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Bataille des néonicotinoïdes : les abeilles devront encore attendre

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Sur le papier les abeilles devraient se réjouir : leur principal ennemi, responsable de la mort de 300 000 ruches par an, les pesticides de la famille des néonicotinoïdes ont été interdits. Dans le cadre de la deuxième lecture à l’Assemblée de la loi biodiversité, les députés ont en effet adopté un amendement prévoyant leur interdiction. Mais son application est repoussée au 1er septembre 2018. Mais le Sénat doit encore voter. Mais les pressions des groupes industriels font rage. Mais les tergiversations politiques se font intense dans une agriculture en crise. Avec tous ces mais, les abeilles peuvent se faire du souci et leur sursis au 1er septembre 2018 ne signe pas la fin de leur combat.
 
D’un point de vue scientifique, l’affaire ne devrait pas porter à débat. Plus d’un millier d’études convergent pour dénoncer les pesticides néonicotinoïdes comme responsables de la mort des abeilles. « On recense aujourd’hui plus de 1100 études à charge contre les néonicotinoïdes, donc il faut arrêter de tergiverser. Ces pesticides tuent les abeilles, et il faut les proscrire », insiste Gilles Lagneau, le président de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF).
 

Les neonics tuent

 
Les « neonics », diminutif de ces produits toxiques apparus en 1994, attaquent le système nerveux des insectes, provoquant la paralysie puis la mort. Ils ont pour propriété d’être systémiques et de se répandre dans toute la plante, de la sève au pollen. Un tiers des insecticides vendus dans le monde sont des neonics, commercialisés en France sous les marques de Gaucho et Cruiser. Les apiculteurs visent particulièrement l’imidaclopride – « 7 297 fois plus toxique que le DDT » –, qui est en train de se diffuser largement dans l’environnement. Selon le journal Le Monde, cet insecticide est apparu, depuis 2013, parmi les quinze substances les plus détectées dans les cours d’eau en France, alors qu’il était au-delà du cinquantième rang cinq ans auparavant.

LIRE DANS UP’ : Les serial killers d’abeilles formellement identifiés mais toujours en liberté

Les pollinisateurs sont décimés par millions du fait de l’utilisation de ces substances. Les abeilles, notamment, sont déboussolées et ne retrouvent plus le chemin de la ruche. La mortalité au niveau des ruches est croissante, ce qui n’est pas sans conséquence pour les êtres humains puisque notre alimentation en fait les frais. En effet, les trois quarts des cultures dans le monde dépendent de la pollinisation par les insectes.

LIRE DANS UP’ : Sauvons la pollinisation, ce système écologique naturel et gratuit

À l’initiative de la France, l’Union européenne avait restreint certains de leurs usages en 2013, mais les néonicotinoïdes sont encore très largement employés. Pourtant, les écologistes et plusieurs socialistes arguent du fait que plusieurs centaines d’études scientifiques ont prouvé leur nocivité sur les abeilles et pollinisateurs sauvages mais aussi sur les invertébrés aquatiques et terrestres, les poissons, les oiseaux et, au final, l’être humain. Outre la « responsabilité » vis-à-vis des générations futures, invoquée par plusieurs élus, dont la rapporteure, la socialiste Geneviève Gaillard, les défenseurs de l’interdiction ont souligné que les agriculteurs eux-mêmes faisaient « les frais » de ces produits. Ces molécules, bien plus puissantes que le DDT, ont un mécanisme similaire à la nicotine, a argumenté Gérard Bapt (PS), médecin de profession, demandant « qui conseillerait à une femme enceinte de fumer ?».
 

Feu de tout bois

 
Face à ce qui apparaît clairement comme des certitudes scientifiques sanctionnées par la loi, les industriels du secteur agrochimiques ont fait, et continuent à faire feu de tout bois, rejoints dans ce combat par les grands producteurs agricoles et même, un temps, par le Ministre de l’Agriculture en personne. Dans cette bataille, certains élus notamment LR, ont profité de l’occasion pour faire de la politique et s’opposer au gouvernement.
 
Frank Garnier, président de la branche française du groupe Bayer
 
 
Estimant que l’amendement ne repose pas sur des données scientifiques probantes, les industriels se posent en défenseurs des agriculteurs. C’est ainsi que Frank Garnier, le président de la branche française du groupe Bayer, dénonce « une mesure de court terme qui prétend résoudre une question complexe et des enjeux à long terme ». Le producteur d’insecticides évoque l’impact sur la compétitivité des agriculteurs. « Au-delà de nos produits, il s’agit une fois encore d’une véritable atteinte à la compétitivité des agriculteurs français à qui nous supprimons petit à petit leurs outils de production alors que leurs voisins européens continuent très largement à les utiliser », affirme-t-il au magazine Boursorama. Certains secteurs (productions arboricoles, maïs, céréales et betterave) risquent de « se retrouver dans de véritables impasses pour protéger leurs cultures » dit-il. Avec le retour de « certaines maladies comme la jaunisse virale ou de ravageurs comme les pucerons », les récoltes pourraient chuter de 15 à 40% surenchérit Frank Garnier.
 
Même argument chez les grands producteurs et les céréaliers. Les associations et fédérations de producteurs de blé (AGPB), de maïs (AGPM), d’oléagineux et de protéagineux (FOP) et de betteraves (CGB) jugent que « cette mesure vient handicaper gravement leur compétitivité, créant une nouvelle source de distorsion de concurrence face à leurs voisins européens – non soumis à pareille interdiction ». Ils rappellent que « l’agriculture française traverse l’une des pires crises de son histoire ».

LIRE DANS UP’ : Les maux des abeilles menacent l’agriculture

Dans une démarche inhabituelle, le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll avait envoyé aux députés une lettre pour les appeler à ne pas faire de telles « interdictions brutales » au seul niveau français, par souci affiché notamment d’éviter les « distorsions » de concurrence avec les autres agriculteurs européens. Procédé qui a « peu surpris » Ségolène Royal la ministre de l’environnement. C’est ce qu’elle a expliqué jeudi sur BFMTV, disant comprendre cette « préoccupation » de défense des agriculteurs mais fustigeant « les combats d’arrière-garde sur le maintien notamment des pesticides ». Les députés LR et UDI, dont certains ont reproché aux partisans d’une interdiction générale de « rechercher une victoire symbolique, politique, médiatique », ont martelé que la mesure allait encore « pénaliser » des agriculteurs français déjà en crise.
 

30 voix contre 28

 
C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a été le théâtre de débats intenses qui ont abouti finalement à l’adoption par 30 voix contre 28 de la proposition du président de la commission du Développement durable, Jean-Paul Chanteguet (PS) soutenant l’interdiction, sans dérogation possible, des insecticides néonicotinoïdes, jugés nocifs pour les abeilles. Un arrêté fournira ultérieurement « des réponses concrètes aux exploitants agricoles, confrontés à la brusque apparition d’un ravageur, qui pourrait compromettre leurs récoltes ». Et la liste des alternatives aux néonicotinoïdes sera déterminée sur la base d’un avis de l’Anses (l’Agence française de sécurité alimentaire et sanitaire).
 
 
Signe que les pressions ne sont pas près de désarmer, la mise en œuvre de l’interdiction a été repoussée au 1er septembre 2018, pour laisser le temps aux agriculteurs de trouver des alternatives. Une période de danger pour les abeilles d’autant, comme le rappelait la députée Delphine Batho dans un tweet posté au moment du vote : « La loi doit encore aller au Sénat avant de revenir à l’Assemblée… Le combat n’est pas terminé ce soir ». En effet, le Sénat (qui avait précédemment retiré l’interdiction des néonicotinoïdes du texte) doit se prononcer en deuxième lecture, à une date qui n’est pas encore connue.
 
Dans un communiqué, Greenpeace qui rappelle qu’une pétition avait été signée par 135 000 personnes pour soutenir l’interdiction, appelle à maintenir la mobilisation et à être vigilant « Il est décevant de constater qu’une interdiction attendue depuis des années soit de nouveau repoussée. Nous veillerons à ce que ce délai soit utilisé à bon escient. Il doit permettre au gouvernement de mettre en œuvre des moyens concrets pour que des alternatives non chimiques soient développées et mises à la disposition des agriculteurs. »
 
 

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