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Intelligence des plantes
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Vous ne les regarderez plus comme avant : les plantes sont des êtres vivants dotés d’intelligence

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Le bestseller mondial du botaniste italien Stefano Mancuso vient enfin d’être publié en français. L’Intelligence des plantes est un livre qui remue. L’auteur y multiplie les preuves étayant son hypothèse, parfois controversée : les plantes sont des êtres vivants dotés d’une certaine forme d’intelligence. Si nous ne découvrons cette vérité qu’aujourd’hui, c’est parce que notre culture nous a empêché de l’admettre. Mancuso nous appelle donc à une révolution intellectuelle, culturelle, psychologique, pour considérer les végétaux d’une autre façon.  Les plantes n’ont pas d’yeux, de nez, d’oreilles ou de cerveau et pourtant, elles sont capables de voir, de sentir, d’entendre. Ce sont des êtres sensibles et intelligents qui savent organiser des stratégies et résoudre les problèmes les plus complexes. Ce n’est pas pour rien que les végétaux représentent 99.5 % de la biomasse de notre planète. En fermant la dernière page de ce livre, vous ne regarderez plus la plante qui orne votre salon ou le jardin dans lequel vous aimez flâner avec le même œil. C’est l’une des grandes forces de ce livre.
 
Stefano Mancuso est biologiste à l’université de Florence. Il est le fondateur d’une nouvelle discipline : la neurobiologie végétale et ses recherches l’ont rendu célèbre dans le monde entier. Son livre L’Intelligence des plantes est devenu un best-seller traduit en 21 langues et aujourd’hui en français. Ses pairs ne sont pas tous d’accord avec lui et refusent l’idée que les plantes puissent être dotées d’une forme d’intelligence. C’est normal car depuis Aristote et une longue lignée de savants, le règne végétal est situé au plus bas dans l’échelle de la vie. D’abord l’homme puis les animaux, et loin derrière les plantes. On voit en elles des ornements muets et immobiles de notre planète. Pourtant, les végétaux représentent l’essentiel de la biomasse de notre globe. L’homme et tous les animaux n’y sont que pour moins de 0.5 %. Si la vie humaine devait disparaître de cette planète, en quelques années seulement, toutes les constructions, les civilisations humaines, la moindre trace de notre passage sur Terre, seraient remplacés par des profusions d’espèces végétales. Stefano Mancuso nous assène, tout en douceur, une blessure narcissique équivalente à celles que provoquèrent Copernic, Darwin puis Freud. C’est notre arrogance et le temps long des végétaux qui nous empêchent de reconnaître l’intelligence des plantes.
 
 
L’auteur de ce livre dérangeant accumule les preuves. Certes on peut lui reprocher parfois sa tendance a l’anthropomorphisme, mais il y a recours le plus souvent pour la clarté de ses explications.
Pour le commun des mortels, les plantes végètent. Elles sont immobiles, elles opèrent la photosynthèse, elles produisent de temps en temps un nouveau bourgeon, elles font des fleurs ou des fruits, elles perdent leurs feuilles en hiver. Rien de plus. L‘expression « état végétatif » employé souvent de façon négative correspond bien à cette vision superficielle que nous avons des plantes. Il nous est quasiment impossible d’imaginer que, privées d’yeux, de nez ou d’oreilles, elles puissent posséder la vue, l’odorat ou l’ouïe. Quant au goût ou au toucher, inutile d’y penser. Et pourtant, elles sont indubitablement pourvues de sens. Et pas seulement les cinq dont nous sommes attribués mais une dizaine d’autres en plus, dont nous sommes parfaitement dépourvus.
 

Les plantes voient

Les dictionnaires définissent la vue comme la faculté de percevoir des stimuli visuels à travers les organes affectés à cette fonction. Dans cette acception, les plantes n’ont pas d’yeux mais elles perçoivent les stimuli visuels et notamment la lumière à un niveau de développement et de sophistication considérable. Ce sens de la vue est vital pour les plantes car c’est la lumière qui constitue pour elles la source principale d’énergie à travers la photosynthèse. La recherche de la lumière est l’activité qui influence le plus l’activité et les comportements stratégiques de toutes les plantes.
Chez les animaux, l’évolution a fait que les sens principaux (la vue, l’ouïe, l’odorat) soient situés sur une position stratégique : la partie antérieure de la tête près du cerveau, unique centre de commandement de l’organisme. Les plantes ne fonctionnent pas du tout ainsi. Elles ont évolué de façon à éviter de concentrer leurs fonctions stratégiques sur un seul espace. Elles n’ont donc pas d’organes de la vue comme les yeux mais elles sont pourvues d’une multitude de photorécepteurs hypersophistiqués qui distinguent toutes les longueurs d’onde de la lumière. On trouve ces photorécepteurs dans les feuilles bien sûr, mais aussi sur la tige, les vrilles, les apex végétatifs et même le bois dit « vert ». Une plante est ainsi recouverte d’une multitude d’yeux minuscules. Même les racines en possèdent et sont sensibles à la lumière, pour la fuir.
Quand, en hiver, certaines plantes perdent leurs feuilles, Stefano Mancuso n’hésite pas à dire qu’elles « ferment les yeux ». Elles interrompent le processus de la photosynthèse et se mettent en sommeil, exactement de la même façon qu’un animal clôt les paupières et se prépare au repos.
 

Odeurs et parfums en forme de messages

« Si nous passons à l’odorat, si étrange que cela puisse paraître, il va nous falloir mettre de côté toutes nos réticences et admettre que celui des plantes est d’une extrême finesse » prévient Mancuso. Comme pour les « yeux » des plantes, les récepteurs de l’odorat sont répartis partout sur l’organisme de la plante. Des racines aux feuilles, toute plante se compose de milliards de cellules à la surface desquelles se trouvent des récepteurs de substances volatiles. Ces substances déclenchent une série de signaux qui communiquent l’information au reste de l’organisme.  C’est ainsi qu’elles reçoivent des données issues de leur environnement et qu’elles communiquent entre elles ou avec d’autres organismes comme par exemple les insectes. Pour l’auteur, toutes les odeurs exhalées par les végétaux comme le romarin, le basilic, le citronnier ou la réglisse équivalent à des messages précis. Ce sont les « mots » du vocabulaire d’une langue dont nous ne connaissons presque rien.
Les plantes émettent des messages volatils pour alerter leurs congénères d’un danger, d’une menace. Attaquée par un insecte herbivore, une plante exhalera aussitôt des molécules pour informer les plantes avoisinantes afin qu’elles parent au danger. Elles produiront ainsi des molécules chimiques susceptibles de rendre les feuilles indigestes, voire vénéneuses pour l’agresseur. La tomate est spécialiste en la matière : quand elle est attaquée par un insecte herbivore, elle émet de grandes quantités de substances volatiles capables d’alerter d’autres plantes jusqu’à des centaines de mètres de distance.
 

Ne touchez pas trop les plantes : elles le sentent

Une plante est-elle consciente des contacts provoqués par des objets ou des êtres extérieurs ? Et peut-elle, de son côté toucher un objet ou un être pour en tirer des informations ? A ces deux questions l’auteur apporte des réponses convaincantes. Les plantes s‘aperçoivent qu’on les touche. L’exemple le plus connu est celui de la feuille de mimosa qui porte bien son nom savant : Mimosa pudiqua. La feuille, sensitive, se rétracte dès qu’on la touche. Une plante timide qui lui valut son nom latin. Les scientifiques sont perplexes devant cet acte volontaire qui n’a rien d’un réflexe. Car une goutte d’eau ou le souffle du vent ne produisent pas cet effet. Il s’agirait d’une stratégie défensive de la plante. D’autres plantes ont recours à des stratégies plus offensives. C’est le cas des fameuses plantes carnivores qui attirent les insectes pour s’en nourrir de leurs composants azotés. Ces végétaux possèdent des capteurs les alertant quand quelque chose est entré en contact avec elles et leur permettant de distinguer différents types de sensations.
Les exemples du sens du toucher des plantes sont nombreux dans la nature : les plantes grimpantes comme toutes celles qui produisent des vrilles. Dès qu’elles touchent un objet, elles se recroquevillent pour s’y agripper.
 

Les plantes « entendent »

Si les plantes sont dotées de la faculté d’entendre, faut-il leur parler ? Certains disent que les plantes poussent mieux quand on leur parle ou quand on leur fait écouter de la musique. Ces affirmations apparemment fantaisistes ne le sont pas tant que cela. Les animaux entendent les sons véhiculés par l’air. Ce sont des ondes sonores qui résonnent dans nos tympans.  Or les plantes n’ont pas d’oreilles. Comment donc peuvent-elles être capables d’entendre ? Elles utilisent un autre vecteur de son que l’air : la terre. Pour percevoir les sons, les plantes font exactement comme les indiens des westerns de notre enfance : elles écoutent les sons transmis par le sol. La terre est en effet un conducteur d’une telle qualité que les oreilles sont inutiles. Les vibrations sonores sont captées par une multitude de cellules de la plante dotées de canaux mécano-sensibles. Toutes les parties de la plante (dans l’air comme dans le sol) sont recouvertes de millions de minuscules oreilles. C’est ainsi que les racines sont guidées par ces sons imperceptibles sous la terre. Mais elles-mêmes produisent des sons à mesure qu’elles avancent. Des sortes de « clics » qui résultent de la rupture, au cours de leur croissance, des parois cellulaires en cellulose. Ces sons caractéristiques sont « entendus » par les autres parties de la plante et permettent d’organiser harmonieusement sa progression.
 

Quinze autres sens

Les plantes seraient donc dotées de nos cinq sens. Mais elles en possèdent aussi une quinzaine dont nous ne sommes pas dotés. Elles sont en mesure de déterminer le taux d’humidité d’un terrain et de localiser les sources d’eau afin d’y diriger leurs racines. Elles sont capables de percevoir la pesanteur et les champs électromagnétiques qui influencent leur croissance. Véritables laboratoires d’analyse, elles possèdent aussi la faculté de mesurer les gradients chimiques contenus dans l’air ou le sol. Elles peuvent enfin détecter les composés chimiques dangereux de manière à s’en éloigner le plus possible.
 

Les plantes communiquent

Dotée de tous ces sens, la plante est en mesure de communiquer. Communication interne comme externe, la plante passe sa vie à communiquer.
Capable de mesurer des dizaines de paramètres différents et de traiter des quantités considérables de données, la plante s’oriente dans son environnement. Fait-il trop chaud, manque-t-elle d’eau, en a-t-elle trop ? La plante ajuste grâce à ces capteurs sensoriels son organisme. Pour transporter les informations, la plante n’a pas de nerfs comme un animal. Elle ne peut donc émettre des signaux électriques. En revanche, elle utilise un système vasculaire sophistiqué qui lui permet d’envoyer des signaux hydrauliques et chimiques. Les racines d’un chêne sentent-elles qu’il n’y a plus d’eau disponible dans le sol ? Elles enverront donc vers les feuilles des signaux alertant du danger afin que celles-ci régulent leur consommation.
Les plantes communiquent aussi avec les autres. Que ce soit par communication gestuelle, chimique, olfactive, les plantes savent communiquer entre elles. Stefano Mancuso note comment les pins évitent que leurs extrémités se touchent pour ne pas se gêner dans leur croissance vers la lumière. Politesse végétale ? Il explique comment les plantes reconnaissent leurs parentes et protègent leurs rejetons. Qu’elles sont capables d’égoïsme mais aussi d’altruisme, qu’elles savent nouer des relations avec d’autres êtres vivants, bactéries ou insectes, pour se développer. La communication des plantes prend toute son ampleur dans les mécanismes de reproduction : l’utilisation d’insectes ou de petits animaux pollinisateurs en étant l’expression la plus connue.
 

Peut-on parler d’« intelligence végétale » ?

L’association de ces deux mots crée à nos oreilles une forme de dissonance. Cela est la résultante de millénaires d’incompréhension. Parce que les plantes sont immobiles, qu’elles n’ont pas d’organes individualisés comme le cerveau ou le cœur, que leur développement est lent, qu’aucune de leur partie n’est irremplaçable, les végétaux nous sont toujours apparus étrangers, nous empêchant même de nous souvenir qu’ils sont vivants. Alors imaginer qu’ils sont « intelligents » était jusqu’à Mancuso considéré comme une fantaisie.
Si l’intelligence est définie comme la capacité à résoudre des problèmes, alors, les plantes sont intelligentes. Les plantes n’ont pas d’yeux mais pourtant elles voient, elles n’ont pas de nez mais elles sentent, elles n’ont pas d’oreilles mais elles entendent. Elles n’ont pas de cerveau mais… elles s’avèrent capables de résoudre des problèmes.
Chez les plantes, « les fonctions cérébrales ne sont pas séparées des fonctions corporelles : elles coexistent dans chaque cellule ». Pour Stefano Mancuso, cela ne fait aucun doute : « les plantes méritent de plein droit le qualificatif d’intelligentes ». Il en veut pour preuve, parmi d’autres, leurs appareils racinaires qui se déploient à l’aide d’innombrables centres de commandement dont l’ensemble les guide à la manière d’une sorte d’intelligence distribuée qui, en augmentant et en se développant, assimile des informations capitales pour leur survie.  « Les acquis récents de la biologie végétale permettent aujourd’hui de voir en elles des organismes dotés d’une faculté bien établie d’acquérir, d’emmagasiner, de partager, d’élaborer et d’utiliser les informations tirées de leur environnement » écrit-il. Ses recherches en neurobiologie végétale s’attachent à comprendre « la façon dont ces brillantes créatures se procurent [ces informations] et les transforment de manière à adopter un comportement cohérent ».

LIRE AUSSI DANS UP : L’intelligence des arbres : un autre monde, un regard neuf sur la forêt

L’intelligence des plantes devrait être un réservoir inépuisable de bio-inspiration. Protéger ce capital de vie est une urgence. Chaque année, des milliers d’espèces dont nous ne savons rien disparaissent, et avec elles, on ne sait quelles ressources. Mancuso nous interpelle et nous incite dans son livre à juger les plantes plus proches de nous. En 2008 en Suisse, la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non-humain (CENH) a publié un document intitulé « La dignité de la créature dans le règne végétal ». Faudrait-il introduire, comme nous l’avons fait de la dignité de l’animal, la notion de dignité des plantes ? Si les plantes sont intelligentes, pourquoi n’auraient-elles pas, elles aussi, des droits ?
 
 
Stefano Mancuso et Allessandra Viola, L’intelligence des plantes, Editions Giunti, 2013 – Traduction française Avril 2018, Albin Michel
 

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