l’utilisation de ces substances en tant que traitement des semences et granules, seront finalisées pour janvier 2017″, a précisé l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Deux autres substances néonicotinoïdes (acétamipride et thiaclopride) sont actuellement inscrites dans un programme de réexamen en vue de leur ré-approbation dans l’UE.
« L’incidence directe et indirecte des insecticides a été un des moments forts lors de la validation du résumé pour décideurs. Les experts suggèrent de réduire l’exposition des pollinisateurs. Le rapport invite à poursuivre les efforts pour évaluer les impacts, notamment à long terme et sur un ensemble large d’espèces », a précisé Jean-François Silvain. Les experts recommandent de réduire l’usage des pesticides, via des techniques alternatives de lutte contre les ravageurs, le soutien à l’agriculture biologique, l’agroforesterie ou encore la rotation des cultures.
Mais selon Le Monde, la présence de deux salariés des industries agrochimiques Bayer et Syngenta, parmi les experts de l’IPBES chargés d’élaborer ce rapport, a suscité la polémique durant cette session plénière, accusés de conflits d’intérêt. « La vraie question est de savoir si les scientifiques liés à l’industrie aident ou empêchent les progrès scientifiques », a répondu l’IPBES. Elle estime nécessaire d’impliquer les experts qualifiés de cette industrie « dans la recherche de solutions« .
Quant aux cultures OGM, leurs effets sublétaux et indirects sur plusieurs pollinisateurs « ne sont pas encore bien compris », indiquent les experts de l’IPBES. « Il est important de souligner ces lacunes de connaissances. L’incidence des plantes génétiquement modifiées sur les pollinisateurs est un domaine où il y a encore un gros travail à faire », a indiqué le président de la FRB. Or« l’évaluation des risques, avant l’agrément de mise sur le marché ne prend pas suffisamment en compte les effets sublétaux et indirects des plantes transgéniques résistantes aux insectes ou celles tolérantes aux herbicides, en partie liée à ce manque de données », a-t-il prévenu.
Selon l’IPBES, la tolérance aux herbicides « réduit la disponibilité de mauvaises herbes », qui constituent une source d’alimentation pour les pollinisateurs. Au contraire, la résistance aux insectes « se traduit souvent par une diminution de l’utilisation d’insecticides et peut contribuer à atténuer les pressions qui s’exercent sur les insectes utiles, y compris les pollinisateurs ».
En résumé, un rapport qui, d’une part, ouvre la porte à de multiples formes de décisions publiques et privées et d’autre part, ne ferme pas la porte à des positionnements plus drastiques en fonction des réalités locales, des avancées des connaissances et des choix politiques.
Ce rapport « alerte », et cela était tout à fait nécessaire au plan mondial sur ce sujet d’importance, et il propose des leviers d’action. On peut cependant considérer que, compte tenu des fortes contraintes politiques qui pèsent sur la rédaction d’un tel document, il n’a pas procédé à une analyse critique suffisante des politiques des Etats membres de la plateforme en matière de préservation de la biodiversité. Dans le cadre d’un rapport thématique couvrant l’ensemble de la planète, ce n’était certainement pas aisé et même peut-être impossible compte tenu de la diversité des situations. Se focaliser sur le cas de la France ou des Etats-Unis par exemple n’aurait pas été pertinent pour éclairer la décision publique au Vietnam ou au Nigéria. Il n’en reste pas moins vrai qu’une fois l’alerte faite, la balle décisionnaire est dans les mains des Etats.
Rien n’interdit non plus aux communautés scientifiques, ou aux organisations non gouvernementales, de venir compléter les enseignements d’un tel rapport mondial et de préconiser une meilleure évaluation des politiques publiques à l’échelle de chaque pays et de pousser à des choix de solutions nécessitant à la fois un accord et une volonté politique forte et les moyens dont disposent les Etats pour les imposer.
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments